Ce soir, Mouloud Achour reçoit Fatou Diome, écrivaine et auteur de Marianne porte plainte. Le Gros Journal a en effet posé son plateau sur la place de la République, symbole de la lutte citoyenne parisienne des derniers mois. Au coeur du Gros Journal de ce soir, l’analyse de Fatou Diome sur des thématiques telles que la fraternité, l’identité nationale que beaucoup ont souvent réduit à un accent ou à une foi.
Le Gros Journal avec Fatou Diome, l’intégrale… par legrosjournal
Retrouvez le Gros Journal ici avec sa version écrite :
Mouloud : Le livre Marianne porte plainte, c’est un livre de combat et ça fait deux ans qu’on essaye de vous avoir en interview et à chaque fois la réponse est la même :”Non je ne donne pas d’interview car j’écris un livre”. Et c’est celui-là, c’est Marianne porte plainte.
Fatou : Oui.
Alors Marianne porte plainte contre quoi ?
Marianne porte plainte contre ceux qui se servent de son identité pour exclure, pour stigmatiser, pour rétrécir l’identité de la France. Donc l’identité nationale de la France ne souffre que de ses mauvais défenseurs.
Pour que vous compreniez pourquoi Fatou Diome c’est quelqu’un que je cherchais à avoir dans cette émission, c’est que comme plein de gens, je l’ai découverte sur mon mur Facebook, une séquence qui a été partagée plus de 5 millions de fois je crois. C’était dans Ce soir ou jamais… (Fatou Diome expliquait lors de la fin de son intervention qu’elle comptait bien rester en Europe, NDLR)
J’y suis toujours !
En Europe, et lui aussi…
Parce que c’est mon frère et il faut qu’il l’accepte. Si je l’accepte comme frère, il faut vraiment qu’il accepte que je suis l’une de ses soeurs. Même si je viens des tropiques, même si je suis noire, même si lui est blanc aux yeux clairs, c’est la même humanité. Donc qu’on le veuille ou pas, nous sommes embarqués dans le même bateau, il faut donc ramer dans le même sens. La fraternité.
On vous a déjà dit : “Avec votre accent, vous ne pouvez pas être un grand écrivain” ?
Non, moi j’avais… comment on appelle-t-on ça. Vous avez des gens qui vous disent “Tu roules tellement les r qu’il te tombe des perles de la bouche quand tu parles”. Vous voyez, c’est joli. Et moi, au lieu de l’utiliser d’une manière négative, je me suis appropriée cette critique. Donc dans ce livre, je dis “mon accent doit encore faire des rainures aux souches, mais qu’ils s’en accommodent”. C’est ainsi que j’ai appris à raser Molière. Donc il y a des gens qui vont souffrir de mon accent. Je n’y peux rien moi, je fais tous les efforts possibles et imaginables pour parler comme je parle aujourd’hui. Mais moi je voudrais bien les entendre parler en sérère, ma langue maternelle, ou en wolof, la langue nationale au Sénégal. Je pense qu’arriver à parler français au niveau où nous pouvons l’utiliser aujourd’hui, avec nos petites nuances de prononciation, je pense que l’on peut nous pardonner ça. C’est quand même le sens qui est plus important que la sonorité.
Dans ce livre Marianne porte plainte il y a un sens amoureux qui est donné aux mots, à leur valeur, à leur importance. Et en ce moment on est abreuvé de mots, nous on a souvent appelé ça des gros mots. Ces mots-là deviennent des éléments de langage pendant la campagne présidentielle, et je voudrais que l’on passe en revue quelques éléments de langage qui vont faire écho à votre livre. On va commencer par un élément de langage que l’on entend souvent en ce moment : islamogauchiste. Vous vous définissez comme musulmane de gauche, alors c’est quoi la différence entre musulmane de gauche et islamogauchiste ?
Je ne me définis même pas comme musulmane de gauche parce que la laïcité fait qu’aucun citoyen n’a besoin de se définir par sa religion.
Merci ! Merci !
