Le Gros Journal du 16/01 – Le gros journal… par legrosjournal
Ce soir, Mouloud Achour pose le plateau du Gros Journal place de la Nation, à la rencontre de Gaspard Glanz, journaliste indépendant fondateur de Taranis News spécialisé dans la couverture des mouvements sociaux. ZAD de Sivens, Loi Travail, Jungle de Calais : fiché « S » et sans carte de presse, ce « journaliste préféré de la génération Nuit debout » va là où les autres ne vont pas. Il nous raconte son obligation de pointer tous les samedis au commissariat de Strasbourg, les deux procès qui l’attendent, sa vision du journalisme, et la violence croissante qu’il observe dans les manifestations.
Mouloud Achour : Comment ça va, Gaspard ?
Gaspard Glanz : Très bien et toi ? Merci de m’avoir invité !
Merci d’être là, on a souvent vu tes images mais on a jamais vu l’auteur de ces images, merci d’avoir accepté l’interview, merci d’avoir accepté de montrer ton visage à la télévision. Pourquoi est-ce que tu t’étais caché jusque-là ?
Je ne m’étais pas caché, mais je considère que mon travail c’est d’être derrière la caméra et pas devant. Ce sont deux travaux différents.
Tes images ont fait le tour des réseaux sociaux, elles ont une puissance virale assez forte. Comment t’est venue cette vocation ?
J’ai commencé à m’y intéresser de manière étudiante après m’être impliqué dans les mouvements sociaux, et plus tard j’ai eu le choix de devenir journaliste, de faire une école de journalisme qui dure deux ans, ensuite probablement être stagiaire, 2 à 3 ans…
Rapidement, avec plusieurs potes, on a considéré que c’était plus simple de monter notre société, quitte à ne pas gagner d’argent les premières années, mais de faire ce qu’on avait envie de faire de la manière dont on avait envie de le faire, en respectant les règles et les codes du journalisme.
Quelles sont les règles et les codes du journalisme dont tu parles ?
Je ne donne pas mes idées. Souvent dans la manière dont je filme, on a l’impression que je donne mes idées, mais franchement je ne les donne pas.
Il y a des journalistes en France qui ont la carte de presse, qui passent leur temps à donner leur avis qui ne sont jamais sur le terrain, et pourtant on les considère comme de très grands journalistes !
On est sur la place de la Nation là. Mes images, les images que tous les photographes ont faites, les images que tout le monde a vues sur la Loi Travail, ont été faites aux trois quarts par des gens qui n’ont pas de carte de presse. Pourtant elles étaient dans Libé, elles étaient dans le Monde, elles étaient dans Nouvel Obs, etc. Et c’est un vrai problème !
Parlons de ta situation par rapport à la Justice. Avant de préparer cette interview, on s’est rencontré et tu as débarqué dans mon bureau avec des documents qui prouvent que tu as une fiche “S”…
C’est une longue histoire ! Premièrement, j’ai été arrêté à Calais et mis en garde à vue le 26 octobre, au moment de l’expulsion de la « Jungle » pour vol de talkie-walkie de la police nationale. Alors il faut revenir un petit peu en arrière.
C’est le talkie-walkie que tu avais instagrammé ?
Voilà, c’est ça. Alors on revient trois semaines en arrière, au 1er octobre, il y a une manifestation de migrants et de soutiens au sein de la « Jungle ». Tout à coup il y a un buisson qui se met à parler à côté de nous, en fait c’est un policier qui, en reculant, avait perdu son talkie-walkie.
Ce n’était pas un buisson ardent.
C’était pas un buisson ardent, c’était un buisson parlant. Alors évidemment je garde mes déclarations pour la justice, mais on ne l’a pas volé. Je suis pas assez con pour mettre dans la poche un talkie-walkie de la police au milieu d’une jungle où on est entourés par une armée de policiers.
Il y a un autre post Instagram de toi qui a provoqué la police, c’était une photo…
Ah oui ! En fait je suis accusé d’injure publique pour avoir posté une photo où l’on voit la police en civil de Rennes, qui en fait à ce moment-là est le dernier rempart de maintien de l’ordre entre les manifestants de la Loi travail et le centre-ville, poser. On le voit sur la photo, ils posent, ils montraient les gros bras pour empêcher les manifestants de rentrer dans le centre-ville. Et cette photo est très parlante.
C’est quoi la légende que tu as mise ?
J’ai mis “Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer”, ce qui est le slogan électoral d’Adolf Hitler au moment de la seconde guerre mondiale. On va même remonter en arrière, ce sont les Autrichiens qui utilisaient ce slogan pour demander à être intégré à l’Allemagne, la grande Allemagne d’Adolf Hitler. J’ai voulu faire un comparatif historique entre deux périodes électorales, celle de 1933 en Allemagne et celle de 2017 en France, et j’irai le défendre comme la liberté d’expression devant le juge et encore aujourd’hui je maintiens que j’ai le droit de faire ce qui peut être comparé à une caricature mais pas une injure.
