Après un début de carrière prometteur et un featuring avec Laylow qui l’a mise sous le feu des projecteurs, la chanteuse Joanna est de retour avec un nouvel album salvateur : Where’s the light ? De la dépression à la guérison en musique, Clique l’a rencontrée pour un entretien sans filtre.
Comment tu te sens à la sortie de cet album ?
Je me sens très reconnaissante, j’ai reçu beaucoup de messages positifs sur la sortie de l’album et la release party à La Maroquinerie. C’était incroyable, j’ai vraiment vécu des émotions intenses. Ça me fait du bien parce que j’avais un peu un vide, entre le moment où l’album était terminé et la sortie. Là, je me sens pleine de joie.
« Avec ma maman, on écrivait des chansons sur des bandes instrumentales. »
J’aimerais qu’on revienne un peu dans le temps… Quel est ton premier souvenir musical ?
C’est avec ma maman quand j’étais petite, je devais avoir 7-8 ans. Mon père m’avait acheté un synthétiseur avec des bandes-son dedans. Des fois, le soir avec ma maman, on écrivait des chansons sur ces bandes instrumentales. Je crois que c’est vraiment mon premier rapport à la musique et à l’écriture. Ma maman écoutait énormément de musiques classiques, Mylène Farmer, George Michael, elle était attirée par l’émotion même dans le mainstream et je pense que c’est pour ça que ma musique ressemble à ça aujourd’hui. Mon père écoutait beaucoup Dire Straits, c’est un groupe de rock progressif des années 70, ou encore du Jean Ferrat, des morceaux à textes.
Petite, tu as eu une formation musicale ?
Ma maman a toujours voulu faire du piano, du coup elle a un peu projeté sur moi (rires). Elle m’a inscrite au piano quand j’étais en primaire et j’en ai fait 7 à 8 ans, j’ai adoré mais je n’aimais pas trop le côté académique. J’ai arrêté vers 14-15 ans et après j’ai fait moi-même mes trucs en regardant des tutos sur YouTube pour faire des reprises.
J’ai lu que tu ne connaissais personne dans la musique quand tu t’es lancée. Comment on saute le pas avec aucun contact dans la musique ?
C’est une vraie question. Je pense que c’est une rencontre qui a tout changé. Depuis petite je fais de la musique, début lycée j’ai un peu abandonné parce que justement je ne savais pas à quoi ça rimait et je ne connaissais personne. Du coup, j’ai fait autre chose, j’ai fait du cinéma. À travers cette formation au lycée, j’ai rencontré le groupe Columbine qui était à ses débuts, à l’époque ils n’avaient pas encore sorti leur premier album, ils étaient en train de le faire. Ça m’a un peu remis face à moi-même, je me suis rendue compte que le cinéma c’était cool, mais que je ne pouvais pas vraiment m’exprimer parce que c’est un travail d’équipe et j’avais uniquement des postes de technicienne. En les voyant aller au studio, s’exprimer, les écouter faire du rap et de la pop en français, ça m’a donné envie d’écrire en français. Suite à ça, j’ai eu l’opportunité de recevoir des prods d’un producteur qui travaillait avec eux, Saavane. À partir de là, j’ai commencé à m’enregistrer sur des logiciels et je me suis dit que j’allais faire un clip vu que je faisais aussi de l’image. Étant donné que c’était mes amis, ils ont partagé et juste un partage a suffi. C’est comme ça que ça a commencé.
Justement, qu’est-ce que le collectif Columbine a apporté à ton art ?
Ils m’ont apporté la notion d’indépendance, la débrouille, ils faisaient eux-mêmes leurs CDs. Ils faisaient tout de A à Z tout seuls, ça m’a énormément inspirée parce que c’était un truc que j’ai toujours voulu faire. Ça a résonné en moi une fois que je me suis retrouvée à leur place, quand les labels m’ont contacté ça m’a donné plus de clés pour savoir ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. Même s’il y a plein de choses dans leurs textes avec lesquels je ne suis pas d’accord, leur plume je la trouvais vraiment nouvelle à l’époque, ça m’a donné la déter’. C’est grâce à eux que j’ai plongé dans la politique du rap, avant ça je n’avais pas forcément capté les codes, et grâce à eux, une porte dans mon cerveau s’est ouverte.
