Trente ans après son film "She’s Gotta Have It", Spike Lee a encore des choses à dire. Le réalisateur revient sur Netflix avec la série "Nola Darling n’en fait qu’à sa tête" adaptée de son long métrage. L’héroïne s'appelle toujours Nola, une jeune femme noire new-yorkaise en quête d'identité. Drôle et provocante, Nola fait l’inverse de ce qu’on attend d’elle. On aime.
« Poupée t’es si bonne que tes impôts, c’est Jésus sur sa croix qui s’en occupe ». Nola Darling s’ouvre sur cette punchline sexiste : c’est le sénateur Clay Davis (Isiah Whitlock Jr) dans The Wire qui la prononce face caméra avec un joli « sheeeeeeeeet » au climax. Nola lui répond : « Les gens croient qu’ils me connaissent. Ils pensent qu’ils savent de quoi je parle, mais la vérité, c’est qu’ils ne me connaissent pas ».
Trente ans se sont écoulés. Tracy Camilla Johns laisse la place à la sublime DeWanda Wise, une artiste de 27 ans qui paie son loyer dans Fort Greene à coups de pinceau. La propriétaire lui rappelle tous les jours : « un couple blanc me paierait quatre fois plus que vous ». Mais Nola n’a pas l’intention de quitter son « lit d’amour » (toujours impeccable). L’amour, elle le conçoit au pluriel. Ses trois amants en font plus ou moins les frais : il y a Mars (Anthony Ramos), un cycliste avec de grosses chaussettes et des sneakers parfaites, qu’il ne quitte même pas dans son lit – un personnage culte autrefois joué par Spike Lee et utilisé par Nike dans ses pubs avec Jordan. Il y a aussi Jamie, l’homme d’affaires jaloux, et Greer, le photographe de mode taillé comme un mannequin. Si, en 1986, le pitch pouvait choquer, en 2017, les notions de trouple et de poly-amour rendent la situation presque banale.
Nola séduit avec ses yeux de lynx, mais peine à défendre son art balafré dans la rue. C’est une femme qui se répète chaque jour qu’elle est libre malgré les obstacles : une agression au retour d’une soirée, des galères de tune, des dés-amitiés…
« J’ai écrit le premier épisode autour de cette agression qui est très différente de celle de 1986 (Dans « She’s Gotta Have It » de 1986, l’héroïne est victime d’une agression à la toute fin du film, une scène qui avait fait scandale à l’époque, NDLR). Les agressions sexuelles sont toujours d’actualité. Pour preuve, il suffit de regarder les journaux… » a déclaré Spike Lee. Nola a sa team de défense : Opal Gilstrap (Ilfenesh Hadera), sa meilleure amie lesbienne déjantée, Dre Jamison (Heather Headley), sa thérapeute avec qui elle discute des questions sexuelles et enfin Clorinda (Margot Bingham), une passionnée d’art qui l’aide à lancer sa carrière.
Soutenue artistiquement par ses parents, moins par ses amants, Nola donne des cours pour payer « ses factures ». Le reste du temps, elle peint dans son salon après, pendant et avant de faire l’amour. Le sexe est partout, il s’immisce entre deux SMS écrits dans des lofts design. La personnalité de Nola détone parfois avec ces lieux un peu trop bien rangés pour elle. Bienvenue à Fort Greene, un quartier de Brooklyn gentrifié où les habitants s’embourgeoisent.
Nola Darling est une sorte de boîte à musique de laquelle s’échappent toutes les obsessions et préoccupations de Spike Lee…
She’s Gotta Have It, avec Tracy Camilla Johns dans le rôle de Nola. Spike Lee, 1986
Et que peint-elle ? Des femmes, évidemment. Celles qui se lissent les cheveux pour chasser le naturel, qui aiment les habits colorés et veulent refaire leur postérieur. Spike Lee nous montre tout, sans œillères. La narration est rythmée, les dialogues courts. Le réalisateur de Do The Right Thing utilise le regard caméra comme un arrêt sur image : tous les personnages nous parlent d’eux-mêmes, de leur identité complexe.
Après son agression, Nola rentre chez elle déboussolée. Assise sur son lit, elle nous conseille de regarder Rashomon, le drame d’Akira Kurosawa en 1950 qui raconte l’histoire d’un viol et d’un meurtre de trois points de vue différents. Chaque fin d’épisode est une sorte de juke box musical, avec la pochette d’un album qui apparaît à l’écran : par exemple Brian McKnigh et son langoureux Anytime à la fin du S01E02.
Le réalisateur le plus provocant de sa génération est fidèle à sa réputation et n’hésite pas à régler ses comptes en donnant sa vision du cinéma. Petit à petit, Nola Darling se transforme en boîte à musique d’où s’échappent toutes les obsessions et préoccupations de Spike Lee. On est séduits. A soixante ans, et après 44 films, Spike arrive à nous bousculer encore sur le fond et la forme. Il y a un peu d’Insecure, de Sex and The City aussi… Pas de doute, Nola n’est pas la seule à n’en faire qu’à sa tête.
Image à la Une : Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, Netflix.