Après sa première partie de Smooky Margielaa (membre du A$AP MOB), on a rencontré Lean Chihiro, figure prometteuse du rap. À seulement 18 ans, Lean a déjà une vision bien claire de l’avenir des femmes dans le rap et de la nécessité de la solidarité féminine. On a discuté musique, mode, maquillage, réseaux sociaux, mixtape et concerts…
Clique : Qui es-tu ?
Lean Chihiro : Je suis Lean Chihiro, j’ai 18 ans, j’habite à Paris et je fais de la musique.
D’où vient ton nom ?
Quand j’ai commencé à rapper, j’étais une grande fan de Yung Lean, c’est sa musique qui m’a poussée à me lancer. Donc j’ai décidé de prendre une touche de lui.
Puis, je suis une grande fan des studios Ghibli et je voulais que ça transparaisse dans mon nom.
Depuis quand rappes-tu ?
J’ai commencé à écrire mes premiers sons à 14 ans, au collège, je faisais aussi pas mal de reprises. Quand je suis entrée au lycée, j’ai acheté un micro et j’ai commencé à enregistrer dans ma chambre. Sinon, j’ai fait de la chorale quand j’étais petite et des comédies musicales au collège.
© Owen Bitter
Tu joues d’un instrument ?
Avant je jouais du ukulélé. Plus jeune j’ai essayé la guitare et j’ai toujours voulu faire du piano aussi. Plus tard, je vais essayer d’apprendre à jouer plusieurs instruments pour créer ma propre musique…
Tu rappes en anglais. Pourquoi ce choix ?
Quand j’ai commencé à rapper, je voulais qu’un maximum de personnes puisse me comprendre et ne pas me limiter seulement aux pays francophones. Je voulais vraiment que ce soit un truc international.
Le clip « Hardwork » de Lean Chihiro et Jazir.
De quoi parlait ton premier morceau ?
Je me souviens, je disais que je n’étais pas comme les autres gens autour de moi, que j’étais dans mon monde, que j’étais comme un alien qui met des masques pour rentrer dans les critères de la société. C’est marrant, parce que même si ce son est vieux et que je ne le ressortirai pas parce que c’est de la qualité de merde (rires), j’ai repris quelques paroles dans un morceau que j’ai enregistré il n’y a pas longtemps. Je trouvais qu’aujourd’hui c’était encore plus valable qu’à l’époque.
Quelles sont tes influences et tes inspirations ?
J’écoute vraiment de tout, soul, Hip-hop, rap, rock, funk, jazz… C’est mon éducation, ma mère m’a élevée en écoutant plein de musiques différentes. Mais celle dont je m’inspire réellement, c’est Lauryn Hill. La musique japonaise aussi, parce que je suis baignée dedans depuis que je suis petite.
On a déjà tellement de contenu musical que faire de la musique à notre époque c’est hyper intéressant : il y a plein de possibilités.
Au départ, tu percevais la musique uniquement comme un passe-temps ou tu as toujours eu envie d’en faire ton métier ?
Depuis petite, je savais que j’avais envie d’être sur scène, j’aimais trop danser et chanter. Je me suis dit : « j’écoute tout le temps de la musique, donc pourquoi ne pas faire la mienne ? » Je m’y suis mise à fond. Je n’aurais jamais pensé que ce serait allé aussi loin parce que c’était un hobby. Je faisais ça seulement dans ma chambre, même si je rêvais de gagner ma vie avec. (rires)
Tu étudies en parallèle ?
J’ai arrêté le lycée cette année.
Quel serait ton featuring de rêve ?
Franchement ça serait un featuring avec Snoop Dogg, c’est symbolique de ouf, tu es validé quoi ! (rires)
Tu as un look très marqué. Tu te sers de ton style vestimentaire pour exprimer ta personnalité ?
Je me suis toujours habillée un peu différemment des autres. Après, au collège, on rentre tous dans un moule et au final quand je suis arrivée au lycée j’me suis dit que, tout ce temps, je faisais semblant. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai commencé à affirmer mon style. J’ai toujours aimé les accessoires fantaisistes, les costumes, tout ce qui se rattache à la culture japonaise et c’est resté dans mon style. Je m’exprime le plus avec mon maquillage, je me dessine souvent des choses à l’eye-liner rose sur le visage. En fonction de mes humeurs, je dessine des trucs différents.
