Juste après la diffusion du Gros Journal, retrouvez en exclusivité la suite de l’interview en version longue sur Clique. Mouloud Achour, son invité et un gros +. Place, ce soir, à Kery James. Au programme de la version longue : l’affaire Adama Traoré, ce que signifie le « rap conscient » aujourd’hui et – entre autres – son regret d’avoir soutenu le PS par le passé et sa position par rapport au Front National.
Mouloud : Bonsoir et bienvenue dans le Gros Journal ! Ce soir on reçoit quelqu’un de très cher à notre cœur, une des légendes vivantes du rap français. Ça fait vingt ans qu’il est là. J’ai nommé Kery James. Comment ça va ?
Kery James : Ça va, ça va, merci de me recevoir.
On est ici dans un ring de boxe, parce que ton album s’appelle « Mouhammad Alix ». Mohamed Ali nous a quitté cet été. Que représentait-il pour toi ?
Plus qu’un grand boxeur, c’était surtout pour moi, un homme qui a su dire non, à un moment où il était difficile de dire non. Un homme qui a refusé d’aller combattre au Vietnam. Ce sont ces raisons qui ont fait que j’ai appelé mon album « Mouhammad Alix ».
Dans un de tes clips, tu traites Cahuzac et Harlem Désir de racailles. Pourquoi ce sont eux les racailles ?
Ça me faisait plaisir d’inverser un peu les rôles. Sarkozy nous avait qualifié de racailles. Il avait prétendu qu’il allait débarrasser les banlieues des racailles. Et je savais qu’à l’aube des élections, ils [les hommes politiques] allaient diviser la France en deux, pointer du doigt et stigmatiser les mêmes personnes. Donc j’ai voulu leur rappeler quelques problèmes plus importants pour les Français, comme le cumul des mandats, la corruption et la délinquance dans les plus hautes sphères de l’État… Leur rappeler qu’il y a beaucoup de racailles parmi eux.
Quand on regarde l’ensemble de ta carrière, on voit bien que tu n’es pas communautaire. Mais depuis que tu t’es converti à l’islam, on dit que tu l’es devenu.
Au contraire ! Quand on va dans mes concerts, on peut constater qu’il y a beaucoup de jeunes blancs, de jeunes Français « de souche ». J’ai souvent permis de construire des ponts entre ce que j’appelle moi les deux France(s).
Tu dis souvent que tu es issu de la deuxième France. C’est quoi la deuxième France ?
Celle qui est pointée du doigt, celle qui est stigmatisée, celle qu’on entend plus rarement.
Est-ce que toi, en tant que musulman, père de famille, tu te sens bien en France ?
Je me suis posé la question avec mon épouse. J’ai déménagé il n’y a pas longtemps et je me demande si je vais acheter ou pas. Je me demande s’il faut que j’investisse dans un pays qui m’a déjà discriminé en tant que noir, puis en tant que banlieusard, et même en tant que rappeur. Ma musique n’a pas été acceptée en tant que telle. Aujourd’hui, ce même pays me discrimine en tant que musulman. Pour moi, il est difficile d’imaginer un avenir sur le long terme, ici en France, notamment pour mes enfants.
Il y a une grande partie dans ton album sur les femmes musulmanes. Pourrais-tu en parler ?
Ma femme porte le voile. Si je lui demandais de ne plus porter le voile, elle ne voudrait certainement plus rester avec moi. Elle le porte parce qu’elle le veut. C’est son propre choix. Et la plupart des femmes voilées que je connais, n’ont aucune obligation de le porter. Pourtant, quand on regarde des reportages à la télé, les femmes seraient toujours contraintes de porter le voile. Moi dans la vie réelle, je n’en connais pas. Et ces femmes-là sont pointées du doigt aujourd’hui. L’une des caractéristiques des lâches, c’est de s’en prendre aux femmes. Et on veut leur dire comment s’habiller et même comment se déshabiller. On prétend soi-disant qu’en les stigmatisant, on va combattre le terrorisme. Moi je vais dire un truc qu’ils n’aiment pas entendre : pour moi, ils alimentent le terrorisme.
Il y a aussi une grande déception, que l’on ressent sur tous tes albums, à propos de la doctrine antiraciste à la française.
Oui, je pense qu’on a été manipulés. Manipulés depuis la marche qu’ils appellent « la marche des beurs » où certains se sont présentés comme nos amis et nos alliés. Mais en réalité, ils ne nous aiment pas comme des alliés, mais comme des asservis.
Tu parles de SOS Racisme ?
Je parle de SOS Racisme, mais aussi de la gauche en général. Les arabes et les noirs…Ils les aiment quand ils sont asservis. Aujourd’hui, on a besoin de notre indépendance. Ni de gauche, ni de droite. Il y a peut-être une voix au milieu et ce sera la nôtre.
Sur le morceau « Musique nègre », tu as remis à l’ordre du jour et tu as affirmé ta négritude. Est-ce qu’il était important pour toi de te réapproprier le mot « nègre » ?
Non, je n’ai pas voulu me le réapproprier, mais j’ai vu que d’autres n’hésitaient pas à le réutiliser. Comme Henry de Lesquen quand il a qualifié le rap de « musique nègre ». En réalité pour nous, ce n’était qu’un prétexte pour parler de notre musique et des symboles. Il y a beaucoup de jeunes qui ne connaissent pas Thomas Sankara, les Black Panthers ou même Martin Luther King. Je pense que le clip va pousser certains à s’intéresser à l’Histoire.
Merci beaucoup d’être venu.
Merci à toi pour cette interview.