"Zigenare" (gitan), "neger" (nègre), ou encore "lapp" (un terme péjoratif pour désigner la population Sami de Laponie) : l'Académie suédoise n'exclut pas ces mots de son dictionnaire. Mais elle ne veut plus qu'ils soient utilisés, et elle le fait savoir.
Signaler les termes qu’elle juge insultants et les assortir d’un ou plusieurs mots de rechange : c’est ce que fera désormais l’Académie suédoise dans le dictionnaire officiel du pays, édité par ses soins. En pratique, chacun des termes incriminés sera suivi de l’expression « utilisez plutôt » et d’une alternative : « noir » pour « nègre », par exemple, ou « Rom » pour « Tsigane » (un terme qui a acquis une connotation péjorative dans le vocabulaire suédois).
De rares mots ont été complètement bannis de la 14e édition du dictionnaire (appelé « SAOL » en Suède), prévue pour ce printemps. C’est le cas de la « tête-de-nègre ». Ce terme suranné existe aussi en français : il a longtemps désigné, en pâtisserie, une recette de boule meringuée enrobée de chocolat.
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Interrogée par le quotidien anglophone The Local, une membre d’une agence gouvernementale dédiée à la langue suédoise présente la décision de l’Académie (indépendante depuis sa création, en 1785) comme un service rendu aux citoyens : sensibiliser les Suédois, les guider dans le choix de leurs mots, peut contribuer, selon elle, à « réduire le racisme ordinaire ».
C’est Sven-Göran Malmgren, le rédacteur en chef du dictionnaire, qui a rendu cette décision publique hier, lundi 23 mars. Il a aussi annoncé une nouvelle approche du genre, avec l’introduction du pronom personnel « hen », un troisième pronom neutre, ni féminin (« hon) ni masculin (« han », qui correspond à « il/lui »).
Sven-Göran Malmgrena, en 1998. Photographie © TT/SVT
Sven-Göran Malmgrena, explique le quotidien national Svenska Dagbladet (SvD), précise que tout dépend du contexte : un mot épinglé cette année ne le sera pas forcément l’année prochaine. Il rappelle que les décisions de l’Académie sont « affectées par les humeurs et les débats de la société ».
Rien de plus vrai, quand on sait que depuis des mois, le thème de l’immigration, notamment celle des Roms, agite plus que jamais la vie publique suédoise. En septembre dernier, le premier ministre Stefan Löfven (pas encore en fonction à l’époque) a dû présenter des excuses : lors d’une intervention radiophonique, il a utilisé le mot « Tsigane » au lieu de « Rom ». Quant au questionnement sur le genre, il est intégré depuis bien longtemps, de manière transversale, à toutes les couches de la société (école, travail, etc.).
Ce rôle de « juge de la langue » que s’attribue l’Académie Suédoise n’est pas nouveau. Comme le dictionnaire de l’Académie française, et à la différence d’un Larousse ou d’un Robert, elle produit un ouvrage normatif, et pas uniquement descriptif. Cela signifie qu’elle ne cherche pas à photographier l’état de la langue à moment précis, mais qu’elle veut, au-delà, en fixer les règles et les principes.
Dans son édition de l’année dernière, le dictionnaire signalait déjà les mots jugés blessants et insultants. Mais jamais, auparavant, l’Académie n’avait jamais suggéré d’expression alternatives.