Amazigh, ce nom ne vous dit rien ? Il s’agit pourtant d’une population autochtone nord-africaine qui s’étend du Maroc à la Libye et qui compte environ 45 millions de personnes. Également nommés « Berbères », l’appellation Amazigh, qui signifie « Homme libre », est préférée du fait de l’origine du mot berbère qui vient de « barbare », nom par lequel les Romains les désignaient. La culture Amazigh transcende les nationalités et a survécu à de multiples invasions au cours des siècles. Malgré les métissages et l’arabisation, la langue Amazigh est toujours parlée dans de nombreux pays et se décline en plusieurs variantes tels que le Chleuh (sud marocain) le Rifain (nord marocain), le Touareg (région sahélienne transfrontalière) ou encore le Kabyle (nord-est algérien).
Faire découvrir cette culture méconnue et pourtant bien présente en France, telle est l’ambition de Sonia Amori et de Coralie Paquelier, les auteures de la bande-dessinée pour enfants La Petite Kabyle. À travers ses voyages dans le nord de l’Afrique, la petite héroïne aux boucles rousses fait découvrir la culture et la gastronomie Amazigh dans un livre pour enfants drôle et éducatif qui a pour maitre mot une seule chose : le partage.
Clique : Qui se cache derrière La Petite Kabyle ?
Sonia Amori : Nous sommes deux ! Il y a Coralie Paquelier et moi. Coralie est mon amie et elle est aussi la co-auteure et l’illustratrice de La Petite Kabyle. Elle est celle qui m’accompagne depuis le début de cette aventure. On est vraiment un duo sur ce projet. En plus de La Petite Kabyle, Coralie a aussi un blog BD, La vie est merveilleuse, où elle raconte sa vie de comédienne.
Quant à moi, je suis aussi une jeune comédienne, franco-algérienne, originaire de Tizi Ouzou en Algérie. Je suis arrivée à huit ans en France. C’est vraiment la comédie qui m’a amenée à faire La Petite Kabyle puisque, en tant que comédienne, j’étais amenée à lire des scénarios et certains concernaient mes origines. Et en fait, je me suis rendue compte depuis ces dix dernières années qu’on est passés de l’image de pauvres analphabètes habitant dans des quartiers difficiles à terroristes. C’est la représentation que j’avais dans beaucoup d’auditions que je passais. Et je me disais : « pourquoi ? Pourquoi on est représentés que par ça ? Pourquoi on ne peut pas montrer autre chose ? ». Moi je n’ai pas ça chez moi, je ne me sens pas représentée par ça.
En fait, je faisais partie d’un métier qui se disait miroir de la société ; et ce miroir-là, je ne me retrouvais pas dedans.
L’actrice Sonia Amori, derrière le projet de La Petite Kabyle © KissKissBankBank.
Comment est née l’idée de créer cette petite héroïne rousse aux cheveux bouclés qui parcourt le nord de l’Afrique pour faire découvrir la culture Amazigh ?
L’idée est née lors de mon premier crowdfunding pour ma marque de vêtements (La Petite Kabyle, NDLR). Je voulais séparer mon métier de comédienne de mon métier d’entrepreneuse. Et ce personnage, c’est tout simplement un mini-moi amélioré par les talents d’illustratrice de Coralie. C’est mon mini-moi, sauf que moi je rêverais de faire tout ce que cette petite kabyle fait. Parcourir le nord de l’Afrique en vélo ou autre, j’en rêverais !
Pourquoi avoir choisi un livre pour enfants ?
Quand on parle aux enfants, on casse tout, tout est possible. Il n’y a plus de frontières, ça n’existe pas pour eux. Tout est possible et positif. Ça m’a vraiment plu de pouvoir représenter ça grâce à mon amie et acolyte, Coralie Paquelier, sans qui je n’aurais rien pu faire.
La petite Kabyle a été financé grâce au crowdfunding sur KissKissBankBank.
Pour la petite anecdote, j’ai présenté mon livre à des enfants du XVIIIe arrondissement de Paris, et c’était hyper touchant pour moi parce qu’ils se sentaient reconnus. L’histoire de La Petite Kabyle résonnait en eux. On parlait de choses communes chez eux. Il y a des enfants qui criaient « oui moi aussi je vais au Hammam avec ma mamie ! », c’était juste génial.
On ressent, à travers La Petite Kabyle, l’ambition pédagogique de faire découvrir aux enfants une culture qu’ils méconnaissent…
Complètement ! C’est pour ça qu’on commence dans une école à Paris. La classe représentée dans La Petite Kabyle quand le livre commence, c’est une classe française et on y voit des enfants de toutes origines, et c’est ça qui était important pour moi. L’enfant qui lit ce livre peut être Boubakar, Sophie ou Lyna, mais ce sont des enfants qui font partie de cette France.
