On l'a vue au théâtre et au cinéma, notamment dans "La Vie d'Adèle". Baya Rehaz s'est lancée sur Internet avec sa websérie "Paris un jour de", entièrement autoproduite, où elle incarne Sonia, une "Parisienne" aussi paumée qu'attachante...
Tu réalises, tu joues la comédie, tu écris… Comment te définirais-tu ?Comme comédienne, principalement. Et comme auteur. Maintenant, je peux le dire, parce que j’ai beaucoup de projets qui arrivent à ce niveau-là.
Auteur, c’est un métier que tu as toujours voulu faire ?
J’ai toujours écrit. Mais c’est surtout par la force des choses que c’est arrivé. Quand tu es comédienne et que tu ne travailles pas, tu te dis que tu vas écrire tes propres projets. Après, je ne m’attendais pas à ce que cela prenne une telle ampleur.
Photographie © Millot Bernardin
Au départ, j’écrivais plutôt des nouvelles, des petites histoires. Je voulais être journaliste, j’écrivais des chroniques sur des blogs, jamais pour le théâtre ou pour le cinéma. Et puis ça vient parce que tu te dis « j’ai envie de tourner, d’être devant une caméra ». Tu défends quelque chose que tu as fait toi-même, et qui te fait kiffer.
Ça marche de mieux en mieux pour toi depuis que tu écris tes propres rôles, non ?
En tout cas, j’ai l’impression que le projet Paris un jour de m’a ramené beaucoup de contacts. Des producteurs, des réalisateurs…
Un producteur m’a dit « Tu as réussi ton plus grand casting, en fait ».
PARIS, un jour de gueule de bois S01- EP04
Justement, parle-moi de ce casting sur « Paris un jour de… ». Tu joues le rôle principal, celui de Sonia. Tu écris les dialogues et tu as réalisé certains épisodes. À quel moment as-tu pensé : « Je vais faire un truc toute seule, de A à Z » ?
En fait, je n’avais pas le choix. Le projet est parti au festival TV de Luchon en catégorie « Pilote ». Et lorsque j’ai frappé aux portes des sociétés de production, personne ne m’a ouvert. Et pour la petite histoire, en septembre dernier j’ai un peu vacillé, pour des raisons personnelles. Je me suis dit qu’on se sauve toujours par le travail dans ces cas-là, et j’ai décidé de me remettre en selle, en postant les pilotes sur Internet. Très vite, DailyMotion est venu me chercher. Je me suis lancée avec eux, un petit peu aveuglément.
PARIS, un jour de rupture S0 – EP 02
Je suis en autoproduction, ce qui signifie que j’écris et que je fais tout, toute seule. Je prépare les plannings, je contacte les comédiens, les techniciens, je cherche le matériel, je fais des courses pour la régie, je m’occupe des costumes, je fais toute la post-production… À partir du moment où j’ai signé chez DailyMotion et que j’ai eu des dates de rendu, j’ai dû y aller. Au début, c’est un peu contraignant. Tu pleures, tu doutes, tu te dis « Qu’est-ce que je fais ? » etc. Mais une fois que tu es dans l’action, tu fonces et tu ne réfléchis pas.
Il y a donc une saison zéro et une saison 1 pour l’instant ?
Voilà, la saison zéro c’est le pilote. La saison 1 comporte six épisodes. On en est au cinquième là, le dernier sera diffusé dans deux semaines. Ces deux derniers épisodes, j’ai eu envie de les réaliser.
L’idée de cette série t’es venue le jour de la Saint Valentin, c’est ça ?
C’est ça. L’idée de ce programme m’est venue il y a quatre ans je crois. C’était la Saint Valentin, j’étais avec des potes, on était toutes les trois célibataires. Quand tu es célibataire, tu détestes cette fête alors que si tu avais un mec, tu kifferais. Du coup j’ai écrit un petit truc sur un bout de table, qu’on tourné vraiment à l’arrache, en deux heures. On n’avait même pas de micro. J’ai posté ça sur Facebook, un peu au hasard, et ça a eu énormément de retours positifs en peu de temps. Je me suis dit qu’il y avait quelques chose à faire. Et puis j’ai écrit un deuxième épisode, en y incluant des flashbacks.
PARIS, un jour de baby-sitting S1- EP02
Et pourquoi des flashbacks ?
Je voulais que mon personnage, Sonia, soit perdu, dans la contradiction. C’était le meilleur moyen pour montrer qu’elle fait tout et son contraire. Sonia, c’est une Parisienne perdue.