« Je ne me catégorise pas, je suis une artiste qui explore. »
En regardant sur Internet, j’ai remarqué que certains articles sur toi te qualifient d’artiste R’n’B, d’autres pop ou encore électro, à quel genre tu te sens appartenir ?
Je ne me catégorise pas, je suis une artiste qui explore. Quand j’ai commencé la musique j’ai eu plus l’opportunité de travailler dans un univers rap, du coup j’ai exploré cette partie-là. Mais au fond, j’ai toujours été drama, pop, électro, même classique. Je fais juste un mélange de toutes mes influences, j’aime bien ne pas avoir de case parce que je me sens libre. Demain je peux faire tout ce que j’ai envie de faire musicalement, dans tous les cas il y a un fil conducteur, il y a ma sensibilité, ma voix et ma plume qui font que même si je me retrouve à faire du reggaeton, personne ne sera trop surpris (rires). J’adore explorer mais aujourd’hui j’ai trouvé ma manière de fonctionner et ça passe par la composition, ce que je ne faisais pas forcément avant. Avec cet album, j’ai trouvé mes marques et mes limites.
« L’Eurovision était globalement une expérience traumatisante pour moi. »
L’Eurovision est très différent de ton univers. J’ai même lu que tu avais dû édulcorer « Navigateure ». Pourquoi as-tu décidé d’y participer en 2022 ? (Joanna a échoué en finale, ndlr)
J’ai participé à l’Eurovision parce qu’ils ont insisté et au bout d’un moment ça a mis une graine dans ma tête. Je me suis dit : « Ok, je suis pas fan de la télé, je sais que mon public et ce que je fais en tant qu’artiste ne colle pas à la télé« , mais j’ai accepté parce que je me suis dit que je pourrais passer un message. J’ai cru de fou que c’était possible et en fait, pas du tout. Je suis contente de l’avoir fait, c’est une expérience qui m’a appris beaucoup de choses, mais globalement c’était traumatisant pour moi. Ça m’a mis face à la réalité de la société, j’ai capté qu’à la télévision tout est fake et calculé. Les gens qui participent sont des gens qui sont payés et qui n’ en ont rien à foutre de passer un message, ils sont juste là pour prendre leurs thunes. J’ai pas kiffé l’expérience, je suis tombée très très bas après. J’ai passé un an à préparer l’Eurovision. Au début, j’ai proposé « Ce n’est pas si grave » et ils étaient en mode : « Non, on veut un truc happy » et je me suis demandée pourquoi ils venaient me voir car ça ne me correspond pas. Ils savaient que l’Eurovision c’est vraiment politique et bien sûr ils n’allaient pas mettre une chanson qui parle d’agression sexuelle. Je m’en suis voulue d’avoir donné « Navigateure » car elle n’aurait pas ressemblé à ça si je ne l’avais pas fait pour l’Eurovision. J’avais besoin de prendre une claque pour me repositionner dans mes valeurs, ça m’a aidé à mettre des limites et à respecter qui je suis vraiment.
Qui sont les artistes qui t’inspirent actuellement ? Et pourquoi ?
FKA Twigs, Sevdaliza… Il y a eu une période Tommy Genesis et Mylène Farmer évidemment, mais ce n’est pas vraiment une inspiration, je dirais que je suis tellement imprégnée de sa musique que c’est mon langage aussi. Là aujourd’hui, j’ai un gros coup de cœur pour Eartheater, que j’écoute depuis deux ans. Ça fait du bien de voir une artiste qui aime la musique et qui explore. J’adore les artistes qui explorent leur amour de la musique et en même temps leurs capacités vocales et de composition. Il y a toujours eu Björk, notamment son nouveau son avec Rosalía. Rosalía aussi, je me suis pris une grande claque avec son dernier album, Motomami. Enfin une artiste qui ouvre la porte à l’expérimentation et qui a rendu le truc hyper populaire.
Dans la même lancée, ce serait quoi ton feat de rêve ?
