4 caisses, 2 malles et des centaines de possibilités, d’espoirs ou de découvertes pour des centaines de milliers de personnes à travers le monde. L’Ideas Box, la médiathèque en kit de l’ONG française Bibliothèques Sans Frontières (BSF) conçue – bénévolement – par le designer Philippe Starck pourrait se résumer à ça, mais elle est encore bien plus. Des flight cases simples, sans fioritures, faits pour résister aux chocs, aux intempéries et préserver leur contenu magique.
Puisque l’Ideas Box s’approche probablement plus de ça : une boîte de magicien. Et avec quatre prestidigitateurs il ne faut que vingt minutes pour que la boîte se transforme en une véritable médiathèque à ciel ouvert, sur 100m2 :
Nous avons eu l’occasion de la voir pleinement déployée et utilisée à Sarcelles pour l’inauguration de la tournée qu’elle fera à travers la ville tout l’été.
« Initialement elle a été conçue pour les situations d’urgence humanitaire, mais on voit que ça dépasse ce contexte là. Il y a aussi des enjeux d’accès à la culture, à l’information, à l’éducation, à Internet… et en France également » nous explique sur place Eve Saumier, directrice adjointe de la communication et de l’événementiel de BSF. Ainsi, en France, la Fondation Cultura – qui prône l’accès à la culture et à l’éducation pour tous – a financé la première Box de l’Hexagone pour étudier l’impact positif qu’elle pourrait avoir sur d’autres problématiques.
L’Ideas Box déployée à Sarcelles © Norman Clerc
Auparavant, la première expérimentation a eu lieu dans des espaces publics du 10e arrondissement de Paris. Pendant un mois et demi, deux après-midi par semaine, une Box a été déployée au jardin Villemin et au square Satragne. « Là c’était plus un enjeu de sensibilisation, d’ouverture à la culture, et une vraie mixité s’est créée entre des jeunes et des migrants par exemple.
On a vu un Afghan et des gamins s’éclater pendant deux heures au Puissance 4 sans se comprendre.
Sarcelles, c’est la problématique des jeunes et des familles qui ne partent pas en vacances, et cet automne on verra la problématique de l’accès à la culture en zone rurale. Le but c’est vraiment de faire passerelle, la Box n’est pas un outil concurrent de la bibliothèque, elle fait le lien. Dans le 10ème on a travaillé avec la médiathèque François Sagan qui vient d’ouvrir, qui est magnifique, mais qui est un peu cachée. Il faut savoir qu’elle est là. Avec l’Ideas Box on a fait le lien vers elle et y a plein de migrants qui s’y sont inscrits ensuite ! ».
Les bibliothécaires viennent aussi au sein de l’espace pour animer des ateliers. Déjà reconnue en France un mois avant son déploiement, l’Ideas Box a été l’un des premiers projets lauréat du concours présidentiel “La France s’engage” – mis en place par François Hollande en 2014, il récompense des initiatives « socialement innovantes ». Grâce à cela BSF espère pouvoir s’industrialiser et baisser le prix des Box de moitié pour répondre aux demandes partout dans le monde. Pour le moment elles sont toutes fabriquées par un artisan dans le sud de Paris et tout compris le kit coûte 50.000€. Une somme presque modique ceci dit, en comparaison du prix trois à quatre fois plus élevé d’un “Bibliobus”, ou en comparaison des dizaines de millions que coûte une médiathèque.
Qui plus est lorsque l’on voit la quantité de matériel mis à disposition : 15 à 20 tablettes tactiles, 5 ordinateurs, 250 livres papier, 50 liseuses électroniques, une télévision HD et un vidéoprojecteur ainsi qu’une centaine de films et documentaires ; des jeux de société et des jeux vidéo, 1 scène pour faire de la musique ou du théâtre, 5 caméras HD, un matériel varié d’arts plastiques, un scanner pour la numérisation des créations et enfin un Rasberry Pi (mini ordinateur) et un kit de “bidouille électronique”. A cela, il faut ajouter tout le contenu numérique, en ligne… « Ce sont généralement des bailleurs de fonds privés qui paient. Pour la Jordanie, c’est le Caire qui a financé et qui est aussi partenaire opérationnel, donc ils gèrent la Box sur le terrain. L’idée, c’est de toujours trouver des partenaires locaux qu’on va former et qui vont pouvoir s’approprier l’outil et le faire vivre. »
Les ateliers s’adaptent aux locaux donc, mais peuvent aussi accueillir des groupes de l’extérieur. C’est tout à la fois un lieu de rassemblement et d’échange, d’apprentissage et de création ainsi que de sensibilisation.
« La protection de l’enfance aussi a un gros impact, puisque dans les camps les enfants sont livrés à eux-mêmes, exposés à la violence. Ils savent que quand ils sont dans l’Ideas Box ils sont protégés, ils peuvent être des enfants. »
Du Burundi, où 4 boîtes sont déployées, BSF a reçu il y a un mois un film de zombies que des enfants ont fait dans un camp de réfugiés. Le témoignage d’une innocence encore présente, qui ne demande qu’à s’exprimer, malgré les séquelles de la guerre. « On leur a donné une formation, ils n’avaient jamais touché une caméra avant, et on a été sciés du résultat… En fait c’est en partie d’anciens enfants soldats et ils extériorisent beaucoup ce qu’ils ont vécu à travers ça. » Qu’ils soient jeunes ou adultes, la Box représente beaucoup plus qu’un simple accès à la culture ou à l’information.
Au Burundi, des enfants jouent sur l’une des box. Photographie © Ideas Box
Eve : « Les enfants font la queue le matin, avec leur carte de membre qui les responsabilise beaucoup, ils y tiennent comme la prunelle de leurs yeux. » Photographie © Ideas Box
La durée moyenne de séjour dans un camp de réfugié de l’UNHCR (Haut Conseil des Réfugiés) est de 17 ans. À la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar, certains vivent dans des camps depuis 30 ans. « Au-delà des besoins vitaux les réfugiés ont très peu d’opportunité, ils ont souvent perdu le contact avec le pays ou la communauté d’origine et dans ces conditions c’est très difficile de se projeter. Les problèmes psychologiques dans les camps sont assez graves notamment du fait de l’ennui. C’est un énorme problème et la réponse est très faible à l’heure actuelle dans le secteur humanitaire. On pense que c’est quelque chose de très important » nous confie Pierre Chevalier, responsable des projets internationaux à BSF. Dans ce vide identitaire, cette morne routine de survie, un espace comme l’Ideas Box devient un bout du pays de chacun et le symbole d’une nation pour tous. L’espoir d’un futur autre que celui de subsister pour le simple fait de vivre, vivre sa survie, ce qui n’a certainement plus le même sens lorsque l’on en a passé la moitié entre les tentes, au milieu du désert.
« Depuis un an et demi que les Box sont présentes au Burundi, on a pu constater un vrai renforcement des liens communautaires. Il y a des groupes de slam qui se sont formés dans l’espace, des gens ont monté des journaux du camp… Un camp s’est soulevé il y a peu parce qu’il y a eu des restrictions budgétaires pour tout ce qui est alimentaire. Ils ont tout cassé sauf la Box ; et quand la police est arrivée ils se sont tous mis autour pour la protéger. »