Il y a des auteurs pour qui c'est le livre ou rien. C'est le cas de Boris Bergmann, 25 ans, quatre romans et un prix de Flore décroché au lycée. Ce jeune auteur parisien s'est exilé pour un an à la Villa Médicis à Rome, où... devinez quoi? Il écrit. Un roman cet hiver, "Nage Libre", qui nous apprend à nager au fin fond du 19e arrondissement de Paris et une nouvelle au printemps, "Dites-le avec des peurs". On le surnomme le "nouveau Beigbeder", il n'a pas kiffé. Rencontre avec un millenial qui n'aime pas Internet.
Clique : Un prix littéraire a été créé spécialement pour toi en 2007 : le prix de Flore des lycéens, pour ton premier roman Viens là que je te tue ma belle…
Boris Bergmann : Oui, j’ai reçu ce prix au lycée… C’était incroyable sur le coup. Ça m’a lancé, ça m’a permis de continuer à écrire, mais c’était il y a dix ans ! J’ai longtemps existé pour les mauvaises raisons. On parlait plus de mon âge que du contenu de mes livres. J’ai envie que ça change.
Ton surnom sur Internet, c’est le « nouveau Beigbeder ». Ça t’agace ?
Un peu, oui. Je ne le connais même pas personnellement. Il m’a remis ce prix il y a dix ans et basta. Les gens pensent qu’on prend le petit déj’ tous les matins ensemble, c’est du délire ! D’ailleurs, je n’ai pas lu son dernier livre (Une Vie sans fin, ed. Grasset)… Je préfère lire Yannick Haenel, Céline Minard ou Laila Slimani.
Tu rejettes la vie mondaine, non ?
Je connais bien Paris, mais j’y suis rarement. Je voyage beaucoup. Je suis parti au Cameroun début avril pour donner des cours de Français. En ce moment, je suis pensionnaire de la Villa Médicis à Rome, une résidence d’artistes. J’écris autour du fanatisme. Il faut avoir des moments de retraite dans la vie, sans pour autant tomber dans le cliché de l’écrivain reclus dans sa cabane en pleine forêt. C’est avant tout une discipline personnelle.
On nous permet de mater du porno ou de voir des images ultra violentes, alors qu’on ne nous a jamais imposé autant de filtres dans la vraie vie. Faut casser tout ce paradoxe.
Ton dernier livre (Dites-le avec des peurs, éd. Marcel) aborde justement la question de la radicalisation et du Djihad à travers une histoire d’amour…
On ne parle que de ça sur BFMTV. Les chaînes d’info répètent en boucle des mots qui font peur : « Djihad », « fanatisme », « terrorisme »… Je prends le point de vue d’une jeune fille de treize ans qui tombe amoureuse d’un garçon sur Snapchat et porte le Niqab pour lui plaire. Je pense que c’est mon rôle en tant qu’écrivain de s’attaquer à ces mots effrayants, mal employés, et mal compris aussi. Par exemple « fanatisme » : on peut être fanatique de l’amour, de la musique, de l’art… On peut tomber dans l’excès sans pour autant être un terroriste ! Dans ma nouvelle, ce sont ses parents qui ont peur. Ils voient « Islam », « voile », « niqab » et paniquent. L’héroïne, elle, au contraire, se sent plus libre. Avec son voile, elle a l’impression que ses cheveux volent au vent, comme s’il n’existait pas.
C’est quoi le rôle d’un écrivain, pour toi ?
Il doit être plus inventif, plus surprenant, plus drôle et plus poétique pour dire les choses qui dérangent. Aujourd’hui, les artistes ont de moins en moins de place pour s’exprimer. On les invite sur les plateaux télé avant tout pour briller. Pourtant, ce sont les seuls qui puissent rééquilibrer la parole face aux experts. Aller à l’encontre du point de vue dominant, ça ne veut pas dire qu’on y adhère, mais c’est nécessaire. Aujourd’hui, le corps redevient un enjeu de domination. On le voit très bien à travers les discours féministes et même religieux. Dans mon dernier roman (Nage Libre, Calmann Levy, paru en janvier), le héros Issa pensait que son corps d’ado était impur car métisse, hybride… Aujourd’hui, on nous permet de mater du porno ou de voir des images ultra violentes, alors qu’on ne nous a jamais imposé autant de filtres dans la vraie vie. Faut casser tout ce paradoxe.
Je suis arrivé à la littérature par la musique (…) Quand tu écoutes les paroles de Bowie sur Oscar Wilde ou les Rolling Stone qui parlent du Maître et Marguerite de Boulgakov, forcément tu vas plus loin.
Dans Nage Libre, ton héros habite à « Place défaite » (cf Place des Fêtes dans le 19e arr. de Paris), tu fais beaucoup de jeux de mots ?
Ah ah, oui c’est vrai. Je suis arrivé à la littérature par la musique. J’étais un très mauvais musicien, mais fou de musique. Alors j’ai choisi les mots comme instrument. J’écoute Oxmo Puccino, c’est mon maître. Quand tu écoutes les paroles de Bowie sur Oscar Wilde ou les Rolling Stone qui parlent du Maître et Marguerite de Boulgakov, forcément tu vas plus loin. Je suis entré comme ça dans les livres.
« Il y a bien longtemps qu’Issa ne se souvient plus du contenu de ses nuits. S’endormir avec l’écran, c’est mettre au chômage le rêve ». Nage Libre
Tu critiques beaucoup Internet. C’est marrant car tu es né avec… Sociologiquement, tu fais partie des « millenials ».
Issa s’endort tous les soirs avec Google images. On peut aller au bout du monde avec, mais on recherche toujours quelque chose qui nous ressemble, nous rassure. L’outil va t’amener vers tes clichés, tes présupposés. Je ne veux pas avoir un discours passéiste type « c’était mieux avant », mais l’écran met notre cerveau au chômage – c’est un fait. Dans mon livre, le personnage s’en sort par la nage, la découverte du désir qui passe par une réhabilitation de son corps qu’il détestait.
L’eau est un joli pont entre l’adolescence et l’âge adulte.
Avant d’y entrer, Issa est littéralement sous l’eau. Il ne sait pas quoi faire à la rentrée prochaine, sa mère est un peu folle et son ami Elie va le sortir d’un bassin stérile pour le mettre dans un autre beaucoup plus stimulant. Ça ne se fera pas sans heurt. Issa sera moqué, chahuté même… La violence est présente, mais ce n’est pas l’objet du livre.
À part écrire, tu as d’autres projets ?
Je suis un boulimique de la création. Peut-être que dans dix ans j’écrirai plus lentement, mais là j’ai envie de faire plein de choses. En ce moment, je suis plongé dans la poésie. Je lis Baudelaire, je dors dans un couvent où Baudelaire a dormi… Et j’écris un essai sur l’amour et les réseaux sociaux. Car, oui… même si je critique Internet, j’ai un compte Instagram, je suis sur Facebook. Et j’ai un smartphone que je trouve très poétique d’ailleurs. L’iPhone fait des erreurs, mais elles sont jolies.
En ce moment en librairie :
– Dites-le avec des peurs, Boris Bergmann (Ed. Marcel, 12 euros)
– Nage Libre, Boris Bergmann (Ed. Calmann Levy, 18 euros)
Image à la Une : Boris Bergmann