Juste après la diffusion du Gros Journal, retrouvez en exclusivité la suite de l’interview en version longue sur Clique. Mouloud Achour, son invité et un gros +. Ce soir, Mouloud Achour rencontre l’actrice et réalisatrice Emmanuelle Bercot à la Fémis, la prestigieuse école de cinéma où elle a étudié. Prix d’interprétation féminine à Cannes en 2015 pour son rôle dans Mon Roi de Maïwenn, elle réalise La Fille de Brest, film inspiré de l’affaire du Mediator, actuellement dans les salles. C’est une Emmanuelle Bercot émue qui nous parle de son passage à la Fémis et de son film.
Interview de Emmanuelle Bercot version longue… par legrosjournal
Mouloud : Comment ça va Emmanuelle Bercot ? On est ici à la Femis. Vu de loin, la Femis, c’est l’endroit où sont formés les réalisateurs, les scénaristes, les gens qui font les métiers du cinéma comme caméraman. Vous êtes arrivés ici parce que vous n’avez pas eu le conservatoire. Comment se sont passés vos trois ans à la Femis ?
Emmanuelle Bercot : Tout d’abord, je suis très émue d’être là parce que ça fait très longtemps que je ne suis pas venue. Si je n’étais pas venue ici, je ne serais pas votre invitée aujourd’hui, parce que je n’aurais jamais fait de films, je n’aurais jamais fait de cinéma et par ailleurs, je pense que sont peut-être les trois plus belles années de ma vie et que j’y ai rencontré ceux qui sont mes meilleurs amis aujourd’hui. Donc c’est un moment de ma vie qui est extrêmement important et inoubliable. C’est pour ça que là, beaucoup de choses que j’ai vécu ici remontent.
Quel genre de trucs ?
Vous savez ce truc de grandes écoles où on est tous plein d’envies, d’espoirs et qu’on sait qu’on a choisi un métier difficile. On ne sait pas si on va y arriver mais on essaye tous de donner le maximum de nous-même. Et aussi, il faut bien le dire, on rigole énormément, on ne dort pas, on ne mange pas, on ne fait que s’amuser, tourner, écrire, parler des films, aller au cinéma. Puis il y avait une espèce d’émulation que je regrette beaucoup.
Dans votre quotidien d’aujourd’hui, on ne parle plus de cinéma ? Il n’y a plus d’émulation ?
On parle toujours beaucoup de cinéma, on va toujours beaucoup au cinéma mais on s’est un peu embourgeoisé. On est un peu dans le système. Là, à la Femis, tout était possible.
J’aimerais qu’on parle de « La fille de Brest » qui est actuellement en salle. Nous ici, on l’a adoré. Sur cette affaire-là, il y a quelque chose qui est sous-jacent avec l’affaire du Médiator, c’est la violence insidieuse qui peut être faite aux femmes dans cette société. À la base, le Médiator, c’est un médicament qu’une femme prend quand elle veut avoir une espèce de coupe-faim pour ne pas grossir. Et souvent, quand on ne veut pas grossir, c’est qu’on veut plaire.
Si ce médicament avait touché des populations un peu plus séduisantes. Si c’était par exemple, un médicament qui avait décimé tous les mannequins, je pense que les gens se seraient beaucoup plus intéressé à la cause. Et effectivement, il se trouve que ce médicament était pris par des femmes mais aussi par des hommes en surpoids, la plupart obèses. Tout simplement pour maigrir et retrouver l’estime de soi, sa féminité, le goût de la séduction. Et que dans le regard que certaines personnes posaient là-dessus, il y a un peu le truc de la fille qui se fait violer mais qu’il ne fallait pas qu’elle porte de mini-jupe. « La nana, oui elle a des problèmes au cœur parce qu’elle a voulu maigrir mais elle n’avait pas qu’à être grosse ». Il y a un peu ça. Ce ne sont pas des victimes qui sont séduisantes, ce ne sont pas des victimes qu’on a envie de défendre. Cela fait partie des choses qui m’ont vraiment révolté dans cette affaire et pas seulement le mépris des femmes, mais également le mépris envers les provinciaux parce que tout ce combat a été mené par Irène Frachon avec derrière elle toute une équipe de médecins du CHU de Brest, qui ont été beaucoup méprisé au début et non pris au sérieux sous prétexte qu’ils n’étaient pas des universitaires parisiens, qu’ils venaient d’un CHU du fin fond de la France.
Il y a aussi un problème de classe sociale. Avant, les personnes qui étaient en surpoids étaient les plus riches. Maintenant, ce sont les plus pauvres. Est-ce qu’on mange de la bouffe de merde quand on n’a pas d’argent? Souvent, quand un problème concerne les plus pauvres…
On s’en fout ! Je suis bien d’accord avec vous.
Comment ça se fait ? Comment on arrive là ?
Parce que ces gens ne sont pas des électeurs intéressants. Ce ne sont pas des voix, ce ne sont pas des gens qui votent.
On agite souvent l’épouvantail du FN alors qu’en France il y a plus de gens qui ne votent pas que de gens qui votent FN. Est-ce que vous tombez dans ce panneau ?
De ne pas voter ?
Oui.
Ah non ! Beaucoup de gens disent – et ça se défend. Moi je disais ça avant : « J’ai envie de voter pour aucune de ces personnes-là. Je ne vais pas voter ». Mais le problème, c’est qu’il faut quand même aller voter pour celui qu’on déteste le moins. Pour moi la solution serait que des têtes nouvelles se présentent. Que des gens nous donnent envie. Que des gens tiennent des discours qu’on comprend. Dans lesquels on a confiance, ou qu’on ait envie d’avoir confiance et qui nous dise qu’avec des nouvelles têtes, les choses peuvent changer. Parce que sans déconner, moi depuis que je suis née, ce sont les mêmes têtes.
Même à la télé, partout. Même dans le cinéma.
Mais la politique, ça n’a rien à voir. Ce ne sont pas des gens qui doivent nous donner du plaisir, nous distraire, nous faire rêver et nous raconter des histoires. Ce sont justement des gens qui ne doivent pas nous raconter d’histoires ! Ce sont des gens qui doivent agir et inventer des choses nouvelles.
Il y a un truc qui me dit que vous seriez capable de soutenir Taubira.
Oui, moi je souhaite beaucoup qu’elle se présente mais je ne sais pas si elle le fera. Et si elle le fait je serais à 200% derrière elle.
En tout cas, nous on est à 200% derrière vous. On a adoré « La fille de Brest ». C’est une déclaration d’amour, vraiment. Vous êtes quelqu’un qu’on adore beaucoup ici. Le Gros Journal touche à sa fin. Merci beaucoup Emmanuelle Bercot.
Merci Mouloud.