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LA VIDÉO DU JOUR : Grandmas Project, la web-série qui raconte des histoires de grand-mère via leurs recettes de cuisine

Grandmas Project est une web-série collaborative créée par Jonas Parienté, qui invite des réalisateurs du monde entier à raconter l’histoire de leur grand-mère à travers des recettes de cuisine. Le projet a reçu le patronage de l’Unesco en janvier 2016 pour son travail visant à « sensibiliser le grand public au patrimoine culturel immatériel par le biais d’outils numérique ».

Parmi les différents courts-métrages que l’on retrouve sur le site, Clique a été touché par l’épisode de la réalisatrice Frankie Wallach, durant lequel sa grand-mère Mamie Julia partage sa recette du Kneidler (un bouillon de poulet). Rencontre juste après la vidéo ci-dessous.

Grandmas Project : le Kneidler de Mamie Julia, avec Frankie Wallach.

Clique : Expliquez-nous un peu plus le Grandmas Project.
Frankie : C’est un projet qui a été fondé par Jonas Parienté, le producteur. Il avait fait son premier court-métrage avec sa grand-mère Nano sur la molokheya (plat tunisien, NDLR). Après ça, il a décidé de l’affiner et de l’étendre à différents réalisateurs. Les consignes étaient : de faire une recette de cuisine avec sa grand-mère ; de la filmer en train de la préparer, sur un format de huit minutes ; d’être seul(e) avec elle, sans aucune tierce personne, car il tenait à voir la proximité et la relation entre les grand-mères et leurs petits-enfants. Mon film ouvre la deuxième saison, et chaque mois le site en propose un nouveau.

Mamie Julia, vous avez tout de suite accepté ?
Julia : Oh, moi, pour mes petits-enfants, je donnerais tout !

Qu’est ce que le Kneidler, et pourquoi avoir choisi ce plat ?
Frankie : Parce que je voulais absolument faire un plat ashkénaze (qui désigne les Juifs issus d’Europe occidentale, centrale et orientale, NDLR). J’aime beaucoup ce plat, on le mange à Pessa’h (les pâques juives, au cours desquelles on ne doit pas consommer d’aliments à base de pâte levée et/ou fermentée, NDLR), car il est constitué de pain azyme. J’aime avoir l’occasion d’en manger et m’auto-proclame experte du Kneidler.
Julia : Les Séfarades (qui désigne les Juifs originaires d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, NDLR) ne connaissent pas ou très peu ce plat. Chez nous, c’était un plat populaire.

Un Kneidler de la chaîne YouTube « Joy of Kosher ».

Julia, dans le film vous dîtes que cela fait plus de trois ans que vous n’avez pas cuisiné. Pourquoi ? Comment avez-vous appris à cuisiner ?
Julia : Parce que, depuis que mon mari est décédé, j’ai eu un vide. On cuisinait tous les deux. J’ai appris avec un livre de cuisine. Un peu aussi avec ma mère, pour l’aider à faire des carpes farcies. On n’avait pas de moulinet, donc c’est moi qui faisais tout. Je l’aidais, elle travaillait tellement ! Je n’ai pas eu le temps d’en apprendre plus, car quand nous avons été arrêtés j’avais seize ans.
Frankie : Mais tu cuisines très bien la cuisine française…
Julia : Ah bah oui, je fais un très bon boeuf bourguignon ! (rires)

Julia, vous vous reportez, pour des moments de la vie quotidienne, à votre expérience des camps de concentration. Vous vivez avec ce souvenir ?
Julia : Les deux ans que j’ai passés aux camps ont été, en quelque sorte, déterminants pour plusieurs détails quotidiens de ma vie. Pendant cinquante ans, personne ne voulait nous écouter. C’était tabou, on ne voulait pas en entendre parler. Même entre juifs nous étions discriminés : ceux qui avaient été déportés étaient mal vus… Nous avons réussi à nous reconstruire, à avoir une vie normale et heureuse. Mais évidemment cela reste un souvenir ancré.

Julia, nous sommes chez vous pour faire cette interview. C’est également ici que vous avez tourné votre vidéo. Racontez-nous l’histoire de cet appartement.
Julia : C’est l’appartement de mes parents, je suis née ici. Ils y avaient aussi leur atelier, car ils travaillaient là. On s’est fait arrêter dans notre appartement car je cachais mon père et mon oncle. Ce jour-là, mon oncle était bruyant et parlait fort en yiddish, et alors le yiddish… Fallait pas l’entendre parler.

