Plus de 6000 morts selon les dernières estimations, dont de nombreuses personnes piégées sur les sommets himalayens, des images de désolation et des milliers de sans-abri. C’est le triste bilan du séisme qui a frappé le Népal le 25 avril dernier. Un bilan qui ne peut que s’alourdir. Coup de projecteur sur l’histoire de ce pays méconnu, grand comme la Tunisie, et sur les conséquences sur le long-terme de ce désastre.
Le berceau de cultures anciennes
Les images de destruction de monuments historiques de Katmandou ont fait le tour du web. Mais qui connaissait la richesse de la culture népalaise avant le drame ? La vallée de Katmandou, ceinturée de montagnes de 3000 mètres d’altitude environ, est habitée depuis des millénaires : les premières inscriptions retrouvées remontent au Vème siècle après notre ère, mais la région serait plus anciennement habitée encore. Des royaumes puis une cité-État au XIIème siècle ont ensuite prospéré. Entre 1768 et 1815, le Royaume du Népal s’est unifié et a échappé à la colonisation grâce à un accord passé avec le Royaume-Uni suite à la guerre anglo-népalaise de 1814-1816. C’est entre le XVIème et le XVIIIème siècle que se sont construits de nombreux temples devenus touristiques avec l’ouverture du pays dans les années 1950.
En termes de religion, les Népalais vivent en bonne harmonie : « Le dialogue a toujours plutôt bien fonctionné. On compte une grande majorité d’Hindous, qui représentent entre 70 et 80% des Népalais et qui sont très nombreux dans la vallée de Katmandou. », décrit Isabelle Sacareau, professeur de géographie à l’université de Bordeaux-Montaigne, et spécialiste du Népal. On ne relève aucune véritable tension avec les Bouddhistes et animistes qui représentent le reste de la population.
Ghorekani, au Népal. Source : Wikimédia.
Une situation instable
Les dernières années ont été difficiles sur le plan politique. Après une décennie de guerre civile entre la monarchie constitutionnelle au pouvoir et la guérilla maoïste, le dernier roi du Népal a abdiqué en 2006. Depuis, c’est la crise perpétuelle : « Après des années de négociations, le parlement ne parvient pas à se mettre d’accord sur la constitution à mettre en place. Le pays fonctionne sur un texte provisoire bricolé », analyse Philippe Ramirez, du Centre d’Études Himalayennes du CNRS.
Si les maoïstes ont rendu les armes après le conflit contre des compensations pour s’insérer dans des commerces, depuis plusieurs années, un grand débat les oppose au reste des forces politiques. Les anciens guerilleros plaident aux côtés de certains politiciens de langue hindi, représentant les gens de la plaine, pour un découpage ethnique des États fédérés du pays. Le sujet divise beaucoup et maintient une situation tendue dans le dialogue politique, d’autant plus que les ethnies sont très mélangées dans de nombreuses régions.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser en forçant l’optimisme, le séisme ne semble pas être l’occasion de faire l’union sacrée sur la scène politique divisée. Des mouvements de protestation ont éclaté contre le gouvernement et sa mauvaise gestion de la crise, en amont comme en aval. « Il n’y a pas vraiment de coordination de ces mouvements de colère. L’union nationale durera certes quelques semaines, tempère Philippe Ramirez, mais les Népalais ont l’habitude d’une certaine opposition politique qu’ils retrouveront ». Isabelle Sacareau n’imagine pas qu’un conflit puisse reprendre :
« Les Népalais sont encore sous le choc, mais ils sont résilients. Tant qu’il n’y a pas de constitution, ils fonctionnent hors de l’État, en se basant sur des solidarités traditionnelles et en bénéficiant de l’aide des ONGs. Les gens ont pris l’habitude de se débrouiller tout seuls ».
Des dégâts de long-terme
L’économie risque aussi de souffrir durablement de ce séisme, dont la violence n’avait pas été égalée depuis 1934. A cette époque, entre 10 et 20 000 personnes avaient péri, et plusieurs monuments avaient déjà été endommagés, avant d’être rénovés plusieurs années après. Depuis, le tourisme et l’aide internationale sont devenus les deux piliers de l’économie népalaise. Si Katmandou a été l’espace de quelques décennies la destination prisée des hippies des années 1960 et 1970, c’est principalement grâce à l’Everest et d’autres sommets himalayens que des « trekkeurs » du monde entier viennent visiter le pays en y déversant quantité de devises. « Ce sera difficile de se relever d’un tel coup », juge Isabelle Sacareau, qui a consacré sa thèse à l’étude du tourisme dans l’Himalaya. « Les revenus dégagés permettent de faire vivre des villages entiers, et même si je constate sur les réseaux sociaux que beaucoup de trekkeurs veulent revenir un jour au Népal, je ne suis pas sûre que les sherpas – les guides et porteurs népalais – accepteront tous de refaire des expéditions ».