Pourquoi ce choix ?
Parce que je trouve que ça correspond bien à notre génération. Aujourd’hui, on a envie de tout avoir, tu le vois en amour, par exemple, où ça casse tout le temps pour rien. Il y a trop de choix, pour tout. Pour les vêtements, pour la technologie.
C’est vrai aussi ailleurs, mais à Paris, on est vraiment dans le zapping et la consommation.
Mon personnage est comme une petite fille devant une boutique de bonbons. Elle a envie de tout goûter, et ne fait pas de vrais choix. Elle veut tout le temps briller, parce que c’est ça Paris, aussi : c’est la ville où il faut briller – on monte tous à Paris pour réussir, à un moment donné. Elle vogue entre l’image qu’elle pense projeter, celle qu’elle projette effectivement, celle que les gens projettent sur elle…
Tu dis « on monte tous à Paris pour réussir ». Cela me fait penser à une scène dans l’épisode « Paris un jour de gueule de bois » où ton personnage, Sonia, dort avec un comédien célèbre qui ne lui plaît pas du tout, mais, avant de s’en débarrasser, pense tout de même à faire un selfie avec lui…
Voilà, c’est ça ! Pour elle, Paris, c’est une ville où l’on est en constante représentation. C’est le genre de personnage qui part à Marseille et qui dénigre les filles là-bas, parce qu’elle trouve qu’elles s’habillent mal, tu vois le genre ? Elle est très contente d’appartenir à cette ville, au centre, à la capitale.
Elle n’est pas Parisienne, au départ ?
Je n’ai pas envie de le dire, d’ailleurs, je ne me le suis pas raconté. Mais aujourd’hui, ce qui est sûr, c’est qu’elle est typiquement parisienne.
PARIS, un jour d’incruste S1- EP03
Est-ce que tu en sais beaucoup plus sur ton personnage que ce que tu montres à l’écran ?
Oui, je me suis raconté beaucoup de choses, sur son travail, sur sa famille… Impossible de tout développer en seulement 6 épisodes parce que c’est très court et que ça va très vite mais oui, je la connais très bien.
Cet archétype de la Parisienne peut-il toucher au-delà des filles qui lui ressemblent ?
Je pense que tout le monde se reconnaît en Sonia, du moins par les retours que j’ai eus, parce qu’elle est touchante. C’est quelqu’un qui a tout pour réussir – elle est un peu odieuse, mais elle n’est pas bête. Mais elle n’y arrive pas, et c’est ce qui la rend touchante. Dans le dernier épisode qui est sorti, on la voit chez le psy. Le médecin lui demande pourquoi ses amis l’ont choisie, et elle ne sait pas lui répondre.
PARIS, un jour de psy S01 – EP5
Elle ne sait pas dire pourquoi on l’aime, parce qu’elle-même ne s’aime pas. Après, je l’ai faite un peu Parisienne dans son caractère parce que c’est hyper cool, les personnages comme ça : on a envie de les détester. Mais il y a toujours un twist à la fin qui montre qu’elle a conscience de ce qu’elle est.
C’est toi qui écris les blagues ? Il y a certains passages extrêmement drôles.
J’écris tout. Toutes les punchlines sont de moi, pas d’improvisation dans ce programme.
Tu as toujours fait de l’humour ?
Pas du tout, quand j’étais à l’école de théâtre, j’étais même la tragédienne. Ma coach, qui était à la Comédie-Française, me donnait à jouer Andromaque, Antigone… C’est pour ça que je rajoute toujours un peu d’émotion dans ce que j’écris. Mais après, j’ai découvert que je savais aussi faire de l’humour, en racontant des histoires à mes amis. Et puis en France, c’est ce qui marche ! C’est bien d’écrire un truc triste, mais je me dis ça ne va motiver personne avec l’ambiance morose dans laquelle on évolue déjà. L’humour, ça se regarde facilement et ça détend les gens… Même si je sais que le mien est assez cynique et trash.
C’est vrai que tu te filmes quand même en gros plan, en train de baver par exemple. En tant que fille, ce n’est pas encore la norme. Est-ce que c’est bien vu, est-ce que c’est un danger, un parti pris ? Qu’est-ce que cela veut dire, de faire ça aujourd’hui ?
Le cinéma français aime bien les gens beaux, ne pas les salir, les maquiller, etc. Mon projet, c’était vraiment que les gens se reconnaissent, et quand tu dors, tu baves. J’ai vraiment un souci de réalisme permanent, dans les moindres détails.
