Convoquer la littérature, dans ces circonstances, c'est dérisoire autant que salvateur. Aujourd'hui, que faire d'autre ?
Clique publiera, ces prochains jours, plusieurs extraits d’oeuvres littéraires. Ces textes, qui rendent hommage à Paris et à son humanité, nous lient et nous apaisent. Ils sont un repère, un refuge et une inspiration.
Victor Hugo, in « Actes et Paroles », 1876
Les premiers jours de septembre 1870 ont scellé la défaite de Napoléon III, grand ennemi politique de Victor Hugo. L’échec de l’empereur à Sedan et sa capture par l’armée prussienne marquent un tournant dans la guerre franco-allemande et donnent naissance à la IIIe République française, proclamée le 4 septembre par Léon Gambetta à l’Hôtel de Ville.
L’écrivain, qui en deviendra une figure tutélaire, peut enfin revenir en France. Pour Victor Hugo, le discours qui suit est celui du retour : de Bruxelles à la Grande-Bretagne, l’exil aura duré près de 20 ans.
« Le 4 septembre 1870, pendant que l’armée prussienne victorieuse marchait sur Paris, la république fut proclamée ; le 5 septembre, M. Victor Hugo, absent depuis dix-neuf ans, rentra. Pour que sa rentrée fût silencieuse et solitaire, il prit celui des trains de Bruxelles qui arrive la nuit. Il arriva à Paris à dix heures du soir. Une foule considérable l’attendait à la gare du Nord. Il adressa au peuple l’allocution qu’on va lire :
Les paroles me manquent pour dire à quel point m’émeut l’inexprimable accueil que me fait le généreux peuple de Paris.
Citoyens, j’avais dit : Le jour où la république rentrera, je rentrerai. Me voici.
Deux grandes choses m’appellent. La première, la république. La seconde, le danger.
Je viens ici faire mon devoir.
Quel est mon devoir ?
C’est le vôtre, c’est celui de tous.
Défendre Paris, garder Paris.
Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde.
Paris est le centre même de l’humanité. Paris est la ville sacrée.
Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain.
Paris est la capitale de la civilisation, qui n’est ni un royaume, ni un empire, et qui est le genre humain tout entier dans son passé et dans son avenir. Et savez-vous pourquoi Paris est la ville de la civilisation ? C’est parce que Paris est la ville de la révolution.
Qu’une telle ville, qu’un tel chef-lieu, qu’un tel foyer de lumière, qu’un tel centre des esprits, des cœurs et des âmes, qu’un tel cerveau de la pensée universelle puisse être violé, brisé, pris d’assaut, par qui ? par une invasion sauvage ? cela ne se peut. Cela ne sera pas. Jamais, jamais, jamais !
Citoyens, Paris triomphera, parce qu’il représente l’idée humaine et parce qu’il représente l’instinct populaire.
L’instinct du peuple est toujours d’accord avec l’idéal de la civilisation.
Paris triomphera, mais à une condition : c’est que vous, moi, nous tous qui sommes ici, nous ne serons qu’une seule âme ; c’est que nous ne serons qu’un seul soldat et un seul citoyen, un seul citoyen pour aimer Paris, un seul soldat pour le défendre.
À cette condition, d’une part la république une, d’autre part le peuple unanime, Paris triomphera.
Quant à moi, je vous remercie de vos acclamations mais je les rapporte toutes à cette grande angoisse qui remue toutes les entrailles, la patrie en danger.
Je ne vous demande qu’une chose, l’union !
Par l’union, vous vaincrez.
Étouffez toutes les haines, éloignez tous les ressentiments, soyez unis, vous serez invincibles.
Serrons-nous tous autour de la république en face de l’invasion, et soyons frères. Nous vaincrons.
C’est par la fraternité qu’on sauve la liberté.
Reconduit par le peuple jusqu’à l’avenue Frochot qu’il allait habiter, chez son ami M. Paul Meurice, et rencontrant partout la foule sur son passage, M. Victor Hugo, en arrivant rue de Laval, remercia encore une fois le peuple de Paris et dit:
« Vous me payez en une heure dix-neuf ans d’exil ».
Quelques jours après cette allocution, Victor Hugo s’adresse à l’Allemagne dans une lettre fraternelle. Il l’enjoint à admettre que cette guerre doit se terminer : c’est celle de Napoléon III, pas celle de la République… Pour autant, ajoute-t-il, Paris ne capitulera pas.
« Vous venez prendre Paris de force ! Mais nous vous l’avons toujours offert avec amour. Ne faites pas fermer les portes par un peuple qui de tout temps vous a tendu les bras. N’ayez pas d’illusions sur Paris. Paris vous aime, mais Paris vous combattra. Paris vous combattra avec toute la majesté formidable de sa gloire et de son deuil. Paris, menacé de ce viol brutal, peut devenir effrayant ».
Le 9 septembre, l’Allemagne n’a toujours pas flanché. Victor Hugo s’adresse aux Français, puis aux Parisiens. Au fil de ces lettres, il conserve son lyrisme et sa fermeté, tout en gardant l’infime espoir que la raison vainque sans les armes. Ces textes, frappants d’actualité, sont à lire dans leur intégralité en cliquant sur ce lien.