Il y a plusieurs facteurs, au fond de moi et pour moi-même, ce serait Björk même si je sais que c’est un mood. Aujourd’hui sa musique est trop bizarre, elle est trop en avance sur son temps. J’ai une affection profonde pour ses albums d’il y a quinze ans. Pour le côté flex, je pense que ce serait Rosalía. Enfin, pour le côté “boucler la boucle”, je pense que ce serait Sevdaliza car c’est une artiste qui m’a donné la déter’ de croire en moi et qui a fait des albums qui ont marqué ma vie.
« Cet album est là pour aider les gens à guérir. »
Parlons un peu plus de ton nouvel album, Where’s the light. Dedans, tu y abordes un sujet encore tabou : la dépression et la tienne en particulier. Qu’est-ce qui t’a donné envie de partager ça avec ton public ?
C’est grâce à la musique que je suis sortie d’un enfer, la musique a rendu tout possible dans ma vie, ça m’a guéri et ça continue de me guérir. J’ai plein de choses à guérir en moi, on est tous pareil là-dessus, on a des blessures profondes et je pense que c’est l’art qui nous permet de guérir. Demain si je fais de la musique et que ça n’aide pas les gens, je ne vois pas l’intérêt. Je pense que par l’art on passe des messages et ça donne du sens à ma vie. Parler de la dépression, c’est important car j’avais besoin de me comprendre et j’ai exploré des choses musicalement qui m’ont permis de comprendre pourquoi j’étais en dépression et que j’avais envie d’en sortir. Presque toute ma vie, je n’avais pas forcément envie d’en sortir parce que je n’avais pas mis le doigt sur un millième du problème. Juste le fait d’en parler, ça a rendu les choses moins graves et ça m’a aidé à m’en détacher. Je voudrais que cet album aide des gens, qu’un morceau résonne chez quelqu’un. Cet album est là pour aider les gens à guérir et entamer un chemin plus lumineux.
Dans le titre « Fighting », On entend une grande détresse chez toi, donc je me demande qu’est-ce qui a pu t’apporter de la lumière dans cette période sombre ?
Je pense que je ne suis plus en dépression, mais je ne sais pas trop. Dans les périodes comme ça c’est tellement l’euphorie que tu oublies ce qu’il y a au fond. Mais en tout cas je suis en train de travailler mes traumatismes. Je suis encore sur le chemin, le dernier son de l’album s’appelle « Extase » ; ça n’est pas la fin, mais le début du vrai chemin. L’identification est quelque chose dont je souffre, je suis tellement habituée à puiser mon énergie dans la négativité que j’ai du mal à accepter les compliments. Quand j’en reçois, je me dissocie, ça signifie que je ne suis pas capable de recevoir des choses positives. Grâce à La Maroquinerie et la release party de cet album, j’ai enfin pu toucher à une vraie réception où pour une fois je n’ai pas dissocié. En étant toujours concentrée sur le négatif, tu n’es pas assez reconnaissante, tu empiètes sur la safe place de tes proches, tu es trop intense pour les gens et c’est chiant. Ça se soigne, mais ça prend du temps.
« Mes larmes sont belles » est un morceau beaucoup plus joyeux et pop. Réussir à faire de ses larmes quelque chose de beau, c’est fort.
J’ai toujours pensé que le fait de pleurer était une manière de détoxifier. Le fait de ne jamais pleurer, je pense que ça te transforme, que ta tristesse à l’intérieur de toi vient t’empoisonner. Pour moi, c’est hyper sain de pleurer. Dans une relation amicale ou amoureuse, c’est une preuve d’amour, tu acceptes ta vulnérabilité. Il n’y a pas plus beau, mais après on ne peut pas toujours tomber sur quelqu’un qui comprend les larmes et c’est pour ça que le refrain est : « Est ce que tu comprends que mes larmes sont belles ? » Pleurer, c’est un processus de nettoyage.
« J’avais envie de clamer aux victimes (d’agression sexuelle, ndlr) qu’elles ne sont pas seules. »
Dans « Ce n’est pas si grave », tu te confies sur le viol que tu as subi. Comment tu expliques qu’en 2023, le viol soit encore un crime minimisé par la société ?
