Clique reçoit Lacrim pour une troisième conversation exceptionnelle. Alors qu’il vient de sortir son dernier album « Force et Honneur », le rappeur partage des annonces exclusives, revient sur l’écriture de son album et évoque les conditions carcérales, sa paternité et la notion de liberté.
En prime, une rencontre avec le groupe Africa Jungle, qui évoque le rap algérien.
Mouloud : Comment tu vas ?
Lacrim : Ça va et toi ?
Ouais…
Tranquille.
Ça fait plaisir…
À moi aussi.
C’est tout ce que j’ai à dire, ça fait plaisir.
Merci.
On s’est connus dans des circonstances plus chiantes.
Oui…
Première interview, tu étais à Marseille. Deuxième interview, on n’a toujours pas le droit de dire où c’était…
On était au Maroc.
Ce n’est pas moi qui l’ai dit.
Si, on était au Maroc.
Quand on a fait l’interview, tu m’as dit : “Tu ne dis pas.” Je n’ai pas dit.
Oui c’est vrai. On était au Maroc.
Comment tu expliques qu’à chaque fois que je vais quelque part, dans la rue, n’importe où, même aux États-Unis, à chaque fois que je suis dans un avion, “Il est où Lacrim ?”
C’est vrai ?
Est-ce que tu peux leur expliquer que je ne suis pas ton tuteur ?
Ça défonce. Mais comme elle a beaucoup tourné tu vois, les interviews que l’on fait, elles sont super bien, super pro, ça dévoile quelque chose d’autre encore de moi. Même quand j’étais en prison, le médecin me dit : “Tu sais j’ai vu l’interview, tu vois ?” Quand je me suis rendu, les policiers….
Mais non, les policiers ont regardé Clique ?!
Bien sûr, ils m’ont dit : “T’as vu, une fois qu’on a vu l’interview, on t’a débranché. On savait que tu étais là-bas et tout, et on voyait beaucoup les médias dire : ouais, les fils de pute, la police tout ça… Ils m’ont dit : “On a vu l’interview, on a vu ton ressenti, on t’a débranché. On savait que tu allais rentrer un jour, et que ça allait bien se passer.”
Pour les gens qui ne connaissent pas Lacrim, c’est un artiste qui s’est construit tout seul, il y a dix ans en indépendant. Ensuite il a signé en maison de disques, son premier album a été un carton. Cyril Hanouna t’a présenté sur un plateau comme un modèle de réussite.
C’est bien, c’est un bon parce qu’il comprend, il sait, il connaît mon fond, c’est la vérité. Je pense que des fois on s’accapare beaucoup du mauvais, de ce que j’ai pu dégager, mais je dégage aussi beaucoup de bon. Et ça, on n’en parle pas beaucoup. Je fais beaucoup de bien autour de moi, je suis bien structuré dans ma vie.
Pour toi, c’est quoi le bon que tu dégages ?
Le bon que je dégage ? Ce serait super prétentieux de le dire. Ce n’est pas que je n’ai pas les arguments, mais ce serait super prétentieux.
Ça, c’est déjà dégager du bon. Ça s’appelle l’humilité.
C’est vrai, mais je sais où j’en suis.
L’album est sorti quelques semaines après toi, ce qui est quand même un record. Que s’est-il passé entre le moment où on s’est rencontrés en “cavale”…?
La deuxième fois donc ?
La deuxième fois. Que s’est-il passé depuis notre précédente rencontre ?J’étais pressé de rentrer, ma fille allait naître entre temps, je ne l’ai pas vue naître. Donc à part les projets musicaux, il n’y avait rien de prolifique. Il fallait que je rentre vite. Je suis rentré, quelques jours plus tard je me suis rendu et je suis sorti au bout de 13 mois.
13 mois ? Est-ce que l’on peut rappeler pourquoi tu as été incarcéré, pour quels faits ?
Lors d’un clip en 2011, j’ai exhibé une arme qui était une vraie arme. Elle a été retrouvée dans un appartement, ils ont fait les empreintes ADN et ils ont trouvé les miennes dessus. J’ai été jugé, ils m’ont mis trois ans pour ça.
Est-ce que tu comprends pourquoi on t’a mis trois ans ?
Je comprends qu’on m’ait condamné, je comprends que je dois payer. Trois ans, je n’ai jamais compris pourquoi.
Parce qu’à côté de ça, il y avait peut-être l’arrogance d’exhiber ça dans des clips.
Mais est-ce que ça mérite trois ans ? C’est dans le travail, je l’ai utilisée c’est vrai. C’est con tu comprends, mais je n’ai pas été braquer des gens dehors. Pour ces choses-là tu prends trois ans ou tu prends cinq ans. Mais moi il n’y avait pas lieu d’être. Je dois payer, ce n’est pas grave. Parce que quoi qu’il arrive, j’ai fait le con, je dois m’en prendre qu’à moi-même.
