« Évidemment, je conçois que certains n’aimeront pas, sans même avoir écouté ». Humble, le YouTubeur Mister V (Yvick Letexier pour l’état civil) sait que son nom ne fait pas rêver les amateurs de rap. Certains verront déjà derrière lui les spectres des Fatal Bazooka et autres Kamini, représentants ultimes de la parodie de rap. Il n’en est rien : V est un fan de rap qui a eu le courage d’aller au bout de son envie et… son album tient la route.
Il ne s’agira pas ici de glorifier ou descendre l’album de Mister V (Double V, sorti le 19 mai dernier) mais plutôt de tenter de mettre des mots sur une démarche artistique, celle d’un jeune humoriste de l’ère Internet, fan de rap, et qui a profité de sa position pour se consacrer à sa passion (in)avouée.
Qu’il soit en solo ou avec sa troupe du Woop, les habitué(e)s de ses vidéos connaissent son attrait pour l’absurde et les situations du quotidien. Mais le jeune YouTubeur s’est aussi fait remarquer pour son rapport plus ou moins assumé avec la musique.
C’est sur YouTube que Mister V a expliqué à ses fans les raisons qui l’ont poussé à enregistrer l’album Double V.
À force d’utiliser l’auto-tune pour accentuer ses punchlines comiques dans ses vidéos, Mister V se prend au jeu et commence dès 2012 à publier ses premiers clips. Mais il faut encore attendre un peu pour que le jeune homme trouve l’équilibre entre musique et humour. Pendant longtemps, la vidéaste a mêlé ses deux passions mais toujours au profit du rire.
Dans l’équation de la musique de Mister V, il y a une inconnue : l’amplitude de son respect pour le Hip-hop. En témoigne le titre de sa série de clips : Sapassoupa – Ça passe ou pas ? – qui met en évidence le caractère expérimental du projet, certes à teneur humoristique, mais qui trahit peut-être encore un manque de confiance dans le fait de prendre le micro.
Il aura donc fallu plusieurs étapes et beaucoup de temps avant que Mister V ne prenne le risque de se consacrer à un projet musical à part entière. Annoncé pour la première fois en 2015, Double V s’est fait attendre jusqu’en mai dernier. Alors ?
Après plusieurs semaines d’écoute et des heures de discussion internes à la rédaction, voici cinq arguments pour prendre au sérieux Double V, le premier album de Mister V.
« Je comprends que certains vont aimer ma musique sans assumer ». S’il a eu le courage de sortir son premier album de rap à 23 ans, Mister V sait que son nom n’est pas (pour le moment ?) synonyme de créativité musicale, ni de rap conscient, et encore moins de street cred. Loin de se voiler la face, le Grenoblois mesure pleinement la circonspection que son projet peut susciter et préfère la jouer mollo niveau egotrip. Sa stratégie : miser sur le second degré quant à sa démarche ; Yvick préfère prendre au sérieux le rap, plutôt que de se prendre lui-même au sérieux en tant que rappeur.
« J’oublie pas d’rendre le flow qu’j’ai volé à Drake » – Mister V, « Petit Déjeuner ».
Yvick ne perçoit pas le rap comme un passe-temps musical. Chaque incursion dans le Hip-hop semble le faire jubiler : une apparition dans un clip de Nekfeu, une analyse des nouveaux phénomènes de rap dans l’une de ses vidéos… Mister V vit au quotidien le rap et ça se ressent. Il le confie dans sa conversation Clique : c’est cet amour (et un emploi du temps chargé) qui l’a poussé à beaucoup réfléchir sur sa démarche avant de se lancer. Si l’album peut déplaire à certains, Double V sonne clairement dans l’air du temps et n’a pas à rougir de la comparaison avec d’autres projets. Instrus trap, auto-tune calibré, Mister V fait du rap de 2017 et laisse même entrevoir une approche plus maîtrisée qu’il n’y paraît.
Dans cette vidéo, Mister V illustre bien son statut d’observateur privilégié du rap.
Qu’on le veuille ou non, s’aventurer dans une nouvelle discipline est risque (demandez leur avis à Michael Jordan ou Christophe Hondelatte). Ne pas être pris au sérieux, voir ses efforts moqués ou ignorés… La liste des artistes étant passés avec peu de succès de la musique à l’acting (et inversement) est longue. Et l’on peut multiplier par deux la puissance de la déflagration quand il s’agit du rap. Mais malgré le gigantesque potentiel de trolling généré par un album enregistré par un humoriste du web, Mister V a plongé la tête la première dans le challenge.
« Les puristes veulent pas que je rappe, tant pis je le fais quand même » – Mister V, « Top Album ».
Dans cet album, le rappeur prend une position inédite et qu’il assume assez bien : de l’egotrip émasculé par un second degré adolescent, qui annihile toute tentative de prise au sérieux et dévoile un peu de sa personnalité en filigrane. Yvick se révèle être un jeune homme ambitieux, qui doit faire face aux mêmes galères que tout le monde : la procrastination, son rapport fantasmé aux USA, et même une certaine attitude d’hermétisme face au succès. Assez inattendu.
Le clip « Venice », où Mister V clame son amour pour Los Angeles.
Peut-être le point le plus clivant de cette liste. Avant d’être l’artiste protéiforme/glamour qu’il est aujourd’hui, l’américain Donald Glover représentait la figure de l’adolescent weirdo avec qui on a tous traîné à un moment de notre vie – si on ne l’a pas été soi-même. Du stand-up à la série Community en passant par la musique, Donald Glover s’est peu à peu libéré de son image d’humoriste pour laisser s’exprimer toutes les facettes de sa créativité (la série Atlanta et Awaken, My Love! l’un des albums les plus plébiscités de l’année). Quand on compare les deux trajectoires, on ne peut s’empêcher de souhaiter à Mister V d’être au début de son éclosion artistique : humoriste, acteur au cinéma, rappeur… Les points communs sont multiples, il ne reste à Yvick qu’à s’incruster chez Marvel et dans Star Wars, quitte à nous rendre très jaloux.
Mister V emprunte-t-il le même parcours que Donald Glover ?
D’ailleurs, le titre d’un album de Childish Gambino résume assez bien ce qui a permis à Mister V, icône de cette génération touche à tout, de pouvoir créer cet album : Because the Internet.
Photographie à la Une © Capture d’écran Youtube.