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Clique x SCH, Ombre et Lumière

Mouloud Achour reçoit le rappeur SCH. Originaire d’Aubagne, près de Marseille, SCH sortira le 5 mai prochain son deuxième album, Deo Favente. Un disque très attendu après le succès de son album Anarchie et de sa mixtape A7, qui totalisent plus de 300 000 exemplaires vendus.

Personnage atypique dans la scène rap, SCH s’est fait connaître par sa voix rauque et des textes très crus mais toujours justes – une de ses punchlines est d’ailleurs devenue un slogan des manifestations contre la loi El Khomri. Ce proche de Lacrim et du producteur Kore évoque avec Mouloud son ascension fulgurante (et son rapport compliqué à la célébrité), sa passion de la musique, ses influences stylistiques, l’évolution de Marseille et révèle les difficultés actuellement traversées par sa famille.

Mouloud Achour : Ça fait très longtemps que j’ai envie de faire un Clique avec toi. Ça remonte à l’époque où l’on m’envoie une vidéo sur Facebook. Elle avait déjà dû faire 10 000 vues. Et en une semaine, un million de vues.
SCH : On était en studio et on a dit : “Il faut qu’on fasse la vidéo de ce morceau.” et ça se fait naturellement. J’ai le collègue qui a sorti un bigo, il nous a filmés, on a mis le son en ambiance derrière. On l’a posté sur Facebook et je crois que 48h après elle était à 300 000 vues. Moi, mon compte : plein d’ajouts, plein de messages. J’étais ailleurs…

Après cette vidéo sur Facebook, je t’ai googlé dans tous les sens. J’ai vu que “SCH” c’était le raccourci de “Schneider.” J’ai tapé “Schneider”, j’ai vu la vidéo de Teuchiland… Parce que toi tu as fait un bac pro climatisation.
Oui, j’ai fais un bac pro « froid et clim » en dépit d’un réel choix. Parce que quand tu es gosse, tu as 15 ans, qu’on te demande ce que tu vas vouloir faire dans les quarante ans qui vont suivre dans ta vie, tu ne sais pas trop. Je me suis orienté vers le secteur pro.

Est-ce que tu as conscience que tu as fait un bac pro climatisation – donc tu as failli bosser dans la clim’… et que tu as été signé par Lacrim ?
C’est incroyable. Par Laclim. (rires)

Tu es passé de la clim’ à Lacrim.
Quand je regarde le parcours, je me dis que c’est fou.

Est-ce que tu aurais pu imaginer que cinq ans après cette vidéo, tu aies fait disque d’or, disque de platine et que tu en sois déjà à un troisième album ?
Je te remets le contexte : je ne me serais jamais dit, sur le moment où je fais cette vidéo, que quatre ans plus tard… Il y a tout ça, toute cette réussite. Mais après, j’ai toujours été un minimum conscient que ce que je faisais n’allait pas passer inaperçu. En fait, j’étais convaincu au plus profond de moi que ça pouvait marcher. Pas que ça allait, mais que ça pouvait. De par ce fait, je pense que ça m’a aidé à prendre conscience que, finalement, c’était écrit.

Est-ce que tu avais conscience à l’époque que tu aurais un autre look, les cheveux longs, les tatouages…?
Non. Carrément pas.

Que tu aimes la haute couture…
Vestimentairement parlant, j’ai toujours kiffé la sape, bien que j’étais plus en survêt’ que maintenant. Mais après les cheveux, c’était pour faire plaisir à ma maman qui marronnait (NDLR : expression marseillaise signifiant « se plaignait ») d’avoir toujours ma peau du crâne apparente. Elle en avait marre.

Ta coupe de cheveux, c’était vraiment pour faire plaisir à ta mère ?
Oui, c’était pour elle. On s’est tous mis dans un délire où on a tous laissé pousser nos cheveux en même temps. Et on s’est retrouvés tous avec les mêmes coupes. Et non, les cheveux c’était pour la maman.

Vous avez l’explication des coupes de cheveux des rappeurs de maintenant : ce n’est pas pour faire comme dans “Gomorra”, c’est pour faire plaisir à leur maman… 

Comment tu fais quand pour toi ça marche, et que pour les gens avec qui tu as grandi, ça ne marche pas ?
Quand tu réussis, tu as ce regard des gens de l’extérieur – mais ça encore c’est normal. Les gens qui ne te connaissent pas, ils peuvent créer des légendes autour de toi. Après, pour les gens que tu connais, c’est un peu plus délicat.