Sans parler des monuments en ruine, autrefois à entrée payante, qui ne pourront plus accueillir les nombreux touristes occidentaux, indiens ou chinois qui venaient s’y rendre fréquemment. « C’est une perte culturelle énorme, diagnostique l’enseignante. C’est un peu comme si on perdait du jour au lendemain toute l’île de la Cité ou le Louvre, à Paris ».
Des enjeux sanitaires importants
Il faut préciser que le séisme a eu lieu dans une région sensible. Outre l’occurrence de 1934, plusieurs autres cas de tremblements de terre sont recensés entre le XIIème siècle et 1905. « L’Himalaya est né de la collision entre les plaques tectoniques indienne et eurasiatique. C’est ce jeu de forces tectoniques qui est à l’origine des séismes », explique Martin Michalon, agrégé et doctorant en géographie. (oui, on a le même nom. Non, ce n’est pas une coïncidence) Ce genre d’événement était donc prévisible. « Mais on a construit des bâtiments n’importe comment ces dernières années, sans aucune norme antisismique, déclare Philippe Ramirez. On était dans l’improvisation totale. »
Le climat de la zone, notamment de la vallée de Katmandou, est un autre facteur d’angoisse :
« La pollution de l’eau, les cadavres en décomposition combinés à la pluie inhabituelle des derniers jours et la chaleur et la mousson qui arrivent dans un mois pourraient poser de graves problèmes sanitaires », prévient Isabelle Sacareau. Même son de cloche chez Philippe Ramirez : « Rien n’indique encore que le choléra ou de telles maladies qui ont surgi à Haïti après le séisme de 2010, soient présentes sur le territoire, mais on peut s’inquiéter ».
Martin Michalon complète : « Ajoutons aussi des dizaines de milliers de sans-domiciles, livrés à eux-mêmes. Près de 100 000 Népalais ont quitté la capitale pour leur région d’origine pour aider leurs proches, et en cas d’épidémies ce mouvement pourrait s’accentuer. Les premières tentatives de départ ont provoqué des frictions, vu que les 250 cars promis par le gouvernement pour l’évacuation n’étaient toujours pas là ». Le mouvement pourrait même aller plus loin, à en croire Isabelle Sacareau : « De nombreux Népalais partent vivre à l’étranger, notamment au Qatar dans de mauvaises conditions, et envoient de l’argent à leur famille. On peut craindre que ce mouvement s’accentue, même s’il permet d’apporter des capitaux ».
Une reconstruction en pointillés
La reconstruction du pays, l’un des plus pauvres d’Asie avec l’Afghanistan, s’annonce longue. Très longue. « De nombreux villages ne sont accessibles que par des sentiers de montagne. Trois jours après le séisme, certains à 5 ou 10 kilomètres du périphérique de Katmandou n’avaient toujours reçu aucune aide humanitaire. D’autres régions comme les Annapurna ou le Mustang dépendent beaucoup du transport aérien, et ne peuvent être atteintes parce que le petit aéroport de la capitale est saturé », déplore Martin Michalon. C’est pour la même raison que l’aide étrangère peine à être acheminée, même dans la capitale, où on ne recense « que » 1 500 victimes sur les 5000 pour le moment décomptées.
Les Organisations Non Gouvernementales, déjà très présentes depuis la guerre civile, devraient donc affluer dans le pays. « Mais qui les coordonnera ? » s’interroge Isabelle Sacareau. Tout comme Martin Michalon, celle-ci s’inquiète de la répartition de l’aide, qui risque de se concentrer sur Katmandou et les régions les plus touristiques. « Des touristes ont déjà monté des associations pour venir en aide aux populations, salue la géographe. Mais il faudra reconstruire de nombreuses routes et petites structures de production dans des zones rurales ».
La facture s’annonce astronomique. 20% du Produit Intérieur Brut et des dommages peut-être… supérieurs au PIB, pouvait-on lire sur dans Les Décodeurs ce matin. L’aide immédiate est arrivée des voisins indiens et chinois, concurrents de longue date pour influer.
« Pour eux, le Népal a toujours été une zone-tampon. L’Inde y finance des barrages hydroélectriques, la Chine des routes, chacun y étend son influence », remarque Isabelle Sacareau.
L’analyse de Philippe Ramirez confirme cette situation particulière : « En général, quand les Népalais, proches culturellement des Indiens, veulent l’aide de l’Inde, ils font mine de se rapprocher de la Chine ». Le Népal d’après-séisme se présente encore plus comme cette interface entre deux géants.
Pour venir en aide aux victimes du séisme, vous pouvez faire un don à la Croix Rouge, Médecins Sans Frontières ou encore Handicap International.
Source des images : Facebook, 20 minutes.
Mise à jour : 4 avril : dates et précisions sur la politique et la religion.