Je ne fais pas ça pour dire « regardez comme je suis belle, je suis une comédienne, regardez comme je suis jeune ». J’en ai rien à foutre. Je dis plutôt « Regardez je sais jouer, et je sais me mettre en danger ». Je suis comédienne avant tout.
Je suis assez fine et grande donc on vient souvent me chercher pour des trucs un peu glam’, sex… Dans ce projet, je ne me mets pas du tout en valeur. Je ne suis pas coiffée, souvent pas maquillée du tout. Mais ça ne me pose aucun problème, et ça a été presque une thérapie pour moi : c’est moi qui monte les épisodes, avec ma monteuse, et je ne me regarde plus comme un comédien pourrait se regarder, en se disant « Ah, je n’aime pas ce détail de mon physique ». Je regarde le jeu.
Est-ce que tu trouves que ça bouge en France ? Mouloud Achour interviewait l’humoriste Laura Domenge, il y a quelques jours, elle disait : « d’une manière générale je trouve qu’on est assez limitées au niveau de la distribution en tant que nana »
En France, ça commence à bouger. On n’est pas là pour une pub. On est là pour raconter des trucs, pour que ça parle aux gens, pour dire des choses d’une génération…
Mon postulat de départ, c’est « la femme est un homme comme les autres ».
Les filles, quand elles se réveillent, ont des crottes aux yeux et des crottes de nez comme tout le monde. C’est juste normal, point.
Parle-moi un peu du cinéma. On t’a vue dans la vie d’Adèle, mais tu as eu plusieurs rôles au cinéma depuis. Lequel t’a le plus marquée ?
Il y en a deux. Il y a La Vie d’Adèle, parce que travailler avec Abdellatif Kechiche, c’est incroyable. Tu développes quelque chose de très spécial avec lui, tu as envie qu’il te voie, qu’il te regarde. Il me soutient encore. Sa boîte de production, me prêtait les micros à chaque fois, pour Paris un jour de. J’ai fait un film canadien, tout en anglais. Un film de genre, Afflicted, où il y avait de la cascade et des combats. Je joue le rôle principal féminin. Il a eu pas mal de récompense dans les festivals de genre. Mais il n’est pas sorti en France, c’est ma chance à moi ça… (rires).
Quel est ton rapport à Internet ?
J’ai eu un blog avec ma soeur qui s’appelait Les reuss’. On y référençait des plans culturels gratuits ou très très peu chers et de qualité, à Paris. Et aujourd’hui, avec tout ce qui se passe avec Paris un jour de, je peux dire que le net m’a sauvée ! Merci le net !
Et lorsque tu es sur Internet, tu cliques sur quoi ?
Sur Facebook. Merci Facebook, aussi. J’ai trouvé pratiquement toutes mes équipes sur Facebook, il suffisait de poster une annonce. C’est aussi comme ça que j’ai contacté des comédiens que je ne connaissais pas. C’est aussi sur Facebook que Dailymotion m’a repérée. Même aujourd’hui, le projet est sur Dailymotion, mais s’il n’est pas partagé sur Facebook, c’est comme s’il n’existait pas. Pour moi, c’est la référence. Depuis quelques temps, je suis sur Insta. Je fais de selfies avec des duckfaces (rires). Et Twitter, pour l’actualité.
Et il y a un lien que tu conseillerais, sur Internet, une vidéo, un clip… ?
Oui, c’est une interview de Jacques Brel, qui s’appelle Interview à Knokke. Elle dure une demi-heure. Je la regarde assez souvent, parce qu’il parle de son rapport au talent et au travail. Brel dit que le vrai talent n’existe pas. Le talent, c’est celui de faire ce qu’on a envie de faire, manger un homard par exemple. Il dit « Moi, les artistes, je ne connais pas. Mais le travail et la sueur, je connais ». Ça me parle énormément.
Récemment, on t’a aussi vue au théâtre.
Oui, dans la pièce Hibernatus en début d’année, pendant 3 mois.
Websérie, cinéma, théâtre… Est-ce que tu as défini des priorités ?
Ma priorité, c’est de jouer. Être comédienne, c’est aussi se sentir désirée par des réalisateurs, sortir des rôles que l’on a l’habitude de jouer. Ca me fait du bien de sortir un peu de Sonia de temps en temps. Il faut savoir montrer que tu sais faire d’autres choses, et surtout, il ne faut pas l’oublier.
Photographie à la Une © Chloé Bonnard