Est-ce qu’à l’oeil nu on aurait fait la différence entre une vraie arme et une arme factice ?
Non, je ne pense pas.
Alors pourquoi tu as pris une vraie arme ?
Je l’ai expliqué déjà, je ne vais pas revenir sur ça. C’était plus à disposition, j’étais en indé. Quand tu fais des clips, ça chiffre vite, c’est cher. Je sors un projet tous les quatre, six mois. Je suis dans le truc de faire de l’économie. Un clip où je ramène toute une équipe avec de la vraie police, avec un vrai fourgon avec des vraies armes de films, ça va me coûter une blinde à l’époque. Je n’ai pas de moyens. On est un label, on est ensemble, 13ème art. On a fait avec les moyens locaux.
Depuis, les moyens tu les as, tu as rencontré le succès. Donc l’album sorti chez Def Jam, ensuite Ripro 1, Ripro 2. Ça représente combien de ventes au total ? Parce que c’est phénoménal…
Un peu plus de 300 000.
300 000 ventes ? Tu as fait 300 000 ventes en un an et demi ?
Oui c’est ça.
Comment ça se passe quand on s’appelle Lacrim, que les jeunes écoutent ta musique, notamment les jeunes qui sont incarcérés, et qu’on se retrouve avec ces jeunes incarcérés, qui sont fans de toi et qui écoutent ta musique?
Ça se passe super bien. Fan ou pas, ça se passe super bien. Ils sont contents. La première approche elle est souvent, pas pour tous, mais des fois ils ne disent pas “bonjour” ou alors ils observent, ils se disent peut-être “il se la raconte et tout” et après ils ont l’écho vite. Tu vois, la rue ça va vite. Puis j’ai déjà fait de la prison donc je m’adapte vite. Je suis un détenu avant tout et les gens ils kiffent. Je me suis retrouvé sur le terrain avec eux en train de jouer au foot.
Il y a plusieurs appels de gens qui travaillent dans les prisons pour dire: “ça y est, stop à la surpopulation dans les prisons”. Parfois on atteint 200% de population et il y a des prisons comme la prison de Villepinte qui maintenant refusent les détenus. Est-ce que toi tu l’as vue, la surpopulation?
Bien sûr. Moi j’étais à 205, 210% à Fresnes. Je ne l’ai pas vécue avec moi dans ma cellule, mais juste en face de moi, je l’ai vécue tous les jours. C’est incroyable. Après tu as les températures. Quand il fait froid, quand il fait chaud vous êtes à trois. Tout le monde ne peut pas respirer. Tout le monde ne peut pas marcher dans la cellule. Et les conditions, les rats, etc. La détention, ils sont là pour nous garder, mais ils sont humains eux aussi. Ils n’arrivent pas à travailler dans de bonnes conditions. Le surveillant est tellement dépassé qu’il n’a pas le temps de faire de la pédagogie avec les détenus. Il n’y a pas de réadaptation, il n’y a pas d’aide.
En ce moment, quand on nous parle de prison, on nous décrit la prison comme un centre de radicalisation. Voilà ce qu’on entend sur la prison en ce moment dans les médias.
Moi je l’ai vécu, ça. Quand j’étais à Fresnes, il y avait l’UDF (les « Unités dédiées » sont des espaces prévus pour oeuvrer à la dé-radicalisation de certains), il fallait voir ce qu’il en faisait. Il en faisait des tonnes et des tonnes. Il y a 23 détenus, mais il en reste 1600. Et il se passe quoi pour eux ? Ça se remplit de jour en jour. Pour des délits mineurs, tu rentres.
Est-ce que ce n’est pas le serpent qui se mord la queue ?
C’est exactement ça.
Finalement plus les conditions sont compliquées, plus on peut se faire radicaliser en prison.
Exactement. Même le service pénitentiaire n’est pas con. Ils le savent, ils le vivent autant que les détenus, si ce n’est plus. Parce que les détenus sortent, alors qu’eux sont toujours là, en prison. Ils commencent à en avoir marre, ils commencent à péter les plombs. Ça fait dix ans qu’ils travaillent dans la même taule. Ils n’en peuvent plus et il faut les comprendre. Il y a de vrais humains en face de moi. Les mecs demandent à travailler et ne pas seulement ouvrir ta porte et à la fermer. Mais ce n’est pas possible. Les mecs qui sont en face ne savent pas que le surveillant est bon et que lui aussi pète un plomb. Donc ils le voient comme une barrière. Comme tu l’as dit, c’est le serpent qui se mord la queue.
