Sa musique est une énigme. D'ailleurs, lui-même se plaît à brouiller les pistes. Pour composer, Judah Warsky empile beats modernes et harmonies anciennes, langage cru et narration poétique, et emprunte aux effluves d'Orient comme à celles d'Europe et d'Amérique du Sud. On pourrait s'y perdre, mais ça ne rate pas : il signe, à chaque essai, des sons envoûtants - hybrides et sibyllins, mais juste ce qu'il faut. Clique l'a rencontré dans son studio, à Paris.
Qui est Judah Warsky ?
Je suis chanteur et musicien. Je fais de l’électro réaliste. J’ai fait deux albums, le dernier s’appelle Bruxelles. En ce moment je prépare un EP, à paraître au printemps, qui s’appellera Seul.
C’est quoi l’électro réaliste ?
J’essaye d’inventer des mots (rires). Il y a la musique qui t’amène ailleurs, et celle qui te ramène à la réalité. Moi je suis entre les deux. Je fais de l’électro, hypnotique, répétitive pour s’échapper. Mais les paroles sont crues. Enfin, elles sont poétiques, mais elles parlent de vrais trucs, pas comme dans les clubs où souvent même les paroles parlent de la fête, du moment. Je trouve ça bien de faire les deux à la fois. Si la musique est déjà en train de dire « on fait la fête et c’est cool », on peut faire autre chose avec les paroles.
D’où vient le titre de ton EP, Seul ?
C’est le thème, la solitude. ll y aura quatre morceaux, quatre personnages… Quatre points de vue différents sur un même sujet, la solitude. Mon premier disque qui est sorti il y a deux ans, je l’ai fait tout seul. Le deuxième je l’ai fait tout seul aussi. Quand je tourne, je suis seul. Ce n’est pas forcément négatif. Il y a la solitude subie, puis la solitude agréable, les moments privilégiés d’introspection. En janvier-février-mars, je vais tourner un peu partout en France. Je serai tout seul, sur scène, dans les coulisses, dans le train… C’est un mode de vie que j’ai découvert il y a peu, c’est génial.
Depuis combien de temps fais-tu de la musique ?
Pas très longtemps, trois ans. Mon premier album est sorti en 2012, mais depuis que je suis au lycée je faisais partie de groupes. Je faisais de la guitare, de la basse, clavier, et du clavier. Il y a trois ans, je me suis cassé un doigt. J’ai dû annuler mes concerts, mes tournées. J’ai enregistré des chansons de la main gauche… et voilà, j’ai sorti un album.
Tu es donc parti pour une carrière solitaire ?
Je continue à jouer avec mes groupes, Turzi et les Chicros. Les Chicros, c’est de la pop plus psyché – mais gentiment psyché. Turzi, c’est plus le côté obscur de ces musiques-là. On a un album qui sort en mars, qui sort en mars et qui s’appelle « C ». Le premier s’appelle A, le deuxième s’appelle B, le troisième C, logique. Le prochain EP, je ne le fais pas vraiment tout seul, pour la première fois je laisse intervenir des gens de l’extérieur. Un ami, Luc, va mixer. Il y aura aussi Flavien Berger, qui est avec moi sur Pan European. On ne sait pas encore exactement ce qu’il fera, il a d’abord son propre album à sortir.
Comment as-tu atterri sur le label Pan European Recording ?
C’est mes potes, on se connaît depuis le début. Je faisais déjà partie du label avant de faire des disques en fait, j’étais toujours dans le coin. Ça existe depuis 2007.
L’idée, c’est de revivre le psychédélisme à l’européenne
Il y a eu un courant psy dans la musique qu’on associe souvent aux USA ou aux Anglais, mais en Europe il y avait un truc parallèle, qui vient de la musique savante au départ, comme celle de Schaeffer. Un esprit surréaliste, dadaïste, typiquement français mais qu’on retrouve aussi dans la musique suisse, italienne…
Le psychédélisme, tu définirais ça comment ?
Certains vont dire que le psychédélisme c’est Woodstock, les hippies… Mais ce n’est pas une catégorie, c’est un esprit. C’est tout ce qui peut inciter au voyage spirituel, à sortir de soi, à aller voir un peu plus loin. C’est tout ce qui ne parle pas seulement au corps, mais à l’esprit aussi. Les Beatles ou les Pink Floyd ont eu leur période psychédélique. Tout le monde les a entendus, enfant, ça te marque plus ou moins. La première fois que tu prends du LSD aussi, ça te marque à vie.
Tu composes indifféremment en français et en anglais, comment choisis-tu ?
C’est la chanson qui choisit, ce n’est pas moi qui décide. Je commence à chanter ou à écrire, et ça vient comme ça vient. Je ne cherche pas trop à analyser, c’est un truc un peu magique. Ce qu’il y a de bien dans la musique, c’est que tu n’es pas obligé de te justifier auprès de qui que ce soit. Alors que si tu es réalisateur, un film coûte tellement cher qu’il faudra expliquer tes intentions, ta démarche analytique.
J’ai appris par hasard que ton frère, c’est Guido, l’un des deux membres d’Acid Arab. Musicalement, vous avez des point communs ?
J’ai participé à un ou deux morceaux d’Acid Arab, on a un tronc commun forcément, c’est mon frère. Comme lui, je peux très rapidement devenir obsessionnel. Lui il s’est plongé dans le côté oriental, moi en ce moment je suis plus sur l’Amérique du Sud. Victor Jara… je n’écoute que ça ! Comme il est mort assez jeune, il a fait sept albums seulement, mais tout est bien. J’essaye de me faire un petit best of sur Spotify, mais c’est trop long quand même. De toute façon, il y a de la musique de ouf partout, dès que tu commences à gratter un tout petit peu ! C’est ce qu’on nous avait promis au début d’Internet, Youtube ça a tout changé.
C’est-à-dire ?
J’ai 35 ans, je suis suffisamment vieux pour avoir vécu le moment où pour pouvoir écouter un truc, il fallait que tu l’aies. Il m’est arrivé de faire une heure de transport pour aller écouter un disque chez un mec. Ou même d’apprendre à jouer tout un album… Un jour, dans les années 90, je rentre chez moi, et je me rends compte que j’ai oublié un CD dans le lecteur de Guido. C’était Belle & Sebastian.
J’avais toujours la boîte avec toutes les paroles et les tablatures, du coup j’ai tout réenregistré tout seul, et j’ai écouté mon propre enregistrement de l’album.
C’était aussi le moment où tout le monde achetait des CD, du coup les gens revendaient leurs vinyles pour 5 francs dans les vide-greniers, tu pouvais te faire une belle collection avec peu de moyens. Je pense que c’est pour retrouver ça qu’on est toujours à la recherche de vinyles. J’en ai 3000, même dans la cuisine.