© Urumi Kanzaki
T’as combien de tatouages ?
J’en ai quinze, mais j’en ai un sur chaque doigt ! (rires) Pour moi, le corps c’est comme une toile qu’on te donne vierge au début de ta vie, et tu es libre d’écrire dessus.
Ça me permet de m’exprimer et j’ai reproduit sur mes doigts des petits dessins que je dessinais déjà auparavant. Sur mon corps, j’ai un tatouage d’un sans-visage du film Le Voyage de Chihiro, j’ai une dague et une fleur de lotus.
© efosamufasa
Comment tu t’es retrouvée dans la dernière campagne de pub Asos ?
Ils sont tombés sur mon Instagram et ils ont contacté ma manager pour que je vienne passer le casting. Les marques recrutent vachement comme ça en ce moment…
J’ai fait de la balançoire sur un toit sous la neige, j’aurai sûrement plus l’occasion de le refaire, c’était une super expérience.
T’as eu de mauvaises réactions suite à cette campagne ?
La campagne Asos a eu tellement de visibilité qu’après mon interview pour Konbini, les critiques ont fusé par rapport à mon look. Je ne pensais pas qu’il serait autant critiqué. C’était surtout sur Facebook en fait, mais moi je ne suis jamais sur Facebook. Qui est sur Facebook en 2018 ? (rires) J’ai vu ça un matin et au final ça m’a fait rire ! Les gens disaient des choses infondées et ça ne me touche pas.
Comment utilises-tu Instagram ? À quoi ce réseau te sert principalement ?
C’est un peu comme un blog, je montre ce que je fais. De base, je prenais pas ça au sérieux mais quand j’ai commencé à avoir des gens qui attendaient après mes posts ou mes stories. J’ai aussi eu envie de faire plaisir à ces gens qui me soutiennent et poster de plus en plus. En même temps, ça me permet de faire ma promotion, de partager des exclus, c’est un moyen de m’exposer au monde en partageant mon travail et mon style. Aujourd’hui, Instagram ça fait tout. C’est là qu’on repère les artistes, les modèles. C’est là qu’on partage.
Pour ta génération mais aussi celle qui suit, penses-tu que leur vie sur Instagram est devenue plus importante que leur vie réelle ?
Oui, et c’est super grave. Moi si je suis autant à fond sur Instagram, c’est aussi par rapport à ma carrière, mes projets, mon business. Pour certains, c’est comme s’ils se créaient un Sims. Ils montrent ce qu’ils veulent montrer, ils se créent un personnage, ils jouent un rôle… Je ne voulais surtout pas être associée à ça.
Instagram c’est trop une matrice ! (rires)
© Simon Cahn
C’était où et quand ta première scène ?
La toute première scène que j’ai faite, c’était bidon ! C’était sur les quais vers Stalingrad pour la Fête de la Musique, un truc familial. J’suis passé entre deux spectacles d’enfants. Aujourd’hui, on en reparle en rigolant.
J’avais même pas les cheveux roses ! (rires)
Quelle scène as-tu préféré faire ?
Copenhague. Mais le public à Londres était meilleur, les filles criaient « Leaaaaan », c’était génial. Mais Copenhague c’était super. C’était pour le concert de la fête de clôture d’un festival LGBT. Les gens étaient déchaînés, y’a un mec qu’est monté sur la scène et qui a montré ses fesses ! (rires)
© Lex Wescudi
Récemment tu es allée à Los Angeles. C’était uniquement des vacances ou pour le travail ?
C’était des vacances avec ma manager. On adore cette ville et c’était aussi pour fêter les derniers événements. La première fois que j’y suis allée, j’ai rencontré pas mal de gens donc je connaissais déjà un peu. J’ai travaillé ma musique, et faire de la musique aux États-Unis et en France, c’est pas du tout la même chose… J’ai revu Marty Baller, un rappeur de New York avec qui j’ai déjà collaboré, on a refait des sons, j’ai pas mal travaillé et c’est une toute autre ambiance de travail.