Pour ce qui est de la découverte de la culture berbère, il y a cette soupe, la bissara, et il y a cette tenue aussi, la fota, qui est portée par l’héroïne, Taous. D’ailleurs, ce prénom berbère est particulièrement intime et important pour moi, parce que c’est le prénom de ma mère. Donc oui, mon ambition c’est que les enfants qui ne connaissent pas cette culture, la découvrent, la trouvent accueillante et qu’ils aient envie d’en savoir plus. Les enfants qu’on a rencontrés dans le XVIIIe venaient de partout. C’était très éclectique, et ils avaient tous envie d’aller au Hammam à la fin, c’était super chouette.
Mais ce livre n’est pas du tout uniquement destiné aux enfants aux origines berbères.
Mais est-ce qu’il n’y a pas aussi l’envie de donner aux enfants français d’origine Amazigh un personnage auquel ils peuvent s’identifier ?
Bien sûr ! C’est important pour ces jeunes enfants, qui deviendront bientôt des jeunes adultes, d’avoir des héroïnes. Ce n’est pas pour rien que j’ai appelé une de mes robes la « Kahina ». Kahina, c’est une grande guerrière kabyle, puissante, dont ma grand-mère me parlait quand j’étais petite. Et quand t’es adolescent, c’est vraiment pas cool de voir ses origines résumées à la colonisation, à une image de paysans qui galèrent. Quand t’es ado, c’est pas stylé du tout !
J’ai eu de la chance d’avoir cette Kahina en exemple, du coup je ressens le besoin de parler aux jeunes femmes, et malheureusement les jeunes femmes de notre communauté sont très souvent considérées comme des femmes soumises sans ambition – mais c’est totalement faux ! Et pour les petites filles, d’avoir cette petite kabyle qui voyage, qui fait plein de choses, c’est important. À la fin d’un atelier qu’on a fait dans le XVIIIe, une femme kabyle est venue me voir pour me remercier et me dire que sa petite fille, qui s’appelle Kahina justement, était maintenant fière d’être kabyle.
On en parle de votre passion pour la Bissara ?
Purée mais j’adore (rires) ! La bissara (Plat traditionnel marocain. Il s’agit d’une purée à base de pois cassés, de cumin et d’huile d’olive, NDLR) c’est le plat traditionnel de tout le nord marocain, et en parlant du Rif (région du nord marocain ndlr) ce n’était pas normal de parler du couscous. Ça n’avait pas de sens, dans le nord du Maroc, tout le monde mange de la bissara. Et en plus c’est vegan ! Donc tout était parfait pour moi (rires). Je conseille à tout le monde d’en cuisiner, et les enfants adorent ça. C’est vraiment une manière de leur faire manger des pois cassés, ça passe très très bien.
Est-ce que La Petite Kabyle va avoir une suite avec d’autres aventures au Maroc et ailleurs ?
Oui ! Des aventures dans toute l’Afrique du Nord. On veut la faire voyager partout partout. Elle va aller voir les Touaregs, les Chleuhs, les Berbères des Oasis en Libye, tous les peuples berbères.
Parce que attention ! Ce n’est pas parce que ma BD s’appelle La Petite Kabyle que je ne veux parler que des kabyles, pas du tout ! Je veux parler de tous les berbères, c’est très important pour moi.
La Petite Kabyle, c’est plus qu’une bande dessinée ?
Mon rêve, c’est d’ouvrir une maison berbère avec une restauration. Un endroit où on pourra vendre pleins de produits nord-africains, mais aussi un lieu de culture où les gens auront accès à toute la culture berbère, aux poèmes… Je m’inspire un peu des cafés culturels perses pour ce projet, puisqu’ils ont réussi à détacher leur culture de la religion en France, et c’est ce que je veux. Je veux une maison culturelle laïque. La nourriture, la danse, les habits, ça dépasse tout ça. Il n’y a aucun lien direct avec la religion. Mon but, c’est d’éveiller la curiosité des gens autour de ce peuple plurimillénaire dans un lieu de culturel où on peut manger des plats traditionnels et revisités vegan et végétariens, mais aussi un lieu où on pourrait entendre parler du Nord de l’Afrique, de ses poètes, de toutes ses reines et rois. Je veux qu’on y lise du Tassadit Yacine, du Kateb Yacine, qu’on entende des chants berbères de Matoub Lounès, d’Idir… J’ai envie de montrer tout ça. Un éventail de choses à la fois culturelles et culinaires.
