Ce soir Mouloud Achour pose le plateau du Gros Journal à Paris, entre le Palais de Justice et la Préfecture de Police pour recevoir William Bourdon, un avocat qui dénonce « Les dérives de l’état d’urgence ». Pour ce célèbre avocat engagé depuis 40 ans dans la défense des libertés publiques et de l’État de droit, l’état d’urgence est non seulement inefficace, mais il menace nos libertés fondamentales. Il nous apprend aussi quelques mots qu’il ne faut pas prononcer au téléphone, sous peine d’être mis sur écoute…
Le Gros Journal avec William Bourdon, l… par legrosjournal
Mouloud : On est ici à Paris entre la Préfecture de Police et le Palais de Justice avec William Bourdon, l’auteur de ‘Les dérives de l’état d’urgence”. Tout d’abord, William, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
William Bourdon : Eh bien écoutez, avocat depuis déjà trop longtemps… Presque 40 ans ! Engagé dans la défense des libertés publiques, de l’État de droit. Ce livre c’est une sorte de radiographie, d’autopsie d’histoires individuelles qu’on a accompagnées et traversées avec l’équipe de mes collaborateurs, qui m’a d’ailleurs très largement aidé à faire ce bouquin. Et donc c’était de confronter le réel de ces histoires avec l’état d’urgence qui somme toute semble de plus en plus abstrait.
C’est la question que j’allais vous poser, c’est quoi l’état d’urgence ?
L’état d’urgence, c’est une espèce de bascule brutale qui est intervenue à l’automne 2015.
Est-ce que depuis que l’état d’urgence est en place, il a servi à limiter les dégâts en termes de terrorisme et d’actes terroristes, ou il a causé plus de dégâts ?
Aujourd’hui, la banalisation de l’état d’urgence semble ridiculiser l’esprit critique. On a le sentiment qu’émettre même des interrogations devient indécent.
La banalisation, c’est ce renouvellement 5 fois !
Ce renouvellement 5 fois, et avec quelque chose qui inhibe le débat démocratique sur l’état d’urgence. Et avec des mesures qui ont été prises dans la précipitation, sans concertation et aujourd’hui sans bilan. Sera-t-il fait demain ? Il faudra beaucoup de courage politique.
Donc on ne peut pas avoir de bilan de l’état d’urgence : on ne peut pas dire tant de terroristes ont été empêchés d’agir, tant de choses ont été empêchées, on peut pas le savoir pour l’instant ?
Ce qu’on sait c’est que globalement c’est de l’affichage, ce qu’on sait c’est qu’à 95/99%, les personnes qui ont été assignées à résidence n’ont fait l’objet d’aucune procédure judiciaire. Ce qu’on sait, c’est que l’ensemble des perquisitions qui ont été ordonnées par les préfets n’ont abouti que de façon extrêmement marginale à des procédures liées à des affaires de terrorisme et que donc on a quand même ce sentiment que le pouvoir a été amené à multiplier une forme de communication publique – sans doute parce qu’il était lui-même dans une phase de discrédit…
Oui mais quand on dit “on est en guerre”, c’est ce que les politiques disent… Est-ce ça annihile tout débat !?
Alors, c’est ce que les politiques disent ! Mais il y a beaucoup d’observateurs, beaucoup de sociologues, beaucoup de personnes très qualifiées qui disent que ce langage militaire qui accompagne ces postures martiales, ces espèces de politiques en coup de menton, font partie d’une sémantique dangereuse ! Pourquoi ? Parce qu’elle donne le sentiment que ceux vis-à-vis desquels il faut se trouver évidemment inflexible, mais aussi tous les autres à l’encontre desquels on généralise une politique de soupçon parfois non étayée, a introduit l’idée qu’il y aurait en France des ennemis de l’intérieur et qu’une partie par exemple de la communauté musulmane qui épouse parfois des formes traditionnelles de l’Islam et qui peuvent être à des années-lumières de la moindre empathie pour le terrorisme, au motif de proximités un peu hasardeuses…
Ça ne touche pas que les Musulmans, ça touche tous les Français ! Personne ne pense et personne n’a dit, et ce livre ne dit pas que ça ne touche que les Musulmans… Il se trouve que dans les populations qui ont été ciblées par les perquisitions administratives, et par les assignations à résidence, très globalement, c’est la population musulmane qui a été visée ! Ça, il n’y a aucune espèce de discussion possible !
