Mise à jour du 29 mai : le Bondy Blog a publié une contre-enquête sur l’article du Parisien. Intitulé « Quartier La Chapelle-Pajol : chronique d’une instrumentalisation politique », leur article est à lire ici.
Ce papier n’est pas un article journalistique. Il résulte de mon expérience en tant que citoyenne et n’engage que moi.
Vendredi matin, je bois mon café devant Facebook quand un article commenté par une de mes amies m’interpelle : selon le journal Le Parisien, témoins à l’appui, les femmes seraient « chassées » du quartier La Chapelle/Pajol. Je lis consciencieusement le papier car c’est là que je vis, très précisément même.
(Depuis, le titre de l’article a été changé…)
Je vis ici depuis presque trois ans. Je sors au minimum deux fois par jour. J’ai donc été a minima environ 2190 fois dans toutes ces portions de rue, et j’ai l’impression de lire un canular.
Je ne nie pas qu’il y existe des problèmes. Ce que j’affirme, cependant, c’est qu’en tant que femme, ces problèmes n’ont jamais remis en question ma sécurité.
Extraits du Parisien :
« Vendeurs à la sauvette, dealeurs, migrants (…) », dans ledit article, tout a été mis dans le même panier, tiens donc.
Des vendeurs à la sauvette, il y en a, surtout autour du square qui fait face au métro : ils écoulent des chargeurs iPhone, des baskets pourries, des cigarettes, du persil, j’en ai même vu un, un jour, vendre un pack de lait et rien d’autre. Cependant, après vérification, aucun d’eux ne semble atteint du syndrome de Gilles de la Tourette. Si harceleurs de femmes il y a, on parle donc d’un autre groupe.
Des dealeurs, il y en a aussi. Je n’ai jamais été leur demander ce qu’ils vendaient, mais que ce soit du shit ou de la cocaïne, j’ai peine à croire qu’ils veuillent se faire remarquer en insultant qui que ce soit. Même si leur présence n’est pas rassurante, je dois dire que personne ne m’a jamais alpaguée.
Migrants et réfugiés eux aussi sont présents. Ils se rassemblent davantage dans la portion Philippe de Girard/début de la rue Pajol, jusqu’à la rue du Département, en gros. Le soir, des associations viennent distribuer quelques sandwichs. Il y a principalement des hommes, quelques rares femmes.
Ils sont là depuis un moment et les résidents ont appris à vivre avec eux. Ils sont discrets, ne mendient jamais. Ils ont passé l’hiver avec nous, à dormir dans le froid, sous l’eau, dans des flaques, en se débrouillant comme ils pouvaient avec un minimum de couvertures, de duvets. Il leur faut du courage.
Je passe devant eux tous les jours. Ils sont plusieurs dizaines, en rang d’oignons sur le trottoir ou en groupes, assis. Aucun de ces hommes, à aucun moment, n’a été vulgaire ou discourtois avec moi. En fait, je crois qu’ils ne parlent même pas Français. Ils sont plutôt silencieux. Je comprends que cela soit déroutant de passer par là. De la même manière qu’un homme seul marchant au travers d’un banc de femmes remarquerait aisément être le seul mâle, je constate souvent être la seule fille de la rue. J’anticipe davantage les surprises… Et puis rapidement je vois une poussette, une vieille dame, des enfants, des ados.
Car, ce quartier, que Le Parisien juge aujourd’hui comme une no-go zone, est avant tout un endroit très familial où tout le monde a sa place. Beaucoup de communautés se fréquentent, plusieurs religions partagent les pas de porte d’une même rue et en fait : tout a l’air de très bien se passer.
Extraits du Parisien :
La rue Perdonnet, je la prends tous les jours. Il y a des boutiques indiennes, des restaurants indiens, le QG des Hells Angels qui est toujours fermé. C’est commerçant et familial. Je coupe toujours par là car ça m’évite de passer par le métro La Chapelle. Comme le dit Cécile, dans son témoignage paru sur l’Obs, la zone est pénible, non pas vraiment à cause des gens, mais à cause de l’infrastructure urbaine illogique devenue totalement impraticable.
Je ne dis pas qu’il est impossible qu’une fille se fasse aborder ou embêter dans ce quartier, mais qu’un quotidien important fasse courir la rumeur que les femmes y « sont chassées » et « n’y ont plus le droit de cité », en pointant du doigt, entre autres, les migrants, cela est insupportable.
Nous vivons dans une grande ville qui a son lot de fous, de cas sociaux. Quand on est une femme, quel que soit le quartier où l’on habite, et à moins d’être une professionnelle de MMA, nous devons rester vigilantes. C’est terrible, mais c’est comme ça. Quand je rentre tard, je me fais raccompagner. Ça vaut dans mon quartier, comme dans tous les quartiers de Paris où j’ai pu habiter.
Le sexisme existe et il faut le combattre.