Je viens du Sénégal, tout le monde le sait, il y a 95% de musulmans mais les 5 autres n’ont pas besoin de se définir. L’être humain n’a pas besoin de se définir au-delà de sa simple humanité. Il faut que les gens comprennent qu’être musulman, cela ne signifie pas être étranger. La foi n’est pas une nationalité, la foi c’est une croyance qui s’exprime sur toutes les latitudes, donc on peut être musulman et français aux yeux bleus. Il y a des convertis qui sont musulmans, donc la religion c’est quelque chose qui ne suffit pas pour définir un être humain, c’est une partie de l’être humain.
Et ce terme islamo-gauchiste, qu’est-ce qu’il renferme ?
Ça renferme un non-dit, ça renferme le rejet de l’autre, ça renferme le racisme. Et il faut appeler un chat, un chat.
Un autre mot qu’on emploie souvent en ce moment au point que l’on ne sait plus ce qu’il veut dire, c’est multiculturalisme, et il a un écho très très grand dans ce livre.
C’est aussi la fraternité, c’est l’addition. Quand vous parlez d’une société multiculturelle, on ne peut que l’opposer aux gens qui parlent d’une nation avec une identité monolithique. Cela n’existe pas, donc l’identité de la France, comme l’identité de tout autre pays est une somme d’additions avec des gens venus de tous les horizons. C’est une somme, et l’identité ce n’est pas quelque chose d’inné, ce n’est pas génétique. L’identité, c’est un apprentissage donc c’est une formation, c’est une instruction, ce sont des acquis.
Je peux poser une question vulgaire ?
Oui.
Pourquoi est-ce que l’on nous casse les c******* avec l’identité ?
Parce que quand on n’a rien à dire, on s’accroche aux poncifs. Donc pendant les campagnes électorales, c’est commode de parler d’identité parce que l’on parle aux bas instincts. On veut organiser des meutes, on veut organiser des groupes.
Mais pourquoi cela marche ? On dit tout le temps que c’est la faute des politiques mais il faut aussi poser la question “pourquoi cela prend chez les gens ?”.
Parce que cela touche aux émotions. Vous savez, c’est l’orgueil humain. Toute personne a envi de se dire que ce que je suis est ce qu’il y a de meilleur. Oui, vous savez la France a apporté les Droits de l’Homme, la France a apporté l’universalisme, ce sont aussi les Lumières. Mais la France n’est pas que ça. La France des Droits de l’Homme, c’est aussi la France des colonisations, c’est aussi la France de l’esclavage, c’est la France du code de Colbert, mais c’est aussi la France de cette liberté guidant le peuple. Cette magnifique France-là n’a pas besoin d’avocats arguant en permanence l’identité nationale avec des slogans répulsifs. La France est assez belle comme elle est pour pouvoir assumer sa part d’ombre et sa part lumineuse. Si l’on arrête la fébrilité, la France n’a pas besoin d’avocats. Elle a besoin d’historiens, d’historiens assez honnêtes pour donner les différentes étapes de l’histoire de ce pays et d’une manière complètement paisible.
Donc ceux qui utilisent l’identité… ce qui m’a choqué, ce sont souvent des étrangers adoptés exactement comme moi mais qui sont devenus plus royalistes que le roi. C’est ça que je souligne aussi dans ce livre.
Vous pensez à qui ?
Je pense à Nicolas Sarkozy, je pense à Nadine Morano, je pense à Manuel Valls, ce sont des gens qui sont venus d’ailleurs exactement comme moi. Mais eux peuvent se fondre dans la masse, dans l’anonymat chromatique. Mais moi, vous voyez ma face de chocolat, je ne peux pas cacher, donc mon métissage n’est pas visible.
Vous savez, Nadine Morano a une amie qui est…
Elle a une amie noire ! Vous savez, je trouve ça dangereux de regarder la particularité pour dire “J’ai une amie qui est noire”. Moi j’ai des amis et ce n’est pas du tout leur couleur qui les caractérisent ou les identifient. Et j’ai des amis de tous les horizons.