Récemment, tu as fait la première partie de Smooky Margielaa, membre du A$AP MOB à La Place Hip-Hop. Tu peux nous en dire un peu plus ?
Il fallait une première partie française pour son concert et Sarah, une fille avec qui on travaille chez Mc*5, une boîte de tourneurs, nous a dégoté la première partie.
T’as rencontré Princess Nokia, comment ça s’est passé ?
Ma manager était déjà en contact avec elle et lui avait fait parvenir mes sons. Elle avait grave kiffé et elle voulait me rencontrer. Elle nous a invitées à un de ses shows à Paris et on s’est vues là bas. J’étais trop contente parce que je kiffe son univers. Elle est super calme alors que sur scène elle dégage une vraie énergie.
Elle est venue me voir et m’a dit « tu sais que je suis fan de toi ? ». J’étais là genre « c’est toi qui me dis ça ! Et moi alors ? J’étais dans la douche juste avant de venir en train de chanter tes sons ! » (rires).
On a toutes les deux envie de travailler ensemble, ça va sûrement se faire et j’ai hâte, elle est incroyable !
Lean Chihiro et Princess Nokia © Wildy Doudane
T’es amie avec Tommy Genesis, comment votre amitié a commencé ?
C’était il y a trois-quatre ans, je l’ai vue dans un clip et j’ai écouté ce qu’elle faisait. J’avais l’impression que c’était quelque chose de nouveau, j’avais jamais entendu quelque chose comme ça. Je lui ai envoyé un message sur Instagram, elle n’avait vraiment pas beaucoup de followers comparé à aujourd’hui mais elle ne répondait pas.
Puis j’ai vu qu’elle était plus active sur Twitter donc je l’ai mentionnée en lui disant « réponds sur Insta » (rires), et elle à répondu directement. Dans le message, je lui disais en gros que j’avais quatorze ans et que je voulais savoir si elle avait des conseils pour moi en tant que meuf dans la musique. Et je lui ai envoyé mes sons. Elle a grave kiffé et elle m’a dit « dès que je viens à Paris on se voit », puis on s’est vues, on a grave parlé et on est toujours en contact aujourd’hui, on est vraiment amies. D’ailleurs elle connait aussi Princess Nokia !
Avec Tommy Genesis © Instagram Lean Chihiro
Tout comme ces deux artistes, penses-tu faire partie de cette nouvelle scène musicale féminine qui revendique et porte un message ?
Oui je pense vraiment, on n’est pas beaucoup. Le rap féminin, c’est vite résumé à des gros culs et du twerk. J’aimerais surtout qu’il n’y ait plus de catégorie « rap masculin », « rap féminin » mais juste la catégorie rap. C’est un travail qui va se faire avec le temps.
Plus il y aura de meufs dans le rap qui vont se bouger, plus les gens vont comprendre que le rap c’est pas que les mecs et que les meufs qui font du rap c’est pas des… putes. Moi je suis là pour vendre ma musique, pas pour bouger mes seins et on peut tout faire sans les mecs.
On te reconnaît dans la rue ?
Oui (rires), ça commence. En venant te voir pour l’interview une fille m’a couru après pour me saluer et me parler. Ça fait du bien et ça compense surtout avec la haine que certaines personnes m’envoient. Plus je fais de la musique, plus les gens viennent me parler et j’ai aussi des gens qui me disent que, grâce à moi, à mon look, ils arrivent à affirmer le leur.
C’est surtout des jeunes filles noires qui n’ont pas confiance en elles qui viennent me parler et c’est ce que j’ai vécu aussi : être une jeune fille noire dans un environnement blanc.
On me demande des conseils et on me dit aussi que ces personnes arrivent à s’assumer grâce à moi. C’est des messages qui me font grave plaisir.
© VraiesMeufs
C’était quoi ta première interview ?
Ça doit faire deux ans. C’était avec mon amie Lyna qui travaille sur un blog qui s’appelle Vraies Meufs. Elle interviewe des filles et elle écrit des articles sur tout ce qui touche les femmes, en particulier celles issues de minorités. Elle représente pour moi le féminisme. C’est une vraie meuf.
Un dernier mot à ajouter ?
Allez écouter ma mixtape « Let me go » ! (sourire)
Image à la une : © Lex Wescudi