Difficile d’être passé à côté de la triste nouvelle : Matthew Perry, l’interprète de Chandler Bing, est décédé à l’âge de 54 ans le 28 octobre dernier. L’acteur, engagé dans la lutte contre les addictions à la drogue et à l’alcool dont il était lui-même victime, a marqué toute une génération pour son rôle dans la mythique série Friends ayant ouvert le débat sur de nombreuses thématiques encore tabou à la télévision des années 90. Retour sur les meilleures interactions de Chandler Bing, indicateur de changement sur nos écrans.
Friends, c’est 10 saisons, 236 épisodes et 10 ans de suivi assidu des fans, grandissant avec le groupe d’amis et vivant avec eux les mêmes galères quotidiennes. À une époque où les séries populaires étaient plutôt axées amour impossible, argent, palace et trahison avec des Melrose Place, Beverly Hills, Côte Ouest ou autre localité de richou, plus facile de s’identifier et se projeter avec les personnages accumulant les loses de Friends.
« Hi, I’m Chandler, I make jokes when I’m uncomfortable. »
Si la série est aujourd’hui, à juste titre, critiquée pour son manque de diversité, d’inclusion et les remarques déplacées voire totalement inappropriées de certains personnages, on ne peut renier l’avancée qu’a permis Friends dans le format sitcom et les sujets qu’il aborde.
Chandler Bing c’est un peu le chouchou de la bande, celui faisant consensus chez le public qui se retrouve dans son aspect bancal, inadapté à la société, toujours un peu à côté de ses chaussures.
Au-delà de son rôle de névrosé sarcastique, roi de l’humour cynique et touchant dans sa maladresse sociale, Chandler Bing nous pousse souvent à la réflexion par ses remarques acides sur la société qui nous entoure. Féminisme, homophobie et transphobie… Qu’il soit à l’origine de messages positifs ou les véhiculant malgré lui, Chandler ouvre la discussion sur de nombreuses thématiques encore trop taboues à la télévision.
“Sometimes I wish I was a lesbian… Did I say that out loud ?”
Dans le trio masculin, Chandler Bing est celui qui remet le plus en question le concept de masculinité, toujours à côté de ce qu’on attend de lui, multipliant les interactions sociales un peu gauches. Ses goûts musicaux, ses blagues… Tout au long de la série on met en avant sa “féminité” qu’il tourne lui-même à la dérision dans son mécanisme typique de protection. Si ses amis aiment en rire, le personnage n’est jamais poussé à changer, à devenir “plus homme” ou à correspondre aux normes attendues de son genre.
Chandler est aussi à l’origine de plusieurs scènes mythiques de la série, questionnant ces mêmes standards genrés. Lorsque Joey (Matt Leblanc) décide d’acheter un sac à main, il est directement moqué par Ross (David Schwimmer) et Chandler, qui se mettent à l’insulter de “fille” (comble du malheur). Face à leur sexisme affiché, le public se met à rire, non pas avec mais bien de leur propre bêtise. Tournés en ridicule, c’est à plusieurs reprises que la réalisatrice Martha Kauffman met en avant des comportements clichés, sexistes et misogynes afin de les décrédibiliser par l’humour. Sans accusation, sans jugement, elle met le public face aux réactions banalisées de son époque (qui semble être encore souvent la nôtre) afin de les dénoncer.
C’est aussi grâce au personnage de Chandler que le public de Friends a eu droit au meilleur cours d’éducation au plaisir sexuel féminin. Doutant de ses performances au lit, c’est auprès de Monica (Courteney Cox) et Rachel (Jennifer Aniston) que Chandler demande conseil. S’ensuit l’une des plus grandes scènes de déconstruction masculine pour une série de cette génération. Chandler, tout étonné, apprend qu’il existe non pas une mais plusieurs zones érogènes et que l’écoute, le partage et la découverte de l’autre sont essentiels à une bonne nuit partagée. Une scène que l’on revoit toujours avec plaisir tant elle sort des représentations habituelles.
“We swallow our feelings, even if we’re unhappy forever. Sound good ?”
Le personnage de Chandler est aussi connu pour son incapacité à s’engager, cumulant névroses et angoisses du monde adulte. Enfant de parents divorcés, sa peur de l’abandon est abordée à de nombreuses reprises au sein du groupe d’amis. La série met en avant l’impact que le divorce peut avoir sur les plus jeunes à une époque où les séparations des couples mariés se multiplient et deviennent plus communes. Le tout est mis ensuite en perspective lorsqu’on rencontre finalement ses parents. On comprend alors comment ils ont pu s’épanouir l’un sans l’autre : une nouvelle fois pas de diabolisation et le tout toujours en humour.
Le couple atypique que forment ses parents est aussi une nouveauté à la télévision des années 90. Sa mère est autrice érotique et son père a fait son coming out transgenre au moment du divorce avant de devenir dragqueen à Las Vegas. Alors évidemment, on ne peut ignorer la succession de blagues transphobes, mégenrages et maladresses scénaristiques qui composent l’arc de la relation entre Chandler et son père (qu’il continue de nommer ainsi). On ne peut pas glorifier la série sur sa représentation de la transidentité mais on ne peut pas non plus lui retirer son aspect précurseur.
Le personnage d’Héléna Charles Chandler (Kathleen Turner) n’est pas qu’un running gag sur son identité et on trouve une narration plus profonde sur son lien avec son fils et leur retrouvaille. Chandler devient un adulte au cours de la série, par ses relations mais aussi par son pardon auprès de ses parents, acceptant finalement leur séparation, leur vie et qui il est devenu après tout cela. Devenir adulte passe aussi par sa confrontation avec cette peur de l’abandon, accompagnée d’une énorme peur de l’engagement que le public peut suivre tout au long des saisons. Les spectateurs assistent à l’éclosion du personnage qui trouve le courage de se lancer dans une relation amoureuse tout en vulnérabilité et avec la maladresse qui le caractérise. Un petit bonheur pour le cœur.
Chandler est touchant par son accessibilité, on se retrouve toutes et tous à différentes échelles dans les problématiques qu’il rencontre et on s’investit personnellement dans sa quête identitaire. Le voir démissionner de son job qu’il subissait depuis des années, que lui-même ne semblait pas comprendre et qui malgré tout lui rapportait un bon pactole, pour revenir au stade de stagiaire à 30 ans, transmet un message du genre “tout est possible, il faut juste se lancer”, qui fait toujours mouche dans ce type de série.
Avec Chandler on apprend que sortir de sa zone de confort est toujours effrayant mais terriblement efficace pour ne plus devenir spectateur de sa propre vie.