Au lendemain des attentats du vendredi 13 novembre à Paris et en Seine-Saint-Denis, le gouvernement a décrété l'état d'urgence sur tout le territoire. Il devrait être prolongé jusqu'à fin février. Vous n'avez pas compris de quoi il s'agit précisément, ni ce qu'il implique pour notre quotidien ? L'éclairage, en 5 réponses, de Jean-Bernard Auby, professeur de droit public à Sciences Po.
1 – L’état d’urgence, qu’est-ce que c’est ?
C’est une législation qui permet à l’État de réagir lorsque la situation intérieure du pays est très grave. Elle autorise l’augmentation soudaine des pouvoirs de la police et de ses supérieurs, le ministère de l’Intérieur et les préfets, et l’accroissement des contrôles sur les citoyens. La loi relative à l’état d’urgence a été créée en 1955 dans un contexte particulièrement tendu, celui de la guerre d’Algérie. On l’invoque en cas de crise ou d’attentats, mais pas de guerre – dans ce cas précis, ce sont d’autres systèmes qui sont mis en place. Toutes les démocraties ont des systèmes de ce genre, plus ou moins laxistes.
> Écouter : France Culture, Comment l’état d’urgence est né en 1955
2 – Qui décide de le mettre en place ?
La décision revient au gouvernement : samedi 14 novembre, l’état d’urgence a été décrété en conseil des ministres. Mais une telle situation ne peut durer que 12 jours. À ce terme, on ne peut la prolonger que si le Parlement l’autorise par la loi. C’est la raison pour laquelle une loi de ce type, qui étend l’état d’urgence à trois mois, jusqu’à fin février, a été votée le jeudi 19 novembre (Votée à la quasi-unanimité, par 551 voix contre 6 et une abstention, elle renforce et actualise la loi de 1955. En procédure ultra-accélérée, en vue d’une promulgation mercredi qui vient, elle est en cours de discussion au Sénat ce vendredi, NDLR).
> Lire sur Francetv info : L’état d’urgence prolongé de 3 mois : ce que prévoit le projet de loi du gouvernement.
3 – Qu’est-ce qui explique cette durée de 3 mois ?
Il n’y a pas de règle définie. La loi de 1955 ne prévoit pas de limite de durée de l’état d’urgence. C’est le Parlement qui décide, au cas par cas, du temps nécessaire qu’il faut donner aux forces de police pour parer à la situation . Cette décision est réversible : dans le cas actuel par exemple, si on pense que la situation est stabilisée avant trois mois, on pourra très bien y mettre fin.
Précisons que d’ordinaire, l’état d’urgence n’est pas décrété sur tout le territoire. C’est la première fois qu’il peut s’appliquer dans toute la métropole. La dernière fois qu’on l’a utilisé, au moment des émeutes de banlieue en 2005, c’était uniquement sur certaines zones.
À lire sur leMonde.fr > Pourquoi je voterai contre la prolongation de l’état d’urgence, par Pouria Amirshahi, députée PS.
4 – Pour les citoyens, qu’est-ce que ça change ?
L’état d’urgence donne à la police, les préfets, le ministre, la possibilité de créer des contraintes sur les citoyens qu’ils ne pourraient pas créer en temps normal, comme l’instauration d’un couvre-feu, ou l’interdiction d’accéder à un quartier donné, via une « zone de protection ». La police peut décider de faire d’effectuer des perquisitions, à n’importe quel moment, y compris la nuit (d’habitude elles n’ont lieu que le jour, et sur décision du juge). Elle peut aussi décider d’assigner en résidence une personne, ou de la confiner à une zone délimitée.
> À lire sur l’Express : Etat d’urgence, la police cherche drogue et armes pour endiguer le terrorisme.
> À lire sur Ouest-France : 793 perquisitions ont conduit à 90 gardes à vue.
5 – L’interdiction de manifester à Paris, reconduite hier, a été très critiquée. À raison ?
Ce qui pourrait poser problème, c’est que les manifestations soient contrôlées parce qu’on craint le message critique dont elles sont porteuses. Là ce n’est pas du tout le cas : ce qui motive cette interdiction, c’est la crainte d’autres attentats très proches, et quoi de plus vulnérable qu’une foule de manifestants, dans ce cas de figure ? Les restrictions des libertés publiques, pour protéger l’ordre public, font partie de l’essence-même du mécanisme. J’ajoute que le degré d’application de l’état d’urgence s’adapte aux situations : il n’implique pas en soi que les manifestations soient toutes interdites, elles le sont dans certains endroits, et pour une certaine durée.
5 – Au-delà, l’état d’urgence suscite des interrogations – d’aucuns craignant un abus de pouvoir de la part de l’État. Dans quelle mesure sont-elles justifiées ?
N’oublions pas que malgré tout, la France est un État de droit. Les décisions qui sont prises sont contrôlées et susceptibles d’être attaquée devant la justice. Face au préfet de police qui décide d’interdire une manifestation, ou face à la décision même de décréter l’état d’urgence, il y a un recours possible devant les juges.
En 2005, par exemple, la décision du gouvernement de décréter l’état d’urgence a été attaquée, sans que le Conseil d’État ne l’annule, parce qu’il la considérait justifiée par les circonstances.
> À lire sur la Quadrature du Net (tribune) : État d’urgence, l’État policier pour éluder tout bilan critique.
Donc il ne faut pas s’inquiéter ?
Disons qu’il y a des barrières. Qu’elles soient parfaites, c’est une autre histoire : si la police décide de perquisitionner à 3h du matin un appartement, il n’y aura pas de recours immédiat possible. Si on pouvait se passer de tout cela, on le ferait volontiers. Cela dit, l’avantage, c’est que le processus est visible. Ça se passe sous le regard des citoyens, des médias, etc. La police ne peut pas faire n’importe quoi parce que tous ses faits et gestes sont contrôlés.
À l’inverse, une loi sur le renseignement a été votée il y a quelques mois. Vidéo-surveillances, écoutes téléphoniques, surveillance d’internet : elle donne aux autorités de police des pouvoirs accrus de surveillance, de contrôle de la vie privée. C’est plus redoutable, d‘une certaine manière, et ça, c’est permanent, et ça se passe dans la discrétion…. Plutôt qu’aux réactions un peu fortes de l’État en situation exceptionnelle, il faudrait porter plus d’attention à ce type de contrôle sur les citoyens.