Bachar Mar-Khalifé est percussionniste et pianiste. Il chante aussi - en Arabe, le plus souvent. A 31 ans, ce franco-libanais a déjà sorti deux albums écrasants de beauté, organiques et intimes, à l'image de son jeu sur scène. Clique l'a rencontré, accompagné de la photographe Gabrielle Malewski.
Qui est Bachar Mar-Khalifé ?
C’est une question difficile. Est-ce que l’activité qu’on fait sur scène en tant qu’art, ce qu’on enregistre, est totalement coupée du « qui es-tu » du reste ? Je me pose la question perpétuellement. Parfois, c’est très difficile d’être à la maison et de pas penser à la scène, et inversement. Le fait que tout soit imbriqué comme ça, c’est un choix de sincérité.
Sur scène, tu n’as pas de barrière?
Sur scène, c’est pas possible. Avant chaque concert, quand je suis tout seul en loge, je me demande : « Pourquoi je m’inflige ça ? » J’enlève tout ! Mais bon, le fait est que ce concert va se dérouler, je n’ai plus d’autre choix que faire ce que j’ai à faire.
Tu parles de la musique comme d’une obligation.
Une obligation? En quelque sorte… Une nécessité en tout cas. C’est ce que je sais faire de mieux, la musique, mais ça aurait pu être autre chose, dans un autre contexte. Le but ultime n’étant pas forcément pour moi ni le bonheur ni le confort, mais quelque chose qui est lié à la résistance au sens propre. Ce n’est pas une finalité en soi pour moi, un jour ce sera autre chose que la musique.
Qu’est-ce que tu feras ?
Planter des choses, couper des bûches, m’occuper d’animaux. Ce sacré qu’on trouve en musique, on le trouve partout ailleurs. Je pense que l’engagement est autant dans l’érotisme ou dans la liberté de se promener torse nu dans le froid que dans l’engagement politique à proprement parler. L’art, l’artiste est fondamentalement engagé, il va sur scène. Je parle de l’artiste non-commercial évidemment.
Ça veut dire quoi « l’art non commercial » ?
J’ai une haine totale envers l’argent comme concept de vie, voilà. Je pense que dans une société comme la nôtre on peut pas envisager de vendre ses enfants, que dire d’une chose que j’ai créée ? Je vends mes disques, mais je ne les impose pas comme peuvent le faire certaines radios aujourd’hui. Si l’homme avec un « grand H » qui est en face de la télé ne fait que subir, boire et manger ce qu’on lui impose, il y a un problème entre le commerce et l’art.
Parle-nous de ton label
Il s’appelle « InFiné », c’est un petit label indépendant, qui a une exigence artistique. Il vend, mais pour pouvoir continuer à faire des disques. Sinon ils m’auraient pas pris dans leur catalogue je pense (rires). Je les ai rencontrés en 2009. Mon frère (Rami Khalifé, compositeur et pianiste, NDLR) était déjà chez eux avec son groupe Aufgang. Mon premier disque, Oil Slick, qui est sorti en 2010, j’avais besoin de l’enregistrer mais j’avais pas du tout en tête de le sortir. J’ai eu la possibilité avec ce label de prendre le temps que je voulais prendre. J’ai pas voulu faire de concerts, de radios… petit à petit je commence à en faire.
Chez toi, la musique, c’est de famille…
Il y mon père déjà, qui a un prénom bien français, Marcel, qui est compositeur, chanteur. J’aime pas trop parler de mon père, parce que je suis fan de ce qu’il représente musicalement aux yeux de beaucoup de gens dans le monde arabe, dans sa lutte musicale et sociale. C’est une référence pour beaucoup de gens. Lui n’aimait pas du tout que je tombe sur de vieilles cassettes, et moi ce que j’aimais le plus c’était d’aller dans son bureau, fouiller dans les archives, visionner des concerts dans des lieux pas possibles, dans les années 70-80. Dans des stades au Liban, dans des fêtes très populaires, avec deux micros et un son horrible. J’a un peu absorbé tout ça. Ça a été une école clandestine.
Ma mère chante, elle a une approche très différente de mon père par rapport à la musique. C’est faire un café, chanter le matin. Une approche très, très simple, alors que mon père tenait à ce que mon frère et moi on fasse le conservatoire. La joie de vivre de ma mère m’a sauvé, sinon j’aurais tout de suite fait autre chose je pense. L’essentiel est dans tout ce qui n’est pas officiel, dans tout ce qui n’est pas titre donné par un jury. Tout le reste est bien plus fort, ne serait-ce que la rencontre de musiciens dans un quartier gitan en macédoine, ou celle d’un chanteur de 90 ans au Yémen.
Tu es né au Liban mais tu as grandi en France. Pourquoi as-tu choisi de chanter principalement en Arabe?
C’est un peu une épreuve en fait. C’est ma langue maternelle, celle qu’on parlait à la maison, mais je n’ai pas du tout eu d’éducation scolaire en arabe. J’écris très mal, et je le lis avec beaucoup de difficulté. Quand j’écris des chansons en arabe j’ai une distance, pas de codes préétablis. Je n’ai pas subi le moule que je peux avoir dans la langue française. Le plus de liberté qu’on a par rapport à une langue, le mieux c’est.
Ta musique est presque cinématographique. C’est voulu ?
Je n’impose ni ma musique, ni ce que les gens en pensent, ni ce qu’ils peuvent ressentir. Je compose, j’écris, je chante, mais tout le reste ne m’appartient pas. Par rapport au cinéma, j’ai fait la musique de trois longs métrages, là je suis sur un quatrième. Le dernier, c’est Fièvres (réalisé par Hicham Ayouch, sorti cette année, NDLR). Celui d’avant c’est Layla Fourie, un film sud-africain qui a eu une mention spéciale à Berlin il y a deux ans. Il y a une liaison forte entre le cinéma et la musique. La musique permet certaines choses que l’image ne permet pas.
Et maintenant ?
J’ai terminé d’enregistrer mon prochain album, ce sera pour 2015. Entre mon deuxième disque et mon troisième, on a créé une sorte de conte musical, où je suis tout seul sur scène. On a travaillé la scénographie, la mise en scène, la vidéo, c’est très axé théâtre. Ça s’appelle « Le Paradis de Helki » et ce sera joué à Paris, au théâtre des Bouffes du Nord, le 26 janvier.
Le Paradis de Helki
Le 26 janvier 2015 au Théâtre des Bouffes du Nord, dans le cadre du Festival « Beyond My Piano »
Piano, voix, électronique : Bachar Mar-Khalifé / Mise en scène : Charif Ghattas / Scénographie, lumière, son, vidéo : Julien Peissel, Joachim Olaya, collectifscale
Photos © Gabrielle Malewski