Cheb Hasni, assassiné en septembre 1994, est l'un des chanteurs de Raï les plus appréciés et les plus mythiques du genre. Malgré sa courte carrière le jeune chanteur algérien a réussi à s'introduire dans l'inconscient collectif de plusieurs générations.
Idole de toute une génération, Cheb Hasni fait partie de ces artistes au destin foudroyé en plein vol.
À l’âge de 26 ans, alors que l’artiste est au sommet de sa carrière, il est retrouvé mort le 29 septembre 1994 à Oran en Algérie. Si la piste islamiste reste la plus probable, à ce jour l’identité des auteurs de son assassinat reste inconnue. Derrière lui, Hasni laisse une oeuvre colossale avec plusieurs centaines de chansons enregistrées en seulement six ans.
Vingt-deux ans après sa mort, Hasni continue d’influencer les jeunes générations des deux côtés de la Méditerranée, dépassant les frontières grâce à son raï sentimental, teinté de joie et d’espoir. Pour contribuer à sa mémoire et à l’éclat d’une nouvelle générations d’artistes, la première édition du Hasni Day se tiendra le 29 septembre prochain. Pour Clique, l’un de ses créateurs, Mohamed Sqalli, revient sur la portée du personnage d’Hasni et sa volonté de créer une dynamique nouvelle autour de lui.
Clique : Comment es-tu entré en contact avec l’univers de Cheb Hasni ?
Mohamed Sqalli : J’ai grandi au Maroc dans les années 90, et nos journées pendant cette époque insouciante étaient rythmées par cette musique-là. Il y avait un optimisme dans ces années que l’on ne retrouve plus aujourd’hui dans la jeunesse maghrébine. J’ai l’impression qu’une partie de la cette jeunesse s’est résignée, et que les valeurs de liberté, de joie, de passion, d’amour, bref tout ce qui caractérise la jeunesse, ont progressivement eu de moins en moins droit de cité dans nos pays. Et ces valeurs sont le fil rouge des chansons d’Hasni.
Sur Internet, les vidéos de Cheb Hasni comptabilise des millions de vues. Même constat sur les sites de streaming ou le chanteur algérien continue d’être écouté de nouveaux publics.
Comment décrirais-tu la spécificité du Raï ?
Dans le monde arabe, le Raï – et la musique populaire telle que le chaabi au Maroc – est vu avec énormément de condescendance, car on trouve que la seule musique qui a le droit d’exister, c’est la belle grande musique classique égyptienne, libanaise, incarnée par des artistes comme Oum Kalthoum ou Fairuz.
Moi je ne suis pas d’accord parce que je trouve qu’il y a une vitalité, une sincérité dans la musique Raï qu’il n’y a pas dans ces musiques-là, qui restent extrêmement élitistes. Je me rappelle des trajets en voiture avec ma mère qui écoutait Oum Kalthoum, fallait attendre quinze minutes avant que la chanson démarre, et quand elle chantait tu ne comprenais rien (rires).
L’égyptienne Oum Kalthoum, représentante de la musique arabe dans le monde entier.
Le raï est dans une forme d’immédiateté. Quand on observe aujourd’hui des phénomènes musicaux comme PNL, ce sont des groupes qui disent des choses sans le sur-réfléchir, c’est la même chose pour le Raï qui se déploie dans une sincérité populaire.
Il y a aussi une ouverture incroyable dans ce genre musical, par exemple on sait que Hasni s’est énormément inspiré d’artistes comme Dalida, Adamo, Farid El Atrache, pour en faire quelque chose de très personnel à l’arrivée.
Pourquoi Cheb Hasni est-il encore légendaire, plus de vingt ans après sa mort ?
Pour moi, c’est l’incarnation de la sincérité et de l’engagement artistique que représente le raï. En seulement six ans de carrière, il a écrit des centaines de chansons, avant d’être assassiné à 26 ans. Entre temps il est devenu une icône nationale. Dans le destin d’Hasni, il y a tout pour faire de lui une légende : il a été extrêmement prolifique de son vivant.
Des enregistrements VHS circulent sur internet, et témoignent de la ferveur autour de Cheb Hasni.
Tout ce qui reste de lui ne sont que des bribes, des enregistrements VHS pas très nets, des K7 avec un son bizarre, ce qui accentue le mythe.
Et malheureusement le fait qu’il ait été assassiné très jeune a fait de lui un véritable martyr. Cheb Hasni, c’est le chanteur de raï le plus populaire, c’est 2pac le mec ! Il véhiculait l’espoir et la liberté qui sont deux choses qui ont été extrêmement mises à mal en Algérie, malheureusement.
Comment est née la volonté de créer un Hasni Day ?
Il y a deux attitudes dominantes par rapport à la culture arabe/maghrébine et la musique raï en particulier. Au mieux tu as de la dérision, 1,2,3 Soleil c’est marrant… et au pire tu as de la condescendance culturelle. Et ce sont deux sentiments dominants avec lesquels je suis de moins en moins d’accord.
Et j’ai souvent entendu dire que la modernité c’était la France et que le kitsch c’était nous, et je ne suis absolument pas d’accord avec cette idée.
Quelle est l’ambition du Hasni Day ?
Il y a trois buts pour nous. Le premier est de réhabiliter l’héritage musical de Hasni. Il est important de rappeler que le raï n’est pas une musique vulgaire et elle a autant de valeur que la prestigieuse musique classique arabe. Le raï est doté d’une modernité sans pareil, car dans le cas de Cheb Hasni, avoir un tel niveau de sincérité dans sa musique, c’est s’ancrer dans une forme de modernité. Ce Hasni Day est aussi un moyen pour nous de défendre la jeunesse maghrébine où qu’elle soit dans le monde. On veut montrer que, nous aussi, nous sommes créatifs, ambitieux, à l’opposé de l’image que l’on renvoie de nous que ce soit dans les médias en France ou au Maghreb. Et l’ambition finale réside dans la mise en lumière des jeunes artistes maghrébins d’aujourd’hui.