Mais comment vous expliquez que même nous les jeunes maintenant on dit ça entre nous ? “Je suis avec mes renois”, dans la musique ils disent tous ça, “je suis avec mes rebeus”.
Peut-être parce que les gens ont besoin de s’identifier mais peut-être parce qu’ils ont oublié la grande identification. La grande identification, c’est notre humanité. Moi que je sois au Sénégal, en France, au Maroc ou au Japon, je suis avec les miens, je suis avec des humains. Donc vous savez les poissons ont leur milieu aquatique, ils sont ensemble, donc dans leur fraternité. Les oiseaux ont les airs. Mais nous les bipèdes, regardez autour de nous, il n’y a que nos semblables là autour de nous. Donc la couleur c’est un simple hasard génétique, si les gens ne sont pas assez intelligents pour aller au-delà de la couleur, il faut qu’ils demandent au bon Dieu de changer sa palette.
Le livre c’est Marianne porte plainte. Si on enlève un “a”, qu’est-ce que l’on fait pour Marine ? Qu’est-ce que l’on fait ?
Vous osez enlever ce “a” ? Mais Marianne serait incomplète, parce que le sectarisme ne fait pas la République parce que ce pays-là, c’est le pays de Jaurès, c’est le pays de Clemenceau. Vous savez, Clemenceau a créé le journal Justice donc il portait la justice jusque sous les tropiques. Voilà, mais c’est aussi Clemenceau, le père, la victoire.
Mais en ce moment, le groupe Justice va à Coacella donc c’est aussi une certaine idée de la France…
Oui mais il y a une idée de la France que nous pouvons toujours défendre. Vous savez, moi je suis une optimiste, je suis comme les enfants, je crois ce que l’on me dit. Moi on m’a dit “Liberté, Égalité, Fraternité”, et je dis “Même si l’égalité nous attend sur une étoile avec ma grand-mère, en route on finira inshallah par l’atteindre”, et j’y crois.
Est-ce que vous croyez que Marine Le Pen peut être présidente de la République?
En tout cas pas ma présidente. Elle peut se présenter, c’est la démocratie, je suis contente que ce débat-là existe donc oui elle a le droit de s’exprimer : sa liberté d’expression c’est aussi la mienne. Mais j’ai aussi la liberté de combattre et de dire “Moi je ne suis pas d’accord avec une France étriquée, rassis, qui mettrait des cloisons entre nous”. Moi je suis pour une France de la fraternité, je suis pour la France de Louise Michel, je suis pour la France de Simone Weil, la philosophe ouvrière qui nous a éclairé, c’est pour ça que je défends l’éducation. Donc la meilleure manière de participer à cette France-là, c’est d’être digne héritière des humanistes qui font le respect qu’on accorde à la France à travers le monde.
Vous avez peur de Marine Le Pen ou pas ?
Je n’ai pas peur d’elle, c’est elle qui a peur de moi. Et je vais vous dire pourquoi. Non, c’est vrai !
Oh la punchline de ouf ! Je suis obligé, Fatou Diome… Allez, je vous écoute.
Non je n’ai pas peur d’elle, vous savez le rejet a toujours peur de l’amour, moi je suis une fille, je suis venue en France par amour donc rien, aucune haine, aucun rejet ne me fera rejeter la France et cela… Quand vous dites cela vous faites peur aux sectaires, quand vous dites cela vous faites peur aux populistes, parce que moi quand je dis cela je m’accroche aux lumières européennes. Quand je dis cela je dis : vos idées ténébreuses ne peuvent pas enterrer Montesquieu, vos idées ténébreuses ne feront pas taire Marianne, vos idées ténébreuses n’empêchent pas, cette République a mis Marie-Antoinette au trou et Victor Hugo au Panthéon, il y a des raisons à cela, donc quand vous prenez l’amour vous ferez toujours peur à la haine et l’amour est plus fort que la haine et la culture est toujours plus forte que l’ignorance.
Je crois à une France lumineuse qui se battra toujours pour ses valeurs parce que c’est pour ça que je la respecte et je la somme de me donner une preuve