Il est le rookie qui a secoué le rap français en 2023. À l’occasion de la sortie de son premier projet long RECHERCHE&DESTRUCTION, Jolagreen23 a accordé à Clique sa toute première interview, en toute intimité. Rencontre avec un acharné de travail, un surdoué encore insouciant dont la course vers le sommet n’est pas prête de se terminer.
C’est la première interview publiée de toi, tu as cette volonté de rester discret ?
Oui, je ne suis pas pressé de parler de ma vie. Pour l’instant je ne fais que taffer, mais comme ce projet est particulier, j’ai eu envie de m’ouvrir un petit peu. Je ne suis pas différent des autres gens, j’ai une vie normale, je n’ai pas encore grand chose à extérioriser.
Il y a très peu d’informations sur toi sur Internet, ce qui me donne envie de remonter dans le temps. La première fois qu’on entend parler de toi de façon grand public c’est au Planète Rap de Kerchak, en novembre 2022. Quelle est votre relation ?
C’est le bon vieux ! On se connaît d’avant la musique, dès le début il m’a envoyé de la force. Il a mis en avant ce que je faisais parce qu’il avait la possibilité de le faire. Je lui en suis reconnaissant x500.
Il vient de Bois-Colombes, comme toi. Tu y as passé toute ta vie ?
Oui. J’ai juste fait un an en Angleterre quand j’étais petit, parce que j’ai de la famille là-bas. Ça ne m’a pas forcément marqué, c’est un peu pareil qu’en France. J’ai vraiment tout fait à Bois-Colombes, je suis un enfant de “B-C”.
Tu as des origines anglaises ?
Non, je suis congolais-angolais mais la moitié de ma famille vit à Londres.
« J’ai été attiré automatiquement par la musique, j’ai tout de suite eu ce lien. »
Quel a été le premier choc musical dont tu te rappelles ?
Beaucoup de choses m’ont marqué. En tête j’ai Green Day, “Know Your Enemy” c’est un morceau que j’ai saigné petit, je le chantais tous les jours. En sixième j’ai découvert Booba via la télévision, j’allais en cours avec un autre mental, tu vas à l’école t’es paré. À la maison, mes parents écoutaient beaucoup de musique du Congo, surtout du Fally Ipupa et du Koffi Olomidé. Le dimanche, ma mère écoutait des louanges, les chansons de l’église. Même en Angleterre, mes cousins et cousines chantaient quand ils étaient petits. Ce mélange-là a fait que j’ai été attiré automatiquement par la musique, j’ai tout de suite eu ce lien.
« La musique c’est un art comme le sport, comme de la peinture, comme des mathématiques, quand tu te lances dans ces choses-là, tu deviens passionné. »
Qu’est-ce qui t’as mis sérieusement au rap ?
Début 2021, on a eu l’occasion d’avoir un “bendo” avec mes potes. Le père de l’un deux était agent immobilier et il avait une maison non-meublée toujours pas vendue dont on a eu les clés pendant la période du COVID. On avait eu comme message : “Il y a des restrictions, on ne peut pas sortir, mais on sait que vous êtes des jeunes, vous pouvez vous coffrer dans la maison. Vous avez un an, faites ce que vous avez à faire.”On décide alors d’en faire un studio avec mes gars 410, KBB… plein de mecs. On a eu cette envie de faire de la musique parce que c’est un art comme le sport, comme de la peinture, comme des mathématiques, quand tu te lances dans ces choses-là, tu deviens passionné. Dès la première séance studio qu’on a fait là-bas, même sans moyens et avec une qualité super médiocre, on s’est pris le truc, ça nous a animé, c’est plus fort que toi.
« Je veux faire de la musique différente, quelque chose d’inné, de space, de recherché. »
Donc ce qui t’as vraiment donné envie de faire de la musique, c’est l’expérience du studio.
C’est ça. Et surtout, j’étais un énorme consommateur de musique. Je ressentais de moins en moins de choses avec la musique française, je trouve qu’il n’y avait plus de propositions innovantes. Je ne suis pas Superman mais en tout cas j’ai beaucoup analysé. Je trouvais deux-trois artistes vraiment chauds mais la masse ne faisait rien de très avancé, sans vouloir manquer de respect. On a trouvé qu’on pouvait apporter quelque chose de neuf, ça part de là. Il faut arrêter de parler de la même chose, avoir les mêmes placements, les mêmes prods, je veux faire de la musique différente, quelque chose d’inné, de space, de recherché. Je veux montrer que je suis déterminé et passer le message qu’il ne faut jamais rien lâcher.
