Elle vient de fêter ses 60 ans, mais son éclat est éternel. Elle ne pèse que 118 grammes, mais personne ne la prend à la légère. Plus qu’un bijou, davantage encore qu’un trophée, la Palme d’Or est considérée comme la plus prestigieuse des récompenses du cinéma. Cocorico, elle a été décernée dimanche soir à Jacques Audiard, l’un des meilleurs auteurs-réalisateurs du monde, pour «Dheepan», en salles le 26 août prochain. «Je savais que ça me ferait quelque chose», a déclaré le metteur en scène sous le coup de l’émotion. Réalisait-t-il vraiment ce qui était en train de lui arriver ? Sait-il maintenant ce qui va se passer ? D’autres avant lui ont goûté au Graal. Mais qu’est donc devenue leur Palme ? Le réalisateur Alexis Veller a voulu en avoir le cœur net. Depuis les mines d’Iquira en Colombie jusqu’au Palais des Festivals de Cannes, il a suivi le parcours de cette palme signée Chopard. Dans son film «la légende de la palme» -sélectionné pour la caméra d’or- il a interrogé dix célèbres palmés : on fait quoi avec une palme ?
Une psychothérapie comme Emir Kusturica :
En 1985, le jury présidé par Milos Forman lui décerne la palme à l’unanimité pour «Papa est en voyages d’affaires». Le réalisateur lui, n’est pas là pour la recevoir. La surprise est générale, y compris pour lui qui regarde la cérémonie à la télévision. Le grand public découvre son univers à la fois sombre et déjanté. Dix ans plus tard, alors que la Yougoslavie se déchire, Kusturica vient présenter «Underground», fable satirique retraçant 50 ans de l’histoire de son pays. Accusé d’être un outil de propagande pro-serbe, le réalisateur s’enfonce dans la dépression et l’affirme aujourd’hui depuis son village de Mokra Gora en Serbie : «cette palme m’a sauvé la vie». Il fait désormais partie des six cinéastes «double-palmés».
On la casse comme Steven Soderbergh :
Cette année-là, rien ne s’est passé comme prévu. «Sexe, mensonges et vidéos», n’aurait jamais dû être sélectionné. Et puis si en fait, grâce à un désistement de dernière minute en sélection officielle. Le président du jury devait être Francis Ford Coppola, mais il reporte sa participation quelques jours avant l’ouverture du festival. C’est donc sous la présidence de Wim Wenders que Steven Soderbergh devient à 26 ans le plus jeune réalisateur primé, après Louis Malle. Le soir-même, dans un faux mouvement, il fait tomber sa récompense. La palme est en miettes. Depuis, Chopard a revu son design. Elle repose aujourd’hui sur un coussin de Cristal de Roche à toute épreuve.
On l’oublie à l’aéroport comme Nanni Moretti :
Trop heureux de recevoir sa palme pour «La Chambre du fils» en 2001, Nanni Moretti ne la quitte pas des yeux. Comment la transporter jusqu’en Italie ? Pas question de la mettre dans la soute de l’avion, alors le réalisateur a la lumineuse idée de l’envelopper dans un sac plastique. En toute simplicité. Le camouflage est si efficace que le cinéaste lui-même l’oublie sur son chariot à l’aéroport…. Avant de la récupérer en sueur quelques heures plus tard. La peur de sa vie…
On la met au placard comme Jane Campion :
Pendant longtemps, la réalisatrice néo-zélandaise a cherché à oublier sa récompense obtenue pour «La leçon de piano» en 1993. A l’époque, la jeune femme est enceinte. Elle perd son enfant quelques jours seulement après avoir reçu sa palme d’or. De son propre aveu, elle mettra des années à savourer son sacre : «C’est comme recevoir une couronne». Jane Campion est aussi connue pour être à ce jour «la seule femme à avoir remporté la palme d’or», comme elle le dit presque à regret : «Je ne pensais pas garder ce titre si longtemps».
On la donne au musée comme Apichatpong Weeraseethakul :
Le nouveau maître du cinéma asiatique, Apichatpong n’a pas gardé pour lui sa palme d’or. Primé alors que la Thaïlande subit les attaques des « Chemises rouges », il évoque la violence dans son discours de remerciement à Cannes. Mais ses paroles sont mal interprétées. La récompense s’efface presque derrière les critiques dans son propre pays. Aujourd’hui retiré à Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande, le cinéaste continue de faire des films, dont le dernier «Cemetery of Splendour» était sélectionné cette année dans «Un certain regard».
On la planque comme Martin Scorsese :
Parce que quand on a été un bad boy de New York, on ne fait confiance qu’à soi-même. Taxi Driver reçoit la palme d’or l’année même où Rocky est oscarisé. Les deux films sont aussi opposés que possible dans leur message. La violente critique de la société américaine version Scorsese suscitera une féroce polémique lors de sa sortie. La palme de Taxi Driver est à cet égard la plus belle revanche du réalisateur. Et si vous lui demandez ce qu’il en a fait depuis, il vous répondra avec un sourire plein de malice : « je l’ai mise dans un endroit que je suis le seul à connaître. » Un aveu, tout de même : il lui rend visite de temps en temps pour se rappeler des bons comme des mauvais moments.
On décore sa cheminée comme Quentin Tarantino :
Il l’a mise dans un coin, bien en évidence, pour pouvoir la voir tous les jours. Parce qu’il se souvient comme on l’a sifflé, à l’annonce de son prix par Clint Eastwood en 1994. Sur scène pourtant, Quentin Tarantino s’est entouré de tous les gros bras de Pulp Fiction : Samuel L. Jackson, Bruce Willis, John Travolta… Dans le public, une femme hurle sa déception. Elle évoque une « daube », s’insurge : « Fait chier ! » Sans parler le français, Tarantino comprend très bien son langage. Quelques années plus tôt, Maurice Pialat, couronné pour « Sous le soleil de Satan », avait levé le poing pour faire la nique à tous ceux qui le huaient. Tarantino, lui, leur a carrément mis un doigt. D’honneur, tout de même.