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Interview

Le témoignage saisissant de Matthieu Seel, ancien addict au crack

Matthieu Seel raconte son histoire à travers son livre “Rien ne dure vraiment longtemps” : celle d’un homme en proie aux addictions qui sombre dans le crack, entre autres. Sa vie en tant que sans-abris, ses relations coupées avec ses parents, ses amis de galère : tout y passe. L’auteur, désormais loin de ses dépendances passées, s’est confié sur son parcours, de sa découverte du crack à celle de l’écriture.

Comment la quête de liberté vous a amené à vous emprisonner dans une drogue destructrice ?

Je dirais qu’on y passe par frustration, quand on bute sur quelque chose dans la vie, sur un problème. Il y a une partie de soi qui préfère être dominée parce que c’est plus simple. Une fois qu’on est emprisonné dans quelque chose, on ne pense qu’à ça : c’est ça l’addiction. Être toxicomane, c’est se dire “ce qui me fait souffrir me soulage et ce qui me soulage me fait souffrir”. C’est un équilibre chaotique, mais c’est un équilibre. On passe de la recherche de liberté à la dépendance, parce qu’on se dit qu’on est empêché par plein de choses, parce qu’on ne trouve plus d’issue.

Vous commencez à raconter votre addiction par le shit à 10 ans. Comment expliquez-vous qu’à cet âge, ce qui vous rapproche de la réalité, c’est fumer du shit ?

J’étais un gamin qui se posait énormément de questions et qui ne trouvait pas de réponse. Je me suis dit que s’il n’y avait pas de réponse dans ce que me propose le quotidien, j’allais tenter des expériences. C’est comme prendre une voiture et foncer à 300 km/h alors que tu viens d’avoir ton permis, tu vas forcément ressentir quelque chose. 

« Être toxicomane, c’est se dire : ce qui me fait souffrir me soulage et ce qui me soulage me fait souffrir. »

En parlant de votre addiction, vous dites que ça vous permet de “dissocier le réel et l’émotion”. 

Le produit m’anesthésie, ce qui me permet de ne plus être en prise avec mes émotions. Tous les questionnements que j’ai d’habitude, là je les écoute plus. C’est un moment de survie où tu es obligé de te détacher de certaines choses et d’avancer. Ça reste quelque chose qui est propre à chacun. 

Le ton de “Rien ne dure vraiment longtemps” est très personnel. C’est une volonté de votre part de faire un récit intimiste ?

Je me suis dit que le plus cohérent à faire, c’était de donner un rendu direct à la parole : de parler à la première personne et d’écrire au présent. J’écris un peu comme je parle pour rendre le récit complètement accessible et que les gens puissent se l’approprier. J’ai essayé de faire le plus simple possible et j’ai beaucoup travaillé à l’instinct.

Dans Clique, Olivier Rousteing, né sous X tout comme vous, a dit : “Plus je sais où je vais, plus j’ai besoin de savoir d’où je viens.” J’ai l’impression que vous avez pris le chemin inverse : faire en sorte de ne plus savoir où vous alliez en passant par le crack pour ne plus avoir à vous poser de questions sur votre passé et vos origines.

Effectivement, il y a une envie de disparaître, de ne plus penser, de ne plus réfléchir, de se détacher de soi, de son affect et de toutes ces émotions qui sont embêtantes. Plus on avance, plus on a des réponses à des questions qu’on s’est posées pendant longtemps. Savoir d’où l’on vient, ça permet d’avoir un ancrage dans la vie, d’être les deux pieds bien dans le sol.

Ils font la société et nous on la détruit.” Ici, vous comparez les gens lambdas qui prennent le métro pour aller au travail aux toxicomanes présents dans ce même métro. C’est quelque chose que vous pensez toujours ?

Je parle de détruire symboliquement, de détruire le bon déroulement des choses. C’est-à-dire se lever le matin, prendre son petit déjeuner, aller à la douche pour aller travailler et gagner de l’argent : nous on détruit la société parce qu’on ne fait plus tout ça, on est plus d’accord avec ça. Donc on adopte un comportement qui empêche ce bon fonctionnement. C’est une sorte d’appel au secours : on va grignoter une part de terrain parce qu’on ne se sent pas à notre place dans la société, donc on en crée une autre.

Vous ne vous ménagez pas dans “Rien ne dure vraiment longtemps”. Avez-vous réussi à prendre du recul rapidement sur vos agissements problématiques lorsque vous étiez toxicomane ? 

Je ne m’épargne pas, parce que c’est la réalité. J’ai vécu des moments de détresse où on ne sait plus s’exprimer, où on ne trouve pas les outils alors il faut en parler, c’est comme ça qu’on les dépasse. Une fois qu’on les a dépassés, il n’est plus temps de se poser des questions, il est temps de changer.

« Un chapitre, c’est un départ, une montée, une descente, une arrivée : t’as pris une claque, t’as ressenti quelque chose, tu peux passer à la suite. »

Tous les chapitres de ce livre sont très courts, ils dépassent rarement les trois pages.

Un chapitre, c’est un départ, une montée, une descente, une arrivée : t’as pris une claque, t’as ressenti quelque chose, tu peux passer à la suite. Le but du jeu, c’était de faire ressentir ce qui se passait à ce moment-là, ce que ça peut vouloir dire. 

Au fur et à mesure du récit, vous abordez votre découverte de la photographie, puis de l’écriture.

Ce qui m’apaise le plus, c’est le fait de pouvoir créer. C’est le fait de pouvoir fabriquer un objet que les autres s’approprient et sur lequel ils peuvent faire un retour. C’est très important, ça me permet de comprendre les choses et de percevoir ce qui m’entoure, c’est un vrai point de repère. Dans l’écriture, tout ce que je fabrique m’appartient, je suis à la fois le propriétaire et le locataire. C’est un endroit où j’existe et où je suis en harmonie avec tout le monde. 

Vous continuez à écrire régulièrement. Qu’est-ce que vous voulez raconter désormais ?

Je veux raconter la réalité, faire du gonzo. Je suis fasciné par ce que les autres ont vécu. En ce moment, je travaille avec Slimane Dazi, c’est lui qui m’a mis en scène dernièrement. J’écris aussi pour du scénario, je me suis dit que c’était une façon d’apprendre à écrire de la fiction, donc je suis là-dessus. Je ne dis rien pour la suite, parce qu’il y a encore d’autres choses sur le feu !

Pour découvrir l’histoire complète de Matthieu Seel, son livre “Rien ne dure vraiment longtemps” (2022) est toujours disponible aux éditions HarperCollins.

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