Alexandre, étudiant à Sciences Po et affilié au Front de Gauche, était sur place lundi après-midi lorsque les CRS ont expulsé les migrants de leur nouveau lieu de rassemblement, Halle Pajol, dans le 18e arrondissement de Paris. Nous l'avons retrouvé aujourd'hui, au Bois Dormoy - un jardin collectif tout proche où les migrants ont trouvé refuge. Ils nous raconte ses dernières 24 heures.
Lundi 9 juin, Halle Pajol, milieu d’après-midi. Alexandre arrive sur place quelques minutes seulement avant les CRS. L’un de ses amis militants du Front de Gauche, pour lequel il milite depuis plusieurs années, l’a appelé en renfort pour distribuer des couvertures et des vivres. Délogés une semaine plus tôt des tréfonds du métro aérien de La Chapelle, sur la ligne 2, à quelques centaines de mètres, les migrants qu’ils sont venus soutenir s’apprêtent à vivre leur troisième expulsion, en sept jours.
Alexandre, au jardin collectif du « Bois Dormoy », mardi 9 juin.
« Les flics étaient sur les côtés, dès le départ. Mais il y en avait peu, deux-trois », raconte Alexandre. Lorsque les CRS sont arrivés, « tout est allé très vite. Ils ont commencé à essayer de dégager les migrants des non-migrants. Sur le moment, c’était un peu violent, physiquement ».« Ils ont fait un cordon autour des migrants », poursuit-il. « Tous les autres, moi et les autres militants, on était repoussés à l’extérieur de ce cordon ». Mandatés par les forces de l’ordre, des bus arrivent sur les lieux. Un par un, les migrants y sont placés, « malgré la chaîne humaine formée par quelques élus ».
« Il y avait des migrants blessés, évanouis. Certains n’ont pas été secourus. L’un d’entre eux a été porté, évanoui, jusque dans le bus ». Et puis, « ils ont rassemblé une trentaine de CRS pour rassembler le dernier groupe de migrants – 40,50 personnes – qui restait ». « Comme on formait une chaîne humaine autour, ils ont dû se dire ‘on va rentrer dans le tas pour aller les chercher' ». « C’était un peu n’importe quoi, les CRS ont balancé pas mal de lacrymogènes, frappé les gens au hasard, c’était très confus ».
Plusieurs personnes ont été malmenées. Un élu communiste du 18e, Hugo Touzet, se retrouve quasiment le nez à terre. Malgré la pluie d’accusations, majoritairement venues d’élus parisiens – qui évoquent des « violences policières » – le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve soutenait, mardi 9 juin, que l’État agit « avec humanité » et « responsabilité ».
Qu’à cela ne tienne : pour Alexandre, la violence véritable, elle, se trouvait ailleurs.
« C’était surtout violent moralement. En gros, c’était pas compliqué, pour démarquer les migrants des non-migrants, ils mettaient les Noirs d’un côté et les Blancs de l’autre. On a demandé à un CRS :
– Comment on fait pour distinguer un migrant des autres ?
– Ils sont d’origine africaine.
– Et comment vous faites pour les distinguer des Français qui sont Noirs ? »
Pas de réponse.
Contactée à ce propos, la préfecture de Police de Paris n’avait toujours pas répondu à notre question, mardi 9 juin en fin d’après-midi. « D’un côté, c’est l’évidence », dit Alexandre. Mais d’un autre… « Moi aucun CRS n’est venu me rattraper. J’étais avec un migrant, moi ils m’ont repoussé, le migrant ils le retenaient. Ils ont crié « J’en ai un! ». C’était assez particulier ».
« Il y en a qui ont été embarqués, probablement centre rétention administrative de Vincennes », nous dit au téléphone Galla Bridier, conseillère municipale écologiste, élue dans le 18e arrondissement. « Il y en a d’autres au Mesnil-Amelo, le centre de rétention de Roissy », complète Alexandre, qui se tient au courant via les réseaux sociaux, où s’organisent les militants.
Ceux qui n’ont pas été interpellés – « entre 70 et 80 personnes » – ont trouvé refuge au Bois Dormoy, un jardin partagé, après une brève halte à la Chapelle. « C’est une sorte de grand potager, dont le terrain appartient à la mairie de Paris mais géré par une association d’écolos », précise Alexandre. La Croix-Rouge a fourni aux migrants des couvertures de survie. Ils ont dormi là, quelques heures. Pas question de retourner à Pajol : « Si les flics ont redébarqué à Pajol, c’est pour faire bouger les gens, pour les épuiser » affirme Alexandre. « Ils se sont posés là, pour qu’on ne revienne pas ». Mardi, aux alentours de 14 heures, ils y étaient toujours.
À l’entrée du jardin, des migrants font la queue pour des sandwichs.
Mardi 9 juin, le calme règne au Bois Dormoy, où nous rejoignons Alexandre. Les migrants – une trentaine environ dans la matinée, le double au moins en début d’après-midi, venus pour la plupart du Soudan et d’Érythrée (voir : Migrants : pourquoi ils fuient le Soudan, l’Érythrée et l’Éthiopie) – font la queue pour obtenir les sandwichs et brosses à dents qui leurs sont distribués.
Drapeaux multicolores, stand de petite restauration, panneau de bienvenue et arrosoirs roses qui traînent… Au premier coup d’oeil, l’ambiance a des airs de kermesse.. Mais non. Le jardin est exempt de toilettes décentes. Les plus « chanceux » des migrants ont dormi sur des matelas, d’autres dans des sacs de couchage. Certains à même le sol. Alexandre désigne un robinet : « On a réparé le seul point d’eau du coin ».
« J’ai ramené deux vêtements », dit une voisine, déjà active auprès des migrants en 1996, lorsque l’église du quartier, Saint-Bernard de la Chapelle, avait été investie par des centaines d’entre eux. « Mais honnêtement, je ne vois pas ce que je peux faire de plus ». Ses dons sont allés rejoindre un amas de vêtements, de l’autre côté du jardin. Les migrants y piochent ce qu’ils pourront éventuellement porter :
Mohammed, Soudanais, fait le tri dans les vêtements apportés par les riverais.
« L’avantage de ce lieu », dit Alexandre, « c’est que cest un terrain municipal, mais qu’il est géré par une association. Comme ce n’est pas la voie publique, les forces de l’ordre auront plus de mal à déloger les migrants et à déplacer le matériel. Quand tu peux rester plus que deux jours, tu peux commencer à construire quelque chose ».
Le « Bois Dormoy », où ont dormi les migrants.
Idriss-Ali, venu du Soudan, montre le sac de couchage dans lequel il a dormi.
Pour l’instant, pas de police en vue. D’après les informations du groupe Facebook, elle ne se déplacera pas aujourd’hui. Un jour de répit de gagné. Reste à savoir si le voeu commun déposé par Europe Écologie-Les Verts, le Front de gauche et le PCF auprès de la Mairie de Paris sera entendu. Objectif : « l’ouverture d’un gymnase, dans l’immédiat, pour accueillir les migrants », et un lieu pérenne de gestion des réfugiés pour la suite.
En attendant, Alexandre se rendra rassemblement de solidarité prévu ce mardi soir, à la Halle Pajol. « Je suis syndicaliste, je suis à l’UNEF (syndicat étudiant, NDLR) depuis des années, j’ai beaucoup manifesté. Les migrants ne savent pas du tout s’y prendre face à la police, ils arrivent là, démunis. Pour les associations, c’est pareil. Ce n’est pas leur travail ». Il sourit : « C’est pour ça qu’on est là, nous, les militants ».
« Alexandre » est un prénom d’emprunt