Voir JoeyStarr : la suprême interview – Part 2
Depuis quelque temps une question nous taraude : qu’est-ce qu’il se passe dans la tête de Joey Starr ? On l’a rencontré chez lui. Assis sur son canapé, la conversation part de son hyperactivité sur les réseaux sociaux pour dévier, très vite, sur le rap actuel, son rapport à la France, les élections…
Sur Instagram JoeyStarr se surnomme « Carribean Dandee ». On lui demande pourquoi il y passe tellement de temps :
« Mes petits frères m’ont conseillé de montrer ma gamelle sur les réseaux sociaux »
Joey s’est inscrit sur Instagram il y a peu de temps. Du coup, avoue-t-il, il a encore un peu de mal à en maîtriser les codes. :
« L’informatique, c’est pas mon dada du tout »
Il est vrai qu’entre les selfies en lunettes roses, les photos en gros plans de ses dents, les mèmes sortis des tréfonds d’Internet et, au beau milieu de tout ça, des images d’oeuvres d’art, on peut avoir un peu de mal à s’y retrouver. « J’y vais comme ça, en roue libre« , rit-il :
« La seule cohérence de mon Instagram c’est mon humeur, et elle est très changeante »
Il y a deux semaines, il postait une image : « Don’t follow me I’m lost ». On lui dit qu’elle résume plutôt bien son état d’esprit. Il confirme :
« Je vais dans mon sens et pas dans celui des autres et forcément je me perds aussi »
C’est l’occasion de revenir sur sa carrière – sur ses succès comme ses obstacles. On apprend que Johnny Halliday, dont il était proche, lui a promis un morceau commun, sans donner suite.
« Un morceau avec Johnny était dans les tuyaux »
Alors qu’on lui demande s’il est conscient qu’au vu de l’état du rap français aujourd’hui, cela peut être compliqué de « vendre du Joey Starr », il réplique que de toute façon, sa priorité, c’est la scène.
« Vendre Joey Starr sur scène c’est pas un problème aujourd’hui »
Justement, on lui dit que pour nous, il n’est pas un « rappeur » au sens propre. Plutôt un rockeur, une bête de scène. Ils nous remercie presque :
« Le rap sur scène, aujourd’hui c’est devenu deux porte-manteaux avec un pied de micro ».
Joey se moque des critiques de Booba, qui disait aux Inrocks : « NTM n’a jamais fait de punchlines, à part ‘beaucoup plus bonne que la plus bonne de tes copines' ». Il rappelle que c’est NTM qui a permis d’ouvrir la voie aux rappeurs français :
« Booba il est mignon quand il dit qu’on n’a jamais fait de punchlines, mais c’est lui, notre plus belle punchline ».
Cela dit, cette incompréhension ne l’étonne pas plus que ça :
« Quand tu écoutes nos premiers albums, tu sens qu’on va mal vieillir ».
On lui demande pourquoi, alors que le monde du rap a été très silencieux après les attentats de Charlie Hebdo, il a tenu à poster sur Instagram une photo d’un nouveau-né. Sur son bracelet de naissance, il est écrit « Je suis Charlie » :
« Je suis fier d’être Français, j’adore ce pays, on est dans la résonance de honneur, conquêtes et colonies mais faut dealer avec. »
À ce propos : s’attendait-il, ces dernières années, à une telle montée du FN ? Pas forcément, mais il évoque un terreau propice, un racisme ancré en France :
Je viens d’un milieu où on pratique le racisme ordinaire
« J’appelle tout le monde négro, que ce soit les hommes, les femmes, les enfants ». Il explique comment, par le langage, lui-même s’est déjà inscrit dans une dynamique raciale, sans même en prendre bien conscience.
En 1991 NTM sortait le morceau « Quelle gratitude », avec cette première phrase : « Quelle gratitude devrais-je avoir pour la France ? ». On lui retourne la question, en 2015 :
« Aujourd’hui, j’aimerais avoir plus de gratitude pour la France et que mes enfant puissent avoir une bonne éducation et la tête sur les épaules. Et ne pas sentir ces moments d’exclusion comme j’ai pu en connaître ».
Le rapport de Joey à la France, aux autorités, semble s’être apaisé. Est-ce qu’aujourd’hui, alors, il chanterait toujours « Nique la police » ?
« Oui, je chanterais encore « Nique la police », car j’ai une affection particulière pour tous les cons ».
Même si aujourd’hui, il dit avoir pris un peu plus de recul :
« J’en avais après l’uniforme, plutôt que l’individu ».