« Dans cette forme d’art je me sens libre, je me sens moi. »
Tu parles de “musique” en général, sans même parler de rap. Pourquoi avoir choisi ce style ?
J’aurais très bien pu faire du rock ou de la pop. J’estime qu’on avance beaucoup à l’influence et avec l’environnement dans lequel on grandit. J’ai eu une enfance normale, comme tout le monde hein (rires) ! Mais le rap est quand même la musique numéro 1 en France, ça m’a bercé, c’était naturel. J’aime beaucoup aussi le fait que tu puisses parler de ce que tu vis, de ce que tu vois, de ce que tu entends, de ce que tu sens… Dans cette forme d’art je me sens libre, je me sens moi.
Pourquoi ce nom de Jolagreen23 ?
Je ne voulais pas trop me prendre la tête. “Jo” ça vient de mon prénom, je m’appelle Jorghen, c’est nordique. “Lagreen” c’est parce que le vert est ma couleur préférée, c’est la couleur de la chance. Je n’aime pas trop rentrer dans ça mais quand tu es un chanceux dans la vie, tu le sais. Et “23” parce que je suis né le 23 mars 2001, c’est aussi un chiffre que beaucoup de mes basketteurs préférés ont porté.
« Si tu réfléchis trop au fait que les gens parlent de toi tu peux te déconcentrer, ne plus prendre les choses au sérieux et devenir détaché de ta musique. »
Le milieu rap parle de toi comme du rookie de l’année 2023, est-ce que tu arrives à palper cette hype autour de toi en ce moment ?
J’essaye de m’en détacher le plus possible, de rester clean, concentré, et le plus droit dans mes bottes. Parfois je fais des petites folies et je sors le samedi soir parce que je sais que l’on a fini le projet, mais sinon je reste focus. Je pense que si tu réfléchis trop au fait que les gens parlent de toi tu peux te déconcentrer, ne plus prendre les choses au sérieux et devenir détaché de ta musique. Tu vas commencer à arriver en retard au studio, tu vas ne plus respecter l’ingénieur du son, il ne faut pas rentrer dans cette mentalité. Bosse ta musique d’abord, puis ton image, mais ne te focus jamais sur ce que disent les gens.
Tu as été surpris de cet engouement, de toucher autant de gens ?
Bien sûr, j’étais choqué et c’est normal. Je suis comme un fou, c’est trop beau. Les darons ne captent que les chiffres, parfois je leur montre les auditeurs mensuels en mode “Maman, tu te rends compte, y a 88 000 personnes qui écoutent ma musique, ils ne peuvent même pas rentrer à la maison, c’est une dinguerie !” (rires).
Tes parents te soutiennent dans ce que tu fais ?
Ils veulent que je reste concentré, ils me le répètent. Je leur ai dit directement que c’était ce que je voulais faire. J’étais en deuxième année de BTS Commerce International, en alternance, je travaillais aussi au Pret A Manger en tant que manager et j’ai tout quitté après la signature chez Blue Sky. On m’a offert un studio dans lequel je pouvais aller tous les jours, des sous pour vivre, j’ai eu l’opportunité de mettre deux pieds dans la musique, j’ai compris qu’il fallait faire les bons choix. On est en France, j’ai le luxe de pouvoir reprendre l’école juste après si je le veux.
Dans le genre reconnaissance insolite, il y a le youtubeur-star Michou qui a mis ton morceau “Gangtaka” en story, comment t’as réagi ?
J’ai pété mon crâne ! Il promène son petit chien et il écoute “Gangtaka”, c’est fou ! Cet épisode-là m’a vraiment choqué, c’était trop drôle.
Les gens parlent de toi aussi comme d’un nouveau La Fève car il y a des similarités dans le chemin que vous tracez : le projet commun avec Kosei, le feat avec Skefre, l’impression qu’il est facile pour vous de rapper sur une prod… Tu aimes la comparaison ?
C’est trop lourd. La Fève il est trop dedans, il change les choses, je crois qu’on a la même détermination. On est branchés mais pour l’instant il n’y a pas de collaboration de prévu. On était ensemble pendant que je faisais le projet avec Kosei, il est passé, on a discuté, c’est un bon gars. Ça serait un kif de travailler avec lui.
Parlons de ton projet qui vient de sortir. J’ai l’impression que le titre “Recherche et destruction”rejoint ton ambition de nouveauté et symbolise la destruction de l’ambiance très war que tu avais instauré précédemment dans ta musique. Je me trompe ?
C’est exactement ça. On casse le délire un peu war et on détruit tout ce qu’on avait envie de faire de nouveau. On a bossé dessus et on a détruit ça !