Quand je sors dans la rue, je vis avec les autres et je sais qu’il y a toujours une chance pour que quelqu’un m’interpelle, ça arrive. Selon l’apostrophe je réponds, ou non, en calculant le risque que je prends. C’est malheureux, oui, mais désolée, c’est comme ça. Je veux bien me battre auprès des femmes qui militent pour ne pas être considérées comme des êtres inférieures à qui on peut balancer des vacheries sans crainte qu’elles ne vous pètent la gueule, c’est certain, mais quand le féminisme est utilisé pour cacher un projet anti-citoyen, raciste et inhumain, je ne peux pas y prendre part.
Car selon moi, c’est bien de cela dont il s’agit ici : on utilise les femmes pour accélérer un processus de « grand nettoyage ».
J’ai partagé spontanément mon indignation sur le mur Facebook du Parisien…
…et j’ai eu droit à toutes sortes de réponses. Des gens corroboraient mes propos, d’autres m’accusaient d’être dans le déni total. J’ai été surprise de collectionner les commentaires de gens ayant un avis très précis sur la polémique bien que n’habitant même pas à Paris…
Ce qui vaut pour a, ne vaut pas forcément pour b.
Sont-ce ces mêmes gens qui n’ont pas hésité à signer la pétition mise en ligne par les associations SOS La Chapelle et Demain La Chapelle, sans même savoir de quoi il s’agissait vraiment ? Je n’en sais rien.
Extraits du Parisien
4 000 personnes ? Whaou ! Non mais, 4 000 personnes du quartier ? Euh…
L’article du Parisien a très vite été repris par d’autres titres, comme le Figaro.fr. Plusieurs personnes l’ont partagé sur Facebook sans prendre le temps de se renseigner réellement et les politiques sont vite entrés dans la danse.
Madame le Maire, il est tout à votre honneur de mettre en place un plan d’action contre les discriminations faites aux femmes – elles sont nombreuses – mais présentement, je crois (de ce que j’ai pu constater personnellement) que cela n’a rien à voir avec les problématiques de La Chapelle/Pajol.
Pourquoi cette étrange et sordide information est sortie tout d’un coup ? Et comment se fait-il que, dès avril 2017, elle était déjà évoquée par la conseillère régionale LR, Babette de Rozières ?
De quel mépris parle-t-on ?
Nous avons ici des gens qui ont quitté leur pays, dans le désespoir le plus total et qui vivent dans la misère en essayant, malgré tout, de rester dignes. Personne, bien évidemment, n’a envie de voir autant de misère en bas de chez soi. C’est triste, c’est brutal. Tandis qu’une partie du quartier se développe, se rénove – exemple de la Halle Pajol, l’autre côté dépérit. On y laisse dormir les gens par terre, sur des rebords de balcons abandonnés, les plus chanceux ayant droit aux bouches d’égoût. Les autorités ont fermé le terre-plein sous le métro et ont déjà « déplacé » les trois-quarts des migrants ; aujourd’hui il en reste finalement peu. La plupart des riverains sont solidaires avec ces malheureux, et ne veulent pas que les autorités s’en débarrassent vulgairement, ils désirent qu’on les aide, concrètement et fraternellement, pas qu’on utilise n’importe quelle méthode pour les faire dégager comme des rats.
Ce qui touche aujourd’hui La Chapelle / Pajol, ce n’est pas du sexisme envers les femmes. C’est une vague de racisme, pur et dur, colmatée par une poignée de personnes qui utilisent la misogynie à mauvais escient. Qui ? Je n’en sais rien.
Des riverains propriétaires insensibles qui ne supportent plus de voir la pauvreté sous leurs fenêtres et qui voudraient voir leurs mètres carrés tripler de valeur comme dans tous les autres arrondissements, mais doivent faire sans la hausse, cause migrants ?
C’est dimanche. Je suis avec mes copines et leurs enfants aux Jardins d’Éole. Nous adorons ce parc. Toutes les communautés du coin s’y retrouvent et y passent l’après-midi à jouer au foot, au ping-pong, au tennis. Il y a les jeux pour enfants. L’herbe. Les canards. Aujourd’hui, il y a un tournoi de basket. Des grillades, de la musique. Les bouts de chou les plus mignons du monde, ah (!) et vous savez quoi ? Il y a des femmes ! Plusieurs dizaines. Elles portent des jupes, des leggings, des Hijabs, des débardeurs et tout le monde se considère avec bienveillance. Ça braille dans toutes les langues, ça klaxonne mariage, ça respire pour de vrai.
Notre quartier vit, de haut en bas, de A à Z. C’est un quartier populaire, familial, pas très riche, mais on se débrouille et avec le sourire.
J’en appelle à un vrai journaliste qui aura le mérite d’enquêter méticuleusement sur le sujet et de nous éclairer sur le pourquoi du comment cette accusation a vu le jour.
J’en appelle aux riverains, aux voisins, qu’ils s’expriment et racontent leur vérité.
J’en appelle enfin aux internautes qui se contentent des gros titres et considèrent tous les articles comme sources divines d’informations : renseignez-vous davantage, cherchez l’erreur ou arrêtez de râler qu’on vous prenne toujours pour des imbéciles.
En réponse à l’article du Parisien du 18 Mai, un rassemblement est prévu au 6 place de la Chapelle jeudi 25 mai à 18h.
Image à la une : photo Facebook de la page du rassemblement en réponse à l’article du Parisien