Votre marque a été financée par une campagne de crowdfunding sur KissKissBankBank, pourquoi avoir choisi ce mode de financement ?
Tout simplement parce que j’avais envie de savoir très rapidement si ça allait résonner chez d’autres personnes que mon entourage proche. Je me voyais mal aller voir une banque et leur dire «je vais faire des habits, j’étais comédienne avant, j’aurais jamais pensé faire ça de ma vie mais voilà». Cette entreprise, je l’ai lancée avec le cœur et avec beaucoup de spontanéité, et j’avais envie de garder cette spontanéité et la mettre à l’épreuve directement. J’ai eu la chance d’avoir 189 personnes qui ont cru en moi et qui ont financé mon projet en un mois.
Vous parlez de votre volonté de voir les femmes « sublimées par des créations métissées » et de « berbériser la mode occidentale », qu’est-ce que ça signifie pour vous ?
On parle beaucoup d’appropriation culturelle (Quand une culture dominante – en l’occurrence la culture occidentale – s’approprie les codes esthétiques d’une culture dominée – pays anciennement colonisés ou minorités opprimés – en ignorant leur symbolique et pour s’enrichir au détriment des peuples dont elle s’inspire NDLR) Mais je trouve que c’est notre faute de laisser notre culture être rachetée à bas prix par des grands groupes qui ne la mettent pas en valeur et qui n’expliquent pas leur origine. Quand je vivais à Londres, j’ai vu une fille qui portait une Croix du Sud (Aussi appelée Croix d’Agadez, c’est un bijoux berbère saharien, notamment porté par les Touaregs NDLR) donc bêtement je lui dis : « mais c’est génial, t’es partie dans le désert et t’as ramené cette Croix du Sud de là-bas ? » et elle me répond «non non je l’ai achetée chez H&M dans la catégorie « ethnic jewellery » ».
Et c’est ça qui est terrible, c’est ça l’appropriation culturelle.
Quand je dis que je vais « berbériser » la mode occidentale, c’est pour apporter une petite touche sur des vêtements occidentaux classiques avec une explication sur l’origine de cette tenue. Par exemple, si je cous un motif de tatouage berbère sur un vêtement, je veux expliquer ce que ça signifie pour les berbères, qu’il s’agisse d’une main de Fatma, d’un serpent, d’un croissant de lune… Il y a toute une poésie dans cette culture que j’ai envie de distiller de manière non choquante dans mes vêtements. C’est mon pari (rires).
La marque de la petite Kabyle.
Tous vos vêtements sont cousus et brodés au Maroc ?
Pour la première collection, oui. J’habitais au Maroc à l’époque. Mais les coûts de production étaient tellement élevés que j’ai dû arrêter. Je n’avais pas les reins assez solides. Puis pour la deuxième collection, j’ai été approchée par une usine qui ne fait que du vegan et qui est dirigée par des femmes, et les vêtements ont été cousus au Vietnam. La soie végétale est produite en Asie et les habits sont cousus là-bas, donc je divisais mon empreinte carbone par deux aussi.
Mais oui, malheureusement, j’ai dû arrêter de faire faire les vêtements au Maroc pour une question de prix. C’était du suicide de continuer. Mais mon rêve et mon objectif à long terme c’est bien évidemment d’avoir ne serait-ce que les broderies faites au Maroc… Mais pour l’instant je n’en ai pas les moyens.
Vos vêtements sont tous vegans, qu’est-ce que ça signifie ?
Cela signifie simplement qu’il n’y a pas de matière animale utilisée de près ou de loin pour la confection des vêtements. Donc on n’utilise pas de soie, on n’utilise pas de laine, ni de cuir.
Mon entreprise je la veux éthique, et pour moi je ne peux pas être éthique en travaillant avec des animaux morts. C’est aussi pour ça que dans ma maison berbère, il n’y aura pas de viande.
Quelle est la suite pour La Petite Kabyle ?
Mon rêve c’est d’avoir cette fameuse maison berbère éphémère en juin à Paris, sur un mois. On pourra y manger, y acheter des produits artisanaux nord-africains et écouter soit de la musique Amazigh, soit des poèmes. Pour cette occasion, je vais ressortir la robe la Kahina remasterisée. Et j’aimerais aussi organiser une levée de fonds de plus grande envergure pour pouvoir créer cette maison berbère mais de façon permanente.
Et bien évidemment avec Coralie Paquelier on va continuer à sortir d’autres aventures pour La Petite Kabyle qui va aller prochainement dans le nord du Mali et en Kabylie !
Propos recueillis par Manal Khallou.
La Kabylie est disponible en libraire et ligne au prix de 12,99 euros.
Image à la Une : Couverture de La Petite Kabyle.