Concrètement, ça veut dire quoi d’être fiché S dans ton quotidien ?
En gros ils doivent justifier mon contrôle judiciaire. Aujourd’hui je dois pointer une fois par semaine au commissariat de Strasbourg jusqu’à mon procès pour le talkie-walkie de mars et je n’ai pas le droit de me rendre dans le Nord-Pas-de-Calais. Ce qui veut dire par exemple que là, la situation à Calais avec les migrants est loin d’être réglée, je n’ai pas le droit d’y mettre les pieds. Si je mets un pied dans le Nord-Pas-De-Calais, c’est six mois de prison et 75 000 euros d’amende.
Comment ça se passe quand tu veux vendre des images à une chaîne de télévision ? Est-ce que tu arrives à en vivre ?
C’est très compliqué de répondre à ces questions, moi j’ai une société c’est une SARL, ça coûte super cher, là je peux le dire parce que l’année est finie, notre chiffre d’affaire sur 2015 c’est 50 000 balles, ils ont tous été dépensés en déplacement, en matériel etc .. Je me suis payé 5 000, 10% de la somme, sur toute l’année. Tu divises 5 000 par 12 et tu as mon salaire – en brut.
Est-ce que tu as du matériel de protection ?
Sur la place de la Nation, pendant les manifs, c’était un masque à gaz, une paire de lunettes de protection qui évite des éclats dans les yeux, un casque, éventuellement une trousse de secours. Pendant les manifs sur la Loi travail, elle s’est vidée cinq fois parce que j’ai soigné des collègues. Dans l’équipe on a une plaie de sept centimètres sur le crâne à coups de matraque, on s’en est sorti avec quelques éclats de grenade mais ça va, c’était dans les jambes. Il y en a qui ont eu beaucoup moins de chance au bout du boulevard. Il y en a notamment un qui s’en est pris une, et qui est restée dans le coma pendant plusieurs jours.
Je vais me faire l’avocat de la police mais est-ce que tu ne penses pas que quand tu vois un mec arriver dans une manif avec un masque à gaz, un équipement de protection, une caméra et tout, tu flippes ?
Dans les manifs que je faisais en 2006/2007, ils lançaient des grenades, ils te tapaient dessus avec une matraque mais ils ne te levaient pas une arme vers le visage, même si c’est une arme non létale. C’est un geste qui a beaucoup changé la réponse des manifestants aussi.
Maintenant, quand la police nous fait face et que c’est vraiment compliqué, il y a une espèce de rangée de fusils qui se lèvent, tu as un canon de 4 centimètres de diamètre qui te vise la tête. Manifestants ou journalistes, ça nous terrifie ce truc-là : les dégâts que ça fait, c’est vraiment considérable.
Est-ce que toi par exemple tu pourrais, dans le cadre de ton travail, également aller filmer une manifestation de policiers ?
Je l’ai fait ! Et j’ai même été un des premiers à filmer leur manif’ de policiers au mois d’octobre, je me sentais un petit peu bizarre, je n’étais pas très à l’aise.
Quand on est là et que je filme les manifs, la police me considère comme un militant, mais quand je suis sur les Champs-Élysées à filmer leur manif sauvage, ils sont bien contents que je sois là.
Pour toi quel est le plus gros chantier de 2017 ?
L’après-élection présidentielle… C’est pas l’élection présidentielle, je pense que ça va être assez calme jusqu’à l’élection, parce que tout le monde attend de voir à quoi ça va ressembler jusqu’au dernier moment, et de la même manière qu’il y a eu une espèce de choc au moment de l’élection de Trump, quel que soit le candidat qui sera élu – et je suis assez pessimiste à ce propos – je pense que ça va devenir compliqué après.
C’est un climat qui est toujours apaisé, avant une élection. Parc contre je me rappelle que le soir de l’élection de Nicolas Sarkozy, j’étais à Rennes, et il y a eu des émeutes pendant deux jours. Peu de gens se souviennent de ça mais le soir de son élection, le 6 ou le 7 mai, c’est le premier flashball que je me prenais dans ma vie ! Et j’étais pas journaliste à cette époque.
Merci Sarkozy !
Et d’ailleurs j’ai gardé une grenade lacrymogène, et j’ai mis “6 mai 2007” dessus, et elle est chez moi dans ma chambre, c’était ma première grenade, le soir de l’élection de Sarko. Donc j’attend l’après-élection, j’espère que notre pays va s’en sortir…
Moi j’espère que tu as bien rangé ta chambre avec tes grenades.
J’ai surtout planqué mes disques durs, c’est surtout ça !
Qu’est-ce que je peux te souhaiter pour 2017 ?
La Santé, comme toi !
Pas la prison, hein !
Tout le monde m’a fait cette blague à Noël : “Alors, pas en prison ?”…
Gaspard, merci d’être venu au Gros Journal !
Merci de m’avoir invité !