Comment on encaisse le succès quand on se dit : “j’ai envie que ça marche. Les études ça me saoule, je suis dans un coin paumé”, et tout d’un coup, le public te donne de l’amour ? Comment tu arrives à recevoir cet amour-là alors que tu n’es pas habitué ?
Tu te dis : “Il y a six mois j’étais rien” et maintenant on me laisse des mots d’attention dans les hôtels. C’est fou.

Tu arrives à encaisser le succès ou pas ?
Tu ne t’y fais jamais vraiment. J’ai toujours eu cette difficulté, ce problème d’ego, un petit peu…

On pourrait croire que de l’extérieur tu es heureux mais il y a plein de gens que ça rend très tristes, la musique.
En vérité, la musique c’est archi-destructeur pour l’entourage proche. C’est magnifique aux yeux de tous les gens qui nous écoutent. Et il ne faut pas enlever toute cette magie, parce que c’est ce qui fait vivre la musique ! Mais c’est vrai que c’est archi-destructeur au sein d’une famille, d’une équipe de potos…

calcul meme

Les Champs-Élysées, c’est juste derrière nous. Le morceau qui t’a fait cartonner c’est “Champs-Élysées” : “Appartement sur les Champs, je l’ai pas loué”… On a fait un petit calcul : sachant que le montant du m² est à 13 000 euros sur les Champs, avec le nombre de ventes que tu as faites, on a calculé que – juste avec les disques – tu pouvais t’acheter un 77 m².
Tu as vu, c’est petit… Mais ça suffit pour une personne. Ce serait plutôt un studio si c’est sur les Champs, pour le coup.

Ta punchline “Te lever pour 1200 euros c’est insultant” se retrouve pendant les manifestations de la loi El Khomri l’année dernière. Comment est-ce que tu as vécu ça ?
Ça, c’était la consécration. Quand j’ai vu ça sur la banderole, c’était plus beau que tous les platines. Ça vaut tous les platines de la Terre.

La première chose que tu dis dans l’album, c’est : “De quoi tu me parles, je n’ai pas vu mon père depuis…”
Je le vois régulièrement. En fait j’ai construit le projet… J’ai mon père qui est en réanimation depuis trois mois. J’ai construit le projet pendant ça. Il est malade, c’est la vie qui veut ça. Du coup, j’ai beaucoup parlé de lui dans le projet parce que quand je sors du studio, je descends à Marseille, je vais à l’hôpital, je passe des heures avec lui, je rentre chez moi.
Chez moi j’ai un studio ; du coup j’écris, et forcément du coup il en découle ce qu’il en découle. Je me suis fais un petit récap de ma vie avec lui. Et j’ai eu vraiment un creux pendant mon développement, pendant que j’essayais de me débrouiller comme un jeune de son âge. Je ne l’ai pas vu.

Il y a quelque chose que très peu d’artistes font, c’est de dire “Voilà, je suis enfant d’un père alcoolique” et d’écrire un morceau où tu pardonnes.
L’alcoolisme, c’est une maladie. C’est malheureux, mais je pense que la dureté de la vie fait que certaines personnes préfèrent se réfugier en buvant un verre ou en fumant un joint, et ça crée une pseudo carapace qui te fait oublier juste un instant le goût amer que ça peut avoir, quand tu es confronté à la réalité.

C’est pour ça que je pardonne totalement tout ça, parce que c’est tellement normal au final, quand tu te mets dans la peau du mec, qui s’est levé l’âme toute sa vie. Au final, tu vas lui reprocher quoi ? D’essayer d’oublier que vous lui en faites chier tous les jours ? Et bien non.

Tu as pu faire écouter à ton père le morceau que tu as écrit sur lui ?
Non. Et je pense que je ne le ferai jamais. C’est charmant les relations père-fils mais c’est dur en même temps. Je trouve ça archi beau et non, jamais je ne lui ferai écouter. À part si mon oncle ou quelqu’un de la famille va lui faire écouter. Mais j’aurais beaucoup de mal.

Comment est-ce qu’on fait quand on a grandi, et qu’on est confronté à une addiction comme l’alcoolisme, pour exhiber dans ses vidéos et ses interviews des bouteilles de vodka ?
Je suis un fruit de tout ça. Je suis un fruit de tout ce qui m’a fait grandir, évoluer. De par ce fait, je ne vois pas pourquoi je ne le ferais pas. Parce que moi, des bouteilles, j’en vois depuis que je suis tout petit. De par des gens que je voyais boire dehors, de par le daron de temps en temps, de par tout en fait. Et ça fait partie de mon univers. La tise… C’est malheureux mais je bois. On est jeunes, on aime la fête comme tout le monde.