J’ai fait cette chanson car j’avais besoin de me nettoyer et surtout parce que j’ai la chance d’avoir une place pour faire passer des messages, et je ne veux pas parler uniquement de moi et de mon nombril. En tant que victime, il y a une vraie problématique après l’acte en soi, on est extrêmement seule, on nous fait culpabiliser. Même les gens les plus proches sans le savoir, sans le vouloir, sont tellement imprégnés des codes du patriarcat que c’est forcément la faute de la meuf car elle n’aurait pas dû mettre cette jupe ou embrasser cette personne. J’avais envie de parler de ce dialogue intérieur, qui est un combat avec soi-même. Aujourd’hui encore je la chante et je me rends compte que je ne suis toujours pas passée à autre chose, je me dis toujours que c’est de ma faute et que ce n’est pas grave, alors que c’est méga grave et que ce n’est pas de ma faute. J’avais envie de clamer aux gens, et surtout aux victimes qu’elles ne sont pas seules. Par exemple, à La Maroquinerie, tout le monde a chialé, c’est la chanson que les gens retiennent le plus et qui les retourne le plus. C’est la chanson qui fera peut-être que dans deux ans si une mère l’écoute et que sa fille a vécu quelque chose, elle comprenne sa situation. Même si c’est difficile d’écouter une musique comme ça, j’ai fait en sorte qu’elle soit dans les codes, qu’elle soit piano-voix et radiophonique. Je veux que la pilule passe dans n’importe quel cerveau, même chez un agresseur. C’est pour toutes les victimes, même autres que sexuelles, les victimes de transphobie, de violences policières. Il faut arrêter de protéger les connards.
Est-ce qu’écrire cet album a été thérapeutique ?
Je composais déjà à l’époque, mais j’avais du mal à trouver ma place parce que j’étais entourée de gens qui savaient produire, et de mecs en particulier. En studio, j’avais du mal à trouver ma place dans la composition et à communiquer mes volontés. Là, c’est un grand pas parce que j’ai trouvé ma safe place dans laquelle je peux composer, expérimenter et exprimer l’émotion que j’ai en tête. Ça passe par d’abord la composition et ça nourrit ma créativité, ça m’a aidé à passer cette phase méga difficile de ma vie. L’album est exactement comme j’avais envie qu’il soit. Ça a été très thérapeutique parce que je me suis énormément retrouvée face à moi-même pour prendre des décisions, dans la composition, dans les textes. Maintenant, quand je vais sur scène, je suis vraiment joyeuse et heureuse de communiquer les musiques avec les gens. Avant j’étais tétanisée, je ne me sentais peut-être pas 100% moi-même et maintenant c’est le cas.
Tu as composé et produit toi-même pour la première fois. C’est un grand changement pour toi et un risque, comment tu en es arrivée à ce choix ?
Je crois que je n’avais pas le choix, j’ai eu plein de relations professionnelles, personnelles, qui n’allaient plus et qui ne me convenaient plus. C’était une question de survie, ma manière de survivre a été de ne faire confiance qu’à moi-même. On m’a beaucoup mis une étiquette R’n’B et rap, vu que c’est la musique qui marche le plus en ce moment, l’industrie a trop envie que tout le monde fasse ça, tout doit ressembler à ça maintenant. Et je me suis dit que je ne pouvais pas refaire un album qui n’est pas aussi poussé musicalement que je voudrais, je me suis dit : « J’ai besoin de redémarrer à zéro, j’ai besoin d’imposer mon style ».
« Je sais que je suis ma pire ennemie, donc ça m’a aidée à être plus indulgente avec moi-même. »
Un son a retenu mon attention, « Cher Ego », morceau dans lequel tu avoues que ton ego t’est parfois néfaste. As-tu réussi à le faire taire ?
J’ai lu des livres de développement personnel, je ne les recommanderais pas car ce n’est pas très bien écrit. Je me suis demandée : « Pourquoi je prends mal la critique ? » ou « Pourquoi je suis dans le déni face à certains de mes comportements ? » et en fait je me suis rendue compte que ça me rendait toxique. C’est comme si tu avais une ombre qui t’enlaçait constamment et qui te met mal. J’ai lu que l’ego, c’était ton corps de souffrance, c’est toute ta souffrance, ton ego se nourrit de ta souffrance et il grossit. Pendant ce temps, ton vrai toi rapetissit, tu n’existes plus, et il n’y a que ton ego qui compte et donc ta souffrance. Tu deviens ego-centrée et insupportable. Tu as la rage perpétuellement. Face à tout ça, j’ai commencé à accepter la critique et à prendre ce que j’avais à prendre quand on me faisait une réflexion. Je sais que je suis ma pire ennemie, donc ça m’a aidée à être plus indulgente avec moi-même. Tout devient moins grave quand tu te rends compte que l’ego est juste un double de toi, qui, en fonction de comment tu vis avec, te détruit ou t’aide.