Est-ce qu’il y a une solution pour toi face à la surpopulation ? Il faut construire plus de logements ? Il faut plus de peines aménagées ? Qu’est-ce qu’il faudrait ?
Il faut construire plus de places, mais ce n’est pas pour mettre plus de détenus. C’est pour ceux qui sont 4 ou 5 par cellules soient réattribués. Après bien sûr qu’il faut des aménagements de peines. Il y a des défauts de permis. Moi j’en ai vus, ils ne sont jamais rentrés en prison pour 9 mois. Comment tu n’es jamais rentré en prison pour un défaut de permis, tu vas 9 mois en prison. Il y a de l’abus dans tout.
Est-ce que les gens qui entrent en prison, peuvent ressortir meilleur.
Moi je suis sorti meilleur parce que j’ai les nerfs solides. On est nombreux dans ce cas, mais il y en a beaucoup qui flanchent et ce n’est pas de leur faute. On s’aide entre détenus, on se donne des coups de main, des conseils. On m’a apporté beaucoup. Je pense souvent à ces gens. Aujourd’hui je suis sorti bien meilleur.
Il s’est passé quelque chose après ta sortie de prison. Tu as sorti ton album et tu as fait le tour des prisons pour aller prendre des photos en prisons et tu as fait aussi ce t-shirt : « Je pense à mes frères en attente d’être condamnés. » Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
Pour le coup, ce n’est pas une opération marketing. Ce n’est pas ce qui fait vendre des disques. Les prisons, ça ne concerne personne. C’est un sujet que tout le monde veut éviter. On n’a pas voulu filmer l’opération pour qu’il n’y ait pas de marketing. On le fait avec le coeur. Aujourd’hui, je viens, je te donne un t-shirt, je te donne un CD, le geste est simple. Il y a beaucoup d’amour. C’est symbolique, je viens de moi-même, je veux leur donner un peu de force. Moi je sais que quand j’étais en prison, j’entendais à Skyrock les gens qui me passaient le bonjour. Ça fait chaud au coeur.
Qu’est ce qu’il te manquait le plus ?
Ma famille, la liberté. Pouvoir faire des choses simples. Quand tu arrives en prison, tu es coupé de toutes les belles choses. Donc tu es porté sur le détail. Quand tu vas avoir un quart d’heure de sport en plus, le mardi quand les canettes arrivent et qu’elles sont fraîches c’est un truc de fou ! Tu comprends ce que je veux dire ? Ce détail de pouvoir rester avec ma fille. La dernière fois je disais ça : j’ai un bracelet, j’ai des heures qui sont restreintes, mais je suis assis sur un lit, je regarde la télé en cellule. Là quand je rentre, je suis assis, il y a ma fille à côté de moi, ça n’a pas de prix. Tu as compris ?
C’est quoi ta définition du mot liberté ?
En prison, on te prive de tes droits les plus fondamentaux. En réalité quand on est dehors, on n’est pas libres. La vraie liberté pour moi, elle est de se dire : “Aujourd’hui, je ne vais pas au taf. J’en ai rien à foutre, je prends le bateau et je vais à l’autre bout du monde.” La liberté, elle est là. Mais la vie a fait qu’on est obligés de se lever le matin pendant 40 ans, d’aller bosser pour espérer avoir une petite retraite et pour donner quelque chose, ne serait-ce qu’un minimum, aux enfants. Donc finalement, on est esclaves toute notre vie. On n’est pas libres.
Il y a quelque chose que tu dis dans l’album c’est que tu ne pourras jamais compenser, même avec toutes les ventes d’albums possibles, la peine que tu as faite à tes parents.
Bien sûr.
Ça en est où le dialogue avec eux ?
Très très bien. Ils sont super reconnaissants parce qu’ils ont vécu le truc à 2000. Ils étaient avec moi, ils venaient me voir au parloir, j’avais 16 piges. J’étais à Fleury, mes parents n’avaient pas de véhicule. J’ai fait sept ans moi en tout. Ils étaient là, présents tout le temps. Aujourd’hui, comme j’ai pu le dire : “A 25 ans, mon fils c’est mort.” Et là à 29 ans, il sort de chez lui et : “Ton fils, il est trop fier.” Tu m’as fait une feinte de vie.
Tu as quel âge ?
J’ai 31 ans, 32 bientôt.
Donc tu as passé sept ans de ta vie incarcéré.
Oui.
Donc tu n’as connu la liberté que 25 ans.
Oui.
C’est comme si tu avais 25 ans.
Oui c’est comme si j’avais 25 ans, mais ils m’ont coupé à 16 ans. C’est mon adolescence que j’ai perdue. À 12 ans je n’allais plus à l’école, et à 16 ans j’étais en prison.
