À 25 ans, la cinéaste franco-tunisienne lève les voiles. Dans son premier court-métrage, tourné à Tunis après la révolution, elle filmait la perte des repères. Le deuxième vient d’être projeté en avant-première mondiale à la Mostra de Venise, section « Horizons. » Elle nous emmène en Méditerranée, partage avec nous son goût du mystique, nous parle de ses mentors et de la musique d’Invigo.
Bande-annonce de son prochain court-métrage, Le Reste Est L’Oeuvre De L’Homme.
Qui es-tu, Doria Achour ?
Je suis une jeune réalisatrice et comédienne de 25 ans.
Ton deuxième court, Le Reste est l’œuvre de l’homme, a été projeté pour la première fois à la Mostra de Venise, tu peux nous en parler ?
C’est l’histoire d’un immigré tunisien qui arrive à Marseille de manière illégale. Il retrouve une sœur qu’il n’a pas vue depuis vingt ans, et les choses ne se passent pas aussi bien qu’il le pensait.
Pourquoi à Marseille ?
J’y ai retrouvé quelque chose de Tanger. J’adore cette ville, peut-être à cause de la Méditerranée. Et puis j’avais du mal à trouver mon comédien principal. Jusqu’à ce que je tombe sur Houssin, qui a eu exactement la même histoire que le personnage. C’était assez déstabilisant, pour lui comme pour moi. Mais je n’aurais jamais pu trouver mieux pour ce rôle.
Le personnage de Houssin, dans Le Reste est l’Oeuvre de l’Homme, réalisé par Doria Achour.
On te connaît comme actrice, moins comme réalisatrice, pourquoi passer derrière la caméra ?
C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire, petite déjà mon père m’avait offert une caméra mini DV et je faisais des films. Je pense que c’était plus simple d’être d’abord actrice, pour ensuite arriver à la réalisation. Parce que ça va plus vite. Faire un film c’est très long. En tant que comédien tu as beaucoup de temps, beaucoup d’attente. J’ai appris énormément en regardant les techniciens.
En cinq mots, comment décrirais-tu ton style au cinéma ?
Aérien, engagé sans être moralisateur, en restant assez léger dans le traitement et ancré dans le réel.
Prise de Le Reste est l’Oeuvre de l’Homme, réalisé par Doria Achour.
Ton premier court-métrage, Laisse moi finir, met en scène l’histoire d’une jeune femme, mais aussi une dimension mystique, quel est le sujet du film ?
C’est le doute de cette fille, son errance intellectuelle et son incapacité à se positionner. Il y a une séquence dans laquelle cette fille est avec un homme sur un toit. J’ai mis en scène un Orient un peu fantasmé, mais c’est aussi une vision qu’on peut avoir de ce pays ou de sa révolution. En Tunisie la scène a été mal comprise. C’était une vision trop occidentale de l’Orient, et je le sais. En France la scène a été mal comprise aussi.
Une incompréhension à la croisée de tes deux origines (franco-tunisienne, NDLR)…
Oui. J’aime jouer sur cet orientalisme, je trouve ça beau. Je me sens de cette double culture même si je n’ai jamais vécu en Tunisie. Quelque chose m’échappe par le fait que je n’y vive pas. Je suis Tunisienne mais jamais assez Tunisienne pour les Tunisiens.
Y a-t-il un message religieux dans tes films ?
Non, j’ai coupé une séquence où la comédienne se faisait insulter devant la mosquée salafiste de Tunis. C’était un avertissement sur la tournure que peut prendre le pays avec l’extrémisme islamique.
Laisse-moi finir, de Doria Achour (2014).
Papa Was not a Rolling Stone, dans lequel tu tiens le rôle principal, raconte les ambitions d’une jeune fille qui a grandi à La Courneuve, as-tu envie à ton tour d’avoir une voix politique ?
Oui, par les sujets. J’ai écrit un long-métrage qui se passe en Tunisie et qui parle de manière détournée du trafic d’enfants en Tunisie. Je cherche à avoir un engagement politique mais sans que ce soit frontal ou trop explicite. Je ne fais pas des documentaires. J’ai toujours besoin de m’échapper par la poésie ou par autre chose.
Trailer de Papa Was Not A Rolling Stone, réalisé par Sylvie Ohayon, avec Doria Achour, Aura Atika, Marc Lavoine et Soumaye Bocoum.
Il y a beaucoup de poésie dans tes films, quelles sont tes inspirations ? C’est dur de répondre, vraiment. J’analyse pas les choses quand je les fais. Quand je fais un film je vais d’abord penser à un sujet et chercher à en parler de manière détournée. J’aime le rapport au mystique, l’idée qu’il y ait les hommes, et puis autre chose. Sans forcément parler de Dieu. J’aime aussi le rapport à la nature, filmer les oiseaux et le ciel. Tout ce qui peut élever l’homme à autre chose, pour le sortir de ses difficultés. C’est une sorte d’espoir pour moi, de filmer ça.
Prise de Le Reste est l’Oeuvre de l’Homme, réalisé par Doria Achour.
À la fac, tu voulais travailler sur Tarkovski, qu’est-ce qui t’intéressait chez lui?
Tout. Surtout la puissance de l’image. Certains films sont parfois trop bavards. Mais il est possible d’en dire autant, voire plus, avec une scène muette et un cheval qui se roule par terre par exemple.
Extrait d’Andreï Roublev, deuxième long-métrage d’Andreï Tarkovski, tourné en 1966.
Quel est le plus grand challenge que tu aies eu à relever ?
Mon rôle dans La Fille Publique, de Cheyenne Carron. Parce qu’elle m’a demandé de me mettre complètement nue dans le jeu, c’était assez violent.
Extrait de La Fille Publique (2012), réalisé par Cheyenne Carron, avec Doria Achour.
Quels sont tes mentors ?
Mes parents. C’est con, mais on fait le même métier et ils ont toujours été là. Sinon j’ai reçu ce mail qui m’a beaucoup marqué il y un an et demi, d’une comédienne dont je ne citerai pas le nom. Elle me disait qu’elle voulait être ma marraine pour les Césars. J’étais tétanisée, j’ai cru que c’était une blague. Mais ça m’a énormément encouragé.
François Truffaut fait dire à l’un de ses personnages que l’amour est le centre du monde, quel est le centre du monde, pour toi ?
Je pense que c’est vrai. C’est le seul intérêt dans tout ce que t’entreprends. Ça peut être l’amour de la création. Ça contient en puissance absolument tout, avec l’amour tu peux tout faire, tu peux créer quoi.
Quel conseil donnerais-tu à de jeunes réalisateurs ?
De faire et d’avoir toujours des projets, parce qu’il y a beaucoup de refus et que c’est bien de proposer autre chose quand ça marche pas.
Une prochaine actu ?
La sortie du premier long-métrage de mon père Lotfi Achour, Demain Dès l’Aube, en janvier 2017, dans lequel je partage le rôle principal avec Anissa Daoud (qui tient le rôle principal dans les deux courts-métrages de Doria, NDLR).
En musique ou sur Internet, tu cliques sur quoi ?
Sur mon ami Invigo, avec qui j’ai tourné un clip.
Invigo, « Gravity », réalisé par Doria Achour.
Photographie à la Une : © Pauline Darley.