Pourquoi la communauté noire américaine, dont est issue la majorité des rappeurs qui ont écrit l’histoire du rap, est amenée à mourir plus vite que le reste de la population ? Si la question, soulevée par Mel Magazine, peut paraître déconcertante au premier abord, il est pourtant nécessaire de la poser. Clique vous propose un résumé (et une traduction) des arguments du journaliste Zaron Burnett III, à l’origine de cet article.
Connaissez-vous l’histoire de John Henry ? Le personnage d’un ouvrier noir américain dans les années 1920 qui avait un objectif : montrer que sa force humaine était plus puissante que celle de n’importe quelle autre machine. Un jour, sur un chantier de chemin de fer, il se lance un défi : battre la capacité technologique d’une foreuse à vapeur avec son « simple » marteau piqueur. La course est lancée. John Henry est déterminé, confiant et convaincu de son endurance. Il réussit, bat la machine mais meurt quelque temps après.
Le personnage de John Henry @ Watch The Yard
Selon Mel Magazine, l’histoire de ce héros noir qui véhicule l’image valeureuse d’une personne courageuse et déterminée fait complètement écho au leitmotiv des rappeurs noirs contemporains : ils donnent leur vie en essayant de battre la machine, sauf que dans ce cas précis, le marteau est remplacé par un micro.
« Pourquoi ? Pourquoi autant de rappeurs talentueux, énergiques, charismatiques et ambitieux n’arrivent pas à atteindre l’âge de 50 ans ? » se demande le journaliste avant de dresser une liste des rappeurs morts prématurément de causes évitables.
Prodigy est mort à l’âge de 42 ans à cause de complications liées à une drépanocytose et un étouffement lors d’un repas. Craig Mack est mort à 46 ans, d’une insuffisance cardiaque. Heavy D à 44 ans d’une embolie pulmonaire due à une thrombose veineuse et profonde. Phife Dawg à 45 ans de complications du diabète. MC Breed à 37 ans d’une insuffisance rénale… La liste est longue mais symptomatique d’un phénomène qui pousse à se poser des questions.
Photograph by Anthony Geathers / Redux – Prodigy est un rappeur mort le 20 juin 2017 à 42 ans.
« Pendant ce temps, Mick Jagger (74 ans) et Keith Richards (74 ans) sont toujours là, même s’ils ressemblent plus au Strolling Bones (Os qui se promènent en français, NDLR) qu’aux Rolling Stones (Pierres qui roulent en français, NDLR) » s’étonne le journaliste. « Sont-ils super chanceux ou s’agit-il d’autre chose ? Qu’y a-t-il de plus chez ces musiciens que chez les rappeurs noirs ? »
Selon un rapport datant de mai 2018 établi par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, « les Noirs âgés de 18 à 34 ans sont moins susceptibles d’avoir un médecin personnel ou un fournisseur de soins que les Blancs », mais aussi » entre 18 et 34 ans, les Noirs ont un taux de mortalité plus élevé que les Blancs. Huit principales causes de décès sont majoritaires : maladie cardiaque, cancer, maladie cérébro-vasculaire, diabète, homicide, VIH, et mauvaise prise en charge d’un accouchement et de la puerpéralité (période qui suit l’accouchement). »
Et ça porte même un nom : le « John Henryism », en référence au personnage lui-même. Théorisé en 1970 par le chercheur Sherman James, le John Henryism est :
Une stratégie adoptée par certains Noirs américains pour faire face à une exposition élevée de stress provoquée notamment par la discrimination sociale. Cette stratégie consiste à déployer un niveau très élevé d’efforts et de travail pour palier aux inégalités. Résultat ? La communauté noire américaine subit une pression psychologique et physiologique à force d’accumuler une angoisse et un stress constant.
« L’année dernière, Serena Williams a failli mourir d’une embolie pulmonaire lorsqu’elle a donné naissance à son premier enfant. Ses médecins ne la croyaient pas quand elle se plaignait de douleurs thoraciques. » L’athlète internationale a d’ailleurs raconté cette expérience traumatisante au magazine Vogue. Une expérience qui soulève plusieurs interrogations quant à la prise en charge des Noirs américains, leurs conditions et leurs traitements dans le milieu médical.
« Si l’Amérique est la machine et que ces rappeurs décédés sont nos John Henry contemporains, ils ont battu la machine » conclu le journaliste Zaron Burnett III. « Ils ont surmonté les institutions conçues pour dévaloriser les places des Noirs américains. Ils ont gagné oui, mais au prix de leur santé… tout comme John Henry. »
Cet article du Mel Magazine vient donc apporter une lumière sur ces rappeurs qui, au top de leur carrière, de leur forme et de leur énergie ont vu leur condition de citoyen Noir américain les rattraper brutalement.
Oui, le travail tue mais pas n’importe qui.
Ici, en France, l’écrivain Edouard Louis, qui a publié récemment son roman coup de poing Qui a tué mon père, est de ceux qui ont réfléchi au phénomène de « violence sociale ». Dans un entretien pour les Inrocks, il dénonce et accuse les coupables : « L’état physique de mon père, ce corps détruit, tout ça est dû à sa vie, à la vie que le monde lui a réservée, une vie de pauvreté, d’exclusion et de violence sociale. Cet état dans lequel se trouve le corps de mon père, cet état de destruction, de mort sociale est dû à des décennies de politique française. » Difficile, dès lors, de ne pas faire un lien direct avec le personnage de John Henry…
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Image à la une : Montage par Clique.