Est-ce qu’il y a eu un moment en particulier qui t’a fait te rendre compte que ton ego prenait beaucoup de place ?
Il s’agit d’une accumulation, mais surtout la sortie de Sérotonine je l’ai un peu mal vécue, à cause de plein de raisons. Quand c’est ton premier album et que tu découvres l’industrie de la musique, tu te rends compte que tu n’as pas assez d’abonnés donc personne ne parle de toi. Tu n’as pas de streams donc personne ne te follow et j’ai fini par me demander si je n’avais pas travaillé deux ans pour rien. En plus, j’ai sorti l’album pendant le Covid donc je n’ai pas eu de tournée ensuite, j’ai commencé à dégringoler. L’Eurovision aussi a fait partie de la claque.
« Tout le monde me disait de fermer ma gueule tout le temps, donc c’est ce que j’ai fait. »
Ta musique en général est une ôde à la libération des femmes et au féminisme. Tu dis avoir découvert le patriarcat à 20 ans. Comment tu en as vraiment pris conscience ?
Quand j’ai découvert le patriarcat, ce qui m’a le plus choquée c’est de me dire qu’il y a des milliers d’écrits, des études et des luttes et que c’est encore comme ça. J’ai aussi compris que ce n’était pas moi le problème, j’ai toujours ressenti que ce n’était pas ma place, j’ai toujours été amie plus facilement avec des garçons et individuellement, quand je passais du temps avec un mec face-à-face, le mec me kiffait de fou amicalement. Mais quand on était en groupe, j’étais un pot de fleurs et je me disais que j’étais trop timide, toute ma vie on m’a dit que j’étais timide et réservée. Sauf que ce n’est pas ça car tout le monde me disait de fermer ma gueule tout le temps, donc c’est ce que j’ai fait. Du coup, les gens pensaient que j’étais bête parce que je n’avais pas d’avis. À force, je n’avais vraiment plus d’avis et je suis vraiment devenue “la femme qu’il faut être” selon le patriarcat. En arrivant à la fac, j’avais plein de révoltes en moi et je ne savais pas ce que c’était, j’ai découvert Simone de Beauvoir comme ça, j’ai lu le début du Deuxième Sexe, la partie méga scientifique, puis j’ai commencé à écouter des podcasts et je me suis rendue compte que ça n’allait pas du tout. Ce qui m’a le plus choquée c’est que personne ne dit rien et que ça a infiltré la société.
J’ai remarqué qu’énormément d’artistes masculins se ressemblent dans le monde de la musique, mais qu’aucune remarque ne leur est faite. Toutefois, sur les réseaux sociaux, on t’a accusée de recopier Shay avec le clip de « Viseur ». Est-ce que les femmes sont vouées à être comparées en permanence ?
Clairement oui et malheureusement, c’était plus des femmes qui me harcelaient que des mecs sur les réseaux sociaux. Sur le moment, j’étais trop mal et je me suis dit qu’à sa place (Shay, ndlr) j’aurai envoyé un message pour lui dire qu’on s’en foutait. Des gens ont fait des threads sur Twitter, pour dire que je m’appropriais une culture qui n’était pas la mienne. Les gens ne savent pas d’où je viens, je n’en ai pas parlé et c’est aussi une manière de me protéger, mais je suis métisse. Après, ça a peut-être fait parler de moi, des gens m’ont peut-être découvert avec ça, il faut bien en tirer du positif (rires). J’aurais voulu qu’elle lance un cessez-le-feu car ça a duré un certain temps, des gens me disaient que j’étais une grosse merde. À sa place, j’aurai envoyé un message en privé du style : « T’inquiète ne calcule pas » ou un message à ma communauté pour calmer le jeu.
Justement, je me demandais pourquoi tu n’abordes pas le sujet de tes origines ?