Tu es arrivé ultra-tatoué, à l’époque où ça ne se faisait pas trop dans le rap français. Ils veulent dire quoi, tes tatouages ?
Mes tatouages, ils veulent dire des choses qui ont une signification à mes yeux. Là, je me suis fait écrire : “Nais, vis, meurs”. C’est quelque chose qui nous résume à peu près tous. Puis après, j’ai des petites conneries mais qui ne me font pas oublier.

Ça, c’est quoi par exemple ?
C’est un micro. « Jusque là, tout va bien ». Là j’ai 19. Là, j’ai les initiales de ma maman. Toute sortes de petits trucs divers et variés bien cachés.

Il te manque les plans de la prison… (rires)
Oui, dans le dos. (rires) Mais je ne vais pas les montrer avant la sortie du projet.

Est-ce que tu pensais que Marseille allait devenir aussi violente ?
Ça a toujours été un petit peu sanguin dans la manière de vivre. Les gens impulsifs qui n’ont pas de mal à crier rapidement, pour pas grand chose. Mais en vrai, ça fait partie de la « culture » de la ville. J’ai toujours dit que c’était un pays, Marseille. Que ce n’était pas une ville de France.

IAM disait que c’était une planète. Comme Mars.
Oui, carrément. C’est une ville à part. C’est chez moi. J’aime beaucoup Marseille. Je pense que c’est dommage qu’elle soit tellement stigmatisée médiatiquement. C’est dommage parce que c’est archi agréable à vivre. Chez nous, les gens ont beaucoup plus le temps de vivre.

Les phénomènes de violence qu’on observe à Marseille sont quand même de plus en plus nombreux. Comment tu la vois, cette jeunesse ? Parce que tu es en contact avec les petits…
Je sais que les jeunes, à l’heure d’aujourd’hui, ne croient plus en rien. Encore une fois, tu ne peux pas les blâmer. C’est en partie à cause de tout ce qu’ils voient à la télé. Ce qu’ils veulent acquérir d’eux-mêmes, parce qu’on leur fait miroiter des tonnes de choses à longueur de journée. Tu tournes la tête, dans la rue, tu n’as qu’à lever les yeux, regarder autour de toi et ça y est : tu peux avoir déjà dix envies. Je pense que c’est très malsain mais en même temps, tu ne peux pas en vouloir à ces jeunes-là.

Comment tu vois le fait d’être pris par certains jeunes comme un modèle, alors que tu ne t’en es même pas encore réellement sorti ?
C’est compliqué, ça… C’est ce qu’on dit à des gens plus ou moins proches qu’on côtoie quand même, parce qu’on ne veut pas paraître maladroit, mais c’est vrai que quand les gens nous disent “c’est bien, tu as percé…” ; et on leur dit “frérot, on essaye encore de s’en sortir à l’heure qu’il est »… Rien n’est acquis en vrai.

J’imagine que pour vous qui avez monté votre truc, les barrières sont très compliquées à franchir ? On voit des clips, on voit des choses, mais on n’imagine pas la réalité du business. Comme c’est dur de gagner de l’argent, comme c’est dur de continuer… Comme souvent, quand tu fais un projet, ce que tu gagnes c’est pour faire un autre projet, c’est pas pour ta poche.
En fait au début tu fais tout pour y aller, et après tu fais tout pour y rester.

Comment tu gères les réseaux sociaux ? Ton compte est passé de 5 followers à 500 000 fois plus. Je me suis toujours demandé ce que c’était le genre de DM que tu recevais sur Instagram et Snapchat. Tu dois être un sacré aimant à désaxé(e)s ! (rires)
Franchement, j’ai reçu des vidéos de désaxé(e)s pour de vrai. (rires) Ce ne sont pas des cracks, c’est la vérité, des trucs de fou. Après, je reçois des messages qui me donnent de la force, des vidéos, des photos, des longs messages aussi. Mon Snapchat est public. Des fois, je remonte un petit peu et il y a toujours un million de messages… Du coup, j’en ouvre un de temps en temps. Une fois j’en ai ouvert un. La personne me parlait depuis 2015 et je ne l’avais jamais ouvert. Quand je remontais, je voyais les mois, et c’est incroyable en fait : la personne m’a parlé deux ou trois fois par mois pendant deux ans et demi. C’est ouf.

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