L'annonce ce mardi de la mort, à 83 ans, de l'ancien dictateur panaméen Manuel Antonio Noriega laisse derrière elle un cortège de mystères... dont celui d'une hypothétique rencontre avec le rappeur Rick Ross.
De ce général qui devint, dès 1983, l’homme fort du Panama au détriment des présidents successifs du pays, on retiendra un double mépris de la C.I.A. et de Cuba, pour lesquels il joua en même temps le rôle d’agent secret, sa longue amitié avec les cartels colombiens de la cocaïne (qui aboutit, en 1992, à une condamnation à quarante ans de prison pour trafic de drogue par la justice américaine), ses derniers années dans les prisons panaméennes pour assassinats politiques… et – plus futile, certes – le fait que le rappeur Rick Ross, dans son célèbre morceau, « Hustlin' », revendique haut et fort de bien le connaître.
« Hustlin' », le tout premier single de Rick Ross, mélange d’egotrip et d’ode à la cocaïne, se veut le récit de son quotidien de puissant dealer de coke à Miami. Il est extrait de l’album Port of Miami (2006), dont le titre fait référence à la plaque tournante de cocaïne aux États-Unis qu’est le chef-lieu de la Floride. Dans le premier couplet du morceau, Rick Ross rappe :
« I’m into distribution, I’m like Atlantic
I got them motherfuckers flyin’ across the Atlantic
I know Pablo, Noriega
The real Noriega, he owe me a hundred favors »
Soit, en version française : « Je suis dans la distribution, je suis comme (le label de musique) Atlantic. Je fais traverser l’Atlantique à cette merde. Je connais Pablo, Noriega. Le vrai Noriega, il me doit une centaine de services ».
Le clip de « Hustlin' » (2006)
Si le prénom de Pablo fait référence à Pablo Escobar, figure ultra-dangereuse et mythifiée du narcotrafic sud-américain, Noriega (qui se prénomme, lui, Manuel) est présenté comme une connaissance plus ou moins proche. Rick Ross, en précisant qu’il connaît « le vrai Noriega », veille à distinguer le dictateur panaméen du rappeur new-yorkais N.O.R.E, qui se fait surnommer à l’époque Noreaga… Mais qu’en est-il de la réalité ?
Interrogé par le magazine spécialisé All Hip Hop l’année de la sortie du titre, Rick Ross invitait son public à interpréter ses paroles de manière plus distanciée :
« C’est juste que, tu sais, je traîne avec le neveu d’Escobar. Il habite juste là. C’est mon « nigga », tu vois ce que je dire ? Donc je parlais, tu sais, de vrai attachement à de vrais mecs. Voilà ce que je voulais dire. Je ne connais pas Noriega personnellement, mais je connais des mecs qui ont rencontré Noriega. Je connais des mec qui étaient en prison fédérale, à deux, trois cellules de Noriega. Tu vois ce que je veux dire ? (…) J’aime ce genre de trucs, donc je vais représenter ça. C’est tout ce que je veux dire ».
Noriega en 1987 (photographie tirée d’un galerie du Guardian qui recense les temps forts de la vie du dictateur jusqu’à son extradition en France, en 2010).
De cette réponse, énième preuve de l’éternelle obsession du rap pour les barons de la drogue, on retiendra que Rick Ross n’a serré ni la main d’Escobar (d’ailleurs tué en Colombie en 1993, alors que le rappeur n’avait que 17 ans…), ni celle de Noriega. Il est donc peu probable que ce dernier lui doive la moindre faveur.
Cela dit, l’anecdote Noriega/Ross n’était pas si invraisemblable.
Retour en 1990, à Miami. Rick Ross n’est qu’un ado de 14 ans. Au même moment, la mort d’un officier de marine américain précipite l’intervention, menée par George Bush père, des troupes américaines au Panama (que Noriega avait auparavant déclaré en guerre contre les États-Unis). L’opération, surnommée « Juste Cause », entraîne la chute du général, son transfert dans les geôles de Miami et sa condamnation, en 1992, à quarante ans de prison ferme.
S’il ne purge pas la totalité de sa peine, Noriega restera en prison en Floride jusqu’en 2010. Rick Ross, quant à lui, a été gardien de prison pendant 18 mois, dans le même État, en 1995 (avant de l’admettre et de se faire surnommer à vie « Officer Rick » par 50 Cent, il a d’abord démenti avoir exercé ce job).
Conclusion : contrairement au cas d’Escobar, les conditions d’une rencontre entre le général autoritaire panaméen et le jeune homme qu’était alors Rick Ross étaient plus que favorables.
La punchline de « Hustlin' » cacherait-elle alors, au-delà de la fascination morbide d’un rappeur pour un criminel réputé « froid » et « sociopathe », la frustration d’un rendez-vous manqué, à très peu de hasards près, entre une groupie et son idole ?