C’est quoi le truc le plus précieux que tu peux offrir à tes enfants ?
Une bonne vie durable. Parce que l’amour c’est… Moi ma fille, c’est personnel, mais on ne s’est pas vu pendant très longtemps. Je suis rentré à la maison et aujourd’hui il n’y a que moi dans la journée. Il y a sa mère aussi, mais il n’y a que moi.
Elle a quel âge ta fille ?
Elle a 18 mois. Elle sent l’amour, ce n’est pas du calculé. L’amour c’est normal, il est là. Et comme elle m’a manqué, mon fils aussi, c’est trop fort entre nous.
Ton fils il a quel âge ?
Il a sept ans bientôt.
Il écoute Lacrim ?
Oui, il écoute les choses de son âge. Il rentre de l’école, il est branché. Il me dit : “Lacrim, Booba, SCH, Jul.”
C’est ça un branché de sept ans.
Il est branché.
Ça t’a fait quoi quand tu as vu ton fils chanter du rap ?
Depuis tôt il le fait.
Ah oui !
Depuis tôt. Récemment, c’était une bonne expérience. Il y a un morceau qui s’appelle Papa Trabajadans l’album qui est avec Brulux. Le morceau quand je l’ai fait, j’étais en studio avec le petit. On parlait avec nos potes et on a tous des enfants. Ce qu’on voudrait pour eux, ce qu’on est en train de faire et le petit il est en train de jouer à la console, il écoute tout, il nous regarde, il joue, il nous regarde. Et le morceau il est parti comme ça. “Papa travaille” et il écoute pendant que je suis en train d’enregistrer et il me dit : “Bien papa”, “Oui papa travaille, merci papa, merci papa je t’aime”. C’était une expérience…
C’est un mini Lacrim…
C’est un homme. Je kiffe franchement. C’est que du bonheur.
Tu lui souhaites quoi pour ce petit ?
Je lui souhaite de faire ce qu’il aime, qu’il soit épanoui dans sa vie. Quand je vois que ma fille, mon fils sourient sur des vidéos, ou qu’ils sont contents, ce sont des images qui font que je sens qu’ils sont bien. C’est ça le principal. Après je vais les détourner de ce qui peut leur faire souffrir et leur installer un truc durable. C’est tout ce que je demande.
J’aimerais bien comprendre comment est-ce qu’on sort un album, qu’on l’enregistre juste après être sorti de prison. Est-ce que les textes étaient écrits dans ta cellule. ?
J’en n’ai fait que deux, j’ai sept cahiers qui sont chez moi. Dans l’album il n’y a que deux sons, il y a « Grande armée » et « Kim Jong Un » mais tout le reste, je l’ai fait dehors.
Tu n’arrivais pas à écrire quand tu étais en prison ?
Si, mais je n’ai pas voulu le mettre dans l’album. Parce ce qu’il y a trop de choses qui sont arrivées sur le moment. J’ai des trucs qui sont là devant et quand je suis dehors, c’est palpable. Donc j’ai le ressenti, ça me parle tout de suite, faut que j’exprime. Tous les morceaux, je les ai faits en une journée.
Tous les morceaux en une journée ?
Ça veut dire un morceau en un jour, un morceau en un jour….
Donc on n’est pas à l’abri d’un album avant septembre ?
Bien sûr.
Tu l’as annoncé.
On n’est pas à l’abri de beaucoup de surprises. Je te le jure.
Parce que moi je le sais. Je sens qu’il y a un album qui arrive là encore.
Il n’y a peut-être pas qu’un album…
Quoi donc ?
Peut-être un film.
Déjà ?
Oui peut-être…
Ça y est ? ça écrit le scénario ?
On est dessus. Il y a eu les quatre épisodes, ça s’est bien passé. On s’est dit : “ça y est, soyons fous, faisons un long-métrage”.
Adapté de ton histoire ?
Oui…
Donc le long-métrage Lacrim ?
Oui…
Avec Lacrim dans le rôle de Lacrim.
Bien sûr !
Comme Eminem a été Eminem…
Exactement !
Très bien, voilà, c’était l’info de ce soir. Lacrim jouera Lacrim au cinéma dans le film Lacrim !
Ça défonce !
C’est pas mal ! Merci beaucoup !
Merci beaucoup.
Merci d’être venu, ça me fait énormément plaisir d’avoir fait cette émission. On se retrouve demain à la même heure, l’interview en intégralité sur Clique.Tv et tu vas revenir bientôt pour le prochain album ?
Bien sûr.
Qui est déjà prêt…
Non…
Qui est déjà enregistré ?
Qui arrive…