Qu’est-ce qu’il a de particulier ce projet ?
Depuis que je suis à mon label Blue Sky, en janvier, on a bossé deux projets en amont : 23 et 888823 avec Kosei. C’est vrai que ça a été des projets assez rapides. Celui-là, on a fait plus de morceaux, il a pris plus de temps. Pour toute l’équipe c’est the projet, celui sur lequel j’ai mis le plus de temps dans ma vie, on le travaille depuis cet été, j’étais en t-shirt et short quand on l’a commencé, en pétard !
« Il faut s’ouvrir sans se perdre, c’est la base de la musique. »
Il y a un vrai tournant musical dans la moitié du projet. Des morceaux longs, évolutifs, avec des guitares, saxophones, beaucoup de piano etc.. Pourquoi as-tu eu envie de ça ?
J’avais envie de découvrir des choses et prendre des risques, c’est ça que j’aime. Au début de ma carrière je suis arrivé avec de la drill mais ce n’est vraiment pas mes sons préférés. Là j’ai demandé de la “musique”, des vrais instruments, des voix de femmes etc. Il faut s’ouvrir sans se perdre, c’est la base de la musique.
Tu t’investis à quel point dans la partie production de ta musique ?
J’aime arriver avec des références. Je sais que certains compositeurs n’aiment pas ça mais je tiens à arriver avec toujours de nouvelles idées. Quand un producteur me dit qu’il a bossé quelque chose en amont pour moi, je lui dit “Viens on fait plutôt ça maintenant, l’aura qu’on a tout de suite, elle est unique.”
« Je peux me lever un matin et écouter The Doors puis Kaaris. »
Quelles sont les prochaines directions que tu as envie de prendre musicalement ?
Je veux ramener des profils féminins, surprendre les gens. Je peux me lever un matin et écouter The Doors puis Kaaris, j’écoute plein de choses différentes.
« Ma manière d’écrire est mathématique. »
Tu as une vraie science de l’ad-lib et du gimmick aussi, il vient d’où ton “touloutoutou” qui a déjà marqué le public ?
Je crois que c’est Leto en France qui l’a fait en premier (rires) ! Aux Etats-Unis il est partout cet ad-lib. J’aime trop. En fait parfois je me dis que j’ai trop écrit mon texte et qu’il faut du gimmick pour faire respirer. Ma manière d’écrire est mathématique, je rappe en buggant, je fais des trucs chelous. Je joue avec la sonorité des mots, je les élabore, j’aime trop les chiffres et les lettres. On essaye de tout ouvrir, de tout faire ressentir.
Chaque mot semble être étudié pour bien sonner, tout est très rythmique.
Ouais, je me casse le crâne, je me fais un peu chier. J’écris vraiment longtemps, parfois deux heures sur une seule prod. Je fais attention à ne pas répéter ce que j’ai pu dire le jour d’avant, il faut innover dans les phrases, essayer d’être impactant. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte.
Il y a le rappeur américain Benny The Butcher, membre de Griselda, en feat avec toi sur le projet. Comment une telle connexion a pu se faire ?
Déjà, merci à Blue Sky. J’ai eu une proposition pour ajouter un rappeur américain dans le projet. On a hésité avec mes gars à savoir s’il fallait accepter ou pas, c’était peut-être plus sage d’attendre, les américains sont remplis de restrictions. Mais pour le bien de la musique on a accepté. On a reçu pas mal de propositions de rappeurs qui pouvaient correspondre au morceau, j’ai choisi Benny The Butcher, c’est le boucher, il est trop fort, c’est un pionnier. Il a respecté, c’était super fluide, j’étais trop content.
Il y a aussi Wallace Cleaver sur le projet, qu’est-ce que tu aimes chez lui ?
Comme on dit, c’est un blanc qui fait les choses ! Le mec parle de sa campagne, c’est super émouvant, c’est brut en même temps. Il s’en fout, il a des lunettes rondes, il a un dégradé court le mec, il est là à vivre sa vie et à dire ce qu’il a à dire. C’est ce que je cherchais, il me paraissait trop sain, trop honnête. Avant même que je sois signé en label, quand je faisais des freestyles sur Instagram, c’est le premier avec une pastille bleue à m’avoir contacté. J’étais choqué.
Traditionnelle dernière question : quelle est ta définition d’une clique ?
Pour moi une clique c’est une équipe de mecs soudés, prêts à tout. Ils sont connus pour être ensemble et pour avoir des ambitions communes.
Le projet « RECHERCHE&DESTRUCTION » est disponible sur toutes les plateformes, et on ne peut que vous inviter à cliquer dessus…
Cyprien Joly