J’ai été suivie pendant quelques mois, puis ils nous ont arrêtés. Quand je suis rentrée des camps, l’appartement était occupé et le propriétaire ne voulait pas que je le reprenne.

Nous sommes revenus en mai et je n’ai pu le récupérer qu’au mois de novembre. Il était tout vide, j’ai trouvé un bouton qui m’appartenait, c’était tout ce qui restait… J’avais vingt ans. J’ai vu le quartier changer radicalement (elle habite dans le 11ème arrondissement, NDLR). Derrière, c’était des marchands de peaux, ensuite on vendait des frigidaires, etc. Plus tard, mon mari est venu vivre ici avec moi, c’est devenu notre appartement. J’ai eu mes deux enfants ici aussi. Et nous voilà en train de faire l’interview ici-même avec ma petite-fille. Si les murs parlaient, ils auraient de quoi raconter !
Frankie : C’est vraiment la maison de Julia !
Julia : Oui, et de Marcel. (son mari, NDLR).

C’est quand même une maison heureuse ?
Julia : Oh oui, nous étions heureux.

Julia, vous avez 92 ans. Dans le film, Frankie remarque que vous êtes très en forme pour votre âge. Est-ce important pour vous d’avoir toujours l’air en forme ?
Julia : Il vaut mieux faire envie que pitié ! (rires)

Julia montre son tatouage de déportée.

Dans le film, on découvre les conséquences des camps, les souvenirs douloureux, le tatouage numéroté de Julia… J’ose à peine dire que tout le film est drôle et joyeux. Etait-ce le but ?
Frankie : On a tellement l’image des grand-mères yiddish tristes, portant un passé douloureux… Je ne voulais pas faire un film sur la déportation ou un témoignage de ma grand-mère, je voulais que ce soit un film joyeux. Ce qui m’a plu était de traiter d’un sujet triste, sans mettre de gants. Dans ma famille, nous avons grandi en parlant des camps quotidiennement avec ma grand-mère.

On se permet d’en rigoler dès qu’on voit un pyjama à rayures, on a un second degré peut-être bizarre mais qui nous fait rire…

Je n’avais pas besoin de lui préciser d’en parler car je savais qu’elle allait le faire. Dans le film, nous étions juste nous-mêmes, et Mamie est autre chose que seulement ces camps-là. On n’est pas là pour en rire, mais comme la vie de Mamie est joyeuse et qu’on l’est tous grâce à elle, mon but était d’abord de la faire découvrir par sa modernité et son humour, et qu’après on se rende compte qu’elle a vécu les camps. Il fallait forcément aborder ce sujet, mais à sa manière à elle.
Julia : J’ai emmené chacun de mes petits enfants à Auschwitz-Birkenau. Je les ai toujours emmenés en hiver, jamais au printemps !

Vous utilisez parfois quelques mots en yiddish dans vos phrases. Est-ce que vous le pratiquez encore ?
Julia : C’est rentré dans le vocabulaire américain : pour un con ils disent un « schmock », et il y a un tas de mots yiddish qui sont devenus américains. C’est encore le seul pays où on le parle. Ici, je n’ai personne avec qui le pratiquer. Je le parlais surtout avec mon papa. Ma mère voulait que je lui apprenne le français, j’ai réussi à la faire parler comme une alsacienne. Aujourd’hui, j’utilise toujours quelques mots en yiddish dans mes phrases.

Un échange de SMS de Julia.

Vous avez l’air de bien manier votre smartphone, vous l’utilisez beaucoup ?
Julia : Je suis dans un groupe Whatsapp, je lis tout ce que les membres de ma famille disent mais je ne réponds pas. Par contre j’envoie des textos, et puis quelqu’un m’a mis sur Facebook. Ça me gêne pas. Enfin, rien d’extraordinaire…
Frankie : Mais tu utilises des applis comme Uber…
Julia : T’as peut être raison d’être étonnée mais pour moi c’est normal. Il faudrait que je m’y mette plus !

Frankie, vous filmez votre grand-mère dans des moments intimes, comme sa toilette, pourquoi?
Frankie : Je la trouve belle quand elle se maquille. Une grand-mère qui se prépare, qui fait encore attention à elle, à 92 ans, et qui a perdu son mari… Ça reflète aussi la mentalité qu’elle a eue toute sa vie durant. Le moment où elle se maquille dans le film relate son quotidien : elle ne l’a pas fait parce qu’on la filmait ,mais parce que c’est dans ses habitudes.

Julia se maquille dans sa salle de bain.

Propos recueillis par Najwa Harfouch.
Image à la une : capture d’écran du film de Frankie Wallach.

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