Je cherche encore d’où je viens. J’ai pas mal de nouvelles sur des retournements dans ma famille, je me demande encore « D’où je viens ? », « Qui je suis ? ». Je ne me sens pas légitime car je n’ai pas les clés, je suis perdue. Ma mère, aujourd’hui elle m’aide, elle m’achète des livres pour connaître l’histoire des Antilles. Sauf que j’ai appris il n’y a pas longtemps que je n’étais pas guadeloupéenne, mais martiniquaise. Du coup, quand je le saurai, je le dirai, mais là je ne me sens pas légitime.
« S’il n’y avait pas d’ego, on marcherait toutes ensemble, mais il y a trop de gens qui sont en compétition. »
Quand on parle de féminisme, on parle souvent de sororité. Est-ce que des femmes de l’industrie t’ont tendu la main ?
Le problème c’est que dans le féminisme, en dehors des artistes, il y a trop de sous-combats. Du coup, il y a une division depuis quelques années. Il y a une réalité, lorsque tu es féministe et radicale, on te ferme des portes. Il y a eu des gros élans de soutien avec des groupes WhatsApp notamment pendant le confinement avec des artistes féministes francophones, mais ça ne dure pas longtemps. Malheureusement, dans ce genre d’initiatives, il y a des gens qui cherchent à surfer sur la vague. Honnêtement, je pense que ça manque de sororité et de sens de communauté. Peut-être que c’est mieux comme ça parce que c’est trop compliqué. J’espère que ça changera. S’il n’y avait pas d’ego, on marcherait toutes ensemble, mais il y a trop de gens qui sont en compétition.
Tu te considères comme une « féministe radicale » du coup ?
Pour moi quand tu es féministe radicale, ça signifie que tu es parfaite. Sauf que non, si ça se trouve j’ai fait un feat avec quelqu’un de problématique. On ne sait jamais, si demain tu te positionnes en tant que radicale, ça va retomber non pas sur la personne qui a fait quelque chose de mal, mais sur toi. Donc je préfère me concentrer sur ma musique, je fais mes combats dans ma vie, pas forcément devant tout le monde. Je fais ce que je peux, mais c’est dur d’être militante. J’espère qu’un jour ce sera plus simple, mais tu te prends trop la tête avec toi-même, ça veut dire que tu arrêtes de vivre. Peut-être qu’un jour je ferai ça, c’est un style de vie, mais on ne peut pas tout faire, donc je fais mon max.
« J’ai trop peur de prendre le melon et de me la péter, je ne le supporterais pas. »
Justement, par rapport à l’avenir, comment tu l’envisages ?
Je continuerai toujours à faire de la musique ou de l’écriture, je continuerai toujours à faire passer des messages. Je veux des trucs qui ramènent à la réalité, j’ai trop peur de prendre le melon et de me la péter, je ne le supporterais pas. Je ne veux pas être comme ça et je pense que c’est important de sortir de Paris, tu ne peux pas être humble si on t’offre tout le temps des trucs, si tu es tout le temps VIP. Puis même, je ressens ce besoin de nature, ça me manque.
« Joanna c’est un personnage qui m’aide à être moi-même »
Ta DA est sexy, sensuelle et osée. On retrouve cette audace dans « Démons » ou dans « Séduction ». S’agit-il de la vraie Joanna ou est-ce qu’il s’agit seulement d’un personnage ?
Je me suis énormément posée la question durant cet album. Je pensais que c’était moi et en fait, je pense que c’est un personnage. Mais à la fois, c’est un personnage qui m’aide à être moi-même. Encore aujourd’hui, je ne suis pas capable de répondre à la question. C’est un mélange d’ego, de ce que j’aimerais qu’on voie de moi et de ce qui m’aide à m’accepter. C’est un peu mon endroit où je ressemble à ce que j’ai envie d’être.
Qu’est-ce que je pourrais te souhaiter pour finir ?
Que l’album touche beaucoup de gens, que la tournée se passe bien et que ma voix résonne un peu plus. Je pense que j’ai juste envie de vivre pleinement la sortie de l’album, de prendre soin de moi, de voyager, de profiter de l’amour et d’en donner en retour.
Where’s the light est disponible sur toutes les plateformes et Joanna sera en concert le 10 avril au Trianon.