Un cas concret, qui est l’attentat de Nice, qui est un des attentats les plus dramatiques jamais survenus sur le sol français, dont on ne se remet toujours pas !
Absolument.
C’est arrivé pendant l’état d’urgence !
Absolument, mais vous savez moi j’ai rencontré des gens des services, des hauts responsables de la police judiciaire, et qui savent très bien que cet état d’urgence, essentiellement, c’est de l’affichage et ne sont absolument pas dupes sur le fait que l’état d’urgence, globalement est inefficace par rapport à la menace terroriste…
Mais est-ce qu’entre l’état d’urgence, la montée des extrêmes en France, et toutes les tentations de communautarisme et de repli, et tout ce que c’est en train de provoquer de nauséabond, finalement, ils ne sont pas en train de gagner encore plus ?
C’est exactement ce que j’allais vous dire, ce que veulent les terroristes, pas simplement en France, c’est mondialiser une forme d’État d’exception, sournois, latent, banalisé, qui ne pourrait plus être critiqué. C’est à dire un État d’exception qui non seulement ne traiterait pas les causes qui viennent de loin – économiques, sociales profondes – qui fabriquent autant de parcours accidentés, cabossés qui sont eux-mêmes des recrues potentielles pour les terroristes mais éventuellement par les mesures prises trop brutalement viennent accentuer le gisement des recrues de demain.
Il y a quelque chose qu’on aime bien, nous, faire dans cette émission c’est aller demander des conseils aux anciens, et il y a quelqu’un qu’on aime beaucoup c’est Mamie Danielle qui nous racontait avec Omar Sy son souvenir de l’état d’urgence pendant la guerre d’Algérie…
Je souhaiterais qu’elle ait tort mais je pense qu’elle a raison, je pense qu’on est entrés dans un très mauvais cycle et de très mauvais vents sont en train de souffler, pas simplement en France, mais en Europe et dans le monde entier. Et que se lèvent partout des discours de gigantesques imposteurs, ça s’appelle le populisme.
L’état d’urgence, c’est également les écoutes téléphoniques : est-ce qu’il y a des mots-clés à ne pas dire au téléphone pour ne pas être écoutés ?
Alors, premier élément de réponse, il y a déjà toute une série d’enquêtes qui ont été faites aux États-Unis, que j’ai lues avec soin parce que je suis l’avocat français de Snowden, qui montre que se développent à travers le monde des mécanismes d’auto-censure. C’est-à-dire que la crainte d’être écoutés impacte sur la liberté d’expression.
Deuxième élément de réponse, c’est sans doute que si vous êtes le cousin tunisien éloigné de quelqu’un qui est dans les radars des services français, et que vous avez été chez lui manger un couscous, voire que vous lui avez rendu un service pour faciliter l’obtention d’un passeport, que vous lui avez payé un billet d’avion parce qu’il n’arrivait pas à mobiliser des moyens de paiement pour aller faire son pèlerinage à la Mecque et qu’il est pris dans les rets des services, alors oui vous risquez fort de passer quelques jours et quelques nuits dans les locaux de Levallois à la DGSE !
William Bourdon j’ai une dernière question pour vous : on est le 14 février, c’est la St Valentin, on est en plein état d’urgence, comment ne pas avoir le bourdon, William Bourdon ?
Comment ne pas avoir le bourdon ? Eh bien, ça me donne une très bonne motivation pour envoyer un très beau poème à la femme que j’aime ce soir !
Allez-y !
Non, ça ça reste discret !
Ça peut être écouté !
William : Voilà !
Merci beaucoup !