Waleed Aly, présentateur vedette de l’émission The Project sur la chaine australienne Network Ten, a remporté samedi dernier l'équivalent de notre 7 d'or français pour son rôle dans l'industrie télévisuelle de la personnalité de l’année. Le journaliste a profité de son moment de gloire pour alerter le public sur le manque de représentativité dans les médias australiens. Sa prise de position qui a provoqué de nombreux débats dans le pays.
Charismatique et drôle : Waleed Aly est le gendre idéal de la télévision australienne. Mais il est aussi engagé. Avocat de formation, le journaliste de 37 ans n’a pas hésité à prendre position sur les attentats de Paris en novembre dernier. « Si vous êtes membre du Parlement et que vous prêchez la haine au moment où nous avons besoin d’amour, vous aidez Daesh. Si vous êtes un leader musulman ou non et que vous dites aux musulmans qu’ils n’ont pas leur place ici, vous aidez Daesh », s’était exclamé le présentateur dans son émission The Project. .
« Si vous avez un compte Facebook ou Twitter et que vous répandez des messages tendancieux ou haineux, vous aidez Daesh. Mais je suis plutôt sûr qu’aucun d’entre nous ne veuille aider ces batards. »
Le 3 mai, le journaliste a réagi à l’immolation de deux jeunes réfugiés dans les villes de Nauru et Brisbane, accusant le gouvernement australien de faire de son pays « une destination moins recommandable que les zones de guerre d’où cherchent à s’enfuir les civils ».
Waleed Aly, premier musulman à remporter un Logie d’or.
Alors, lorsqu’il se voit, le samedi suivant, remettre le prix de la personnalité télévisuelle de l’année, Waleed Aly ne peut s’empêcher de débuter son discours par une pointe d’humour caustique sur sa couleur de peau. « Il n’y a rien d’anormal avec l’image. Si vous êtes dans la pièce, je suis sûr qu’il y a un filtre Instagram pour remettre les choses au clair ». Après avoir longtemps remercié ses équipes et sa femme notamment, pendant près de dix minutes, l’Australien d’origine égyptienne a adressé un message politique au public présent dans la salle, ainsi qu’aux téléspectateurs.
«Quelqu’un est venu me dire : « j’espère que tu vas gagner. Moi, je m’appelle Mustafa. Je ne peux pas utiliser ce nom, car je ne pourrais pas avoir du travail avec ». Et c’est pour ces gens-là que suis là ce soir. Pour toutes les personnes qui ont un nom imprononçable comme au hasard Waleed. J’ai envie de dire une chose : je suis honoré par l’espoir que vous placez en moi, mais je suis triste car vous méritez des représentants plus nombreux et plus valeureux que ce qui vous est proposé.»
Le mystérieux Mustafa n’est pas resté anonyme très longtemps. Il s’agit de Tyler De Nawi, jeune acteur d’origine libanaise présent dans la série The Habibs qui s’est dit agréablement surpris par le discours de Waleed Aly à son propos. « Dans la société, le racisme et le sectarisme existent toujours, alors qu’ils sont illicites. Ils sont mis sous le tapis et restent dans le domaine du non-dit » a expliqué Mustafa/Tyler de Nawi au Dailymail australien.
Mustafa, alias Tyler De Nawi, est un jeune premier du cinéma australien.
« Tyler est ma combinaison de Batman. Tyler est mon Clark Kent »
Si la prestation de Waleed a fait l’unanimité dans la salle Palladium de l’hôtel Crown Towers de Melbourne, les propos du lauréat ont provoqué la controverse en Australie. Notamment chez certains éditorialistes des journaux conservateurs. Certains voient dans cet appel à plus de représentativité une victimisation, et lui reprochent son ton moralisateur, voire son ingratitude à l’égard d’une industrie qui vient de le sacrer personnalité de l’année. En somme, selon eux, Waleed Aly aurait du accepter son prix sobrement au lieu de « cracher dans la soupe ». Le discours du lauréat a d’ailleurs fait réagir la candidate au Sénat australien, Kirallie Smith du parti d’extrême droite ALA (Australian Liberty Alliance) qui a qualifié de « ridicule » la prestation du journaliste et l’a même invité à débattre sur l’islam radical.
Andrew Bolt de l’Herald Sun se demande si «il y avait quelque chose de plus ridicule que Waleed Aly se plaignant du racisme alors même qu’il venait de recevoir le Logie d’or pour la meilleure personnalité télévisuelle».
« Aly a tellement réussi dans ce pays que son personnage est en contradiction totale avec son discours qui insinue que les Musulmans ou les personnes issues de familles en provenance du Moyen-Orient sont invariablement oppresseés »
Miranda Devine, du Daily Telegraph, ironise quant à elle sur les chiffres de la représentativité des musulmans à l’écran. «Peut être qu’il veut un quota de diversité à la télévision. Les Musulmans représentent 2,2% de la population Australienne. Waleed est le premier musulman en 56 ans à gagner un Logie d’or, ce qui veut dire que les Musulmans sont légèrement sous-représentés aux Logies, puisqu’il ne représentent que 1,8% des Lauréats».
Malgré ces critiques sur le fond et la forme de son discours, le journaliste de l’émission The Project a reçu de nombreux messages de soutien de la part de téléspectateurs, mais aussi de la part de l’une de ses concurrentes au Logie d’or de la meilleure personnalité de l’année, l’animatrice Lee Lin Chin.
As much as I would have loved to won the Logie, I would have never been as articulate as him. Australian TV needs more of you.
— Lee Lin Chin (@LeeLinChinSBS) 8 mai 2016
« Même si j’aurais adoré gagner le Logie, je n’aurais pas pu être aussi claire. La télévision australienne mérite plus de gens comme toi », a tweeté la présentatrice.
Quoiqu’il en soit, Waleed Aly aura eu le mérite d’ouvrir le débat de la représentativité au sein des médias et de l’industrie audiovisuelle australiens où, en 2016, des acteurs musulmans se retrouvent contraints de changer de nom pour pouvoir exercer leur art.