Violente Viande est auteur. Ses moyens d’expression, c’est Instagram et la BD, deux médias sur lesquels il partage ses idées acides… En exclusivité pour Clique, il nous parle d’une news dont tout le monde se fout, sauf lui.
Contre toute attente, la disparition d’Yvette Horner a causé en moi une sorte de choc émotionnel. Si tu ne connais pas Yvette Horner, dis-toi que c’est notre Beyoncé des Trente Glorieuses. Notre Céline Dion de l’instrument à vent. Parce qu’Yvette, en plus d’avoir été l’une des meilleures joueuses d’accordéon du monde et d’être une warrior, c’était l’idole de ma grand-mère. Et quand t’as le respect de ma grand-mère, t’as mon respect.
Imagine un peu. 70 ans de carrière, 2000 concerts, 150 albums pour un total de 30 millions de disques vendus. Yvette Marie Eugénie Hornère aka Yvette Horner, c’était une tueuse.
Elle mettait tout le monde d’accord avec l’instrument le plus ingrat du monde : l’accordéon. Cette machine qui, lorsque tu en joues, te fait passer pour un débile parce que t’es obligé de sourire et de regarder les gens. Bah Yvette elle le faisait. Elle a joué jusqu’à ses 88 ans pour combattre l’arthrose et pour honorer la promesse faite à son mari de ne jamais s’arrêter.
Tu l’as bien compris, on touche pas à Yvette.
Alors si justement ce décès remue une corde en moi (un jeu de mot de musicien bienvenu), c’est parce qu’avec cette artiste, c’est encore un peu plus des bouts de nos seniors qui s’en vont. Et je ne sais pas si tu l’as remarqué, mais depuis une décennie ou deux, nos vieux vivent plus longtemps que leurs propres souvenirs.
Car Yvette Horner, c’était les bals musette et les thés dansants. C’était la France de ceux qui se tamponnaient à la guinguette pour se marier ensuite. C’était la France qui part en voyage sur la Côte d’Azur en camping car et se retrouve à Aire-sur-l’Adour pour prendre l’apéro et manger son sandwich rosette. Cette France qui suit la caravane du Tour chaque Été. Celle des « aoûtiens », des prolos, des petites gens, des dos cassés, des ouvrières. Yvette Horner, c’était la source d’inspiration de ce petit malin de Pascal Sevran qui avait bien trouvé son filon du Dimanche.
Tout cela disparaît un peu plus. Et nos anciens, mes grand-parents, les tiens, se voient à nouveau amputés d’une chose qui leur est propre : une référence commune. Une terre de plus submergée par le temps et la finitude de toute chose, qui les pousse à se retrancher vers un mur qu’on a dressé. En se rappelant de choses qu’eux seuls ressentent, ils tombent dans l’oubli.
C’est donc ça, mon bonhomme, l’immortalité. Un agrandissement de la salle d’attente. Mourir à rebours, voir ceux qui partent et ne plus comprendre ceux qui arrivent. T’es comme ce gosse qui reste le dernier quand on choisit les équipes de foot à l’école. Et ouais je fais des phrases pompeuses et imagées comme un écrivain qui se la raconte, mais je fais ce que je veux.
Un jour, ma grand-mère m’a avoué se sentir trop vieille. Encore vivante à l’âge où ses propres parents étaient déjà morts. Encore là alors que la plupart de ses amis étaient déjà partis. Trop vieille dans une société où l’on veut vivre plus longtemps mais où les vingt dernières années de vie sont très lourdes à porter. Un vestige à qui l’on interdit le repos, puisque de nos jours on n’a pas le droit de vouloir mourir, ou en tout cas pas le droit de le décider soi-même.
Alors, la voici cette news dont tout le monde se fout sauf moi : la vie dure toujours aussi longtemps, c’est juste la mort que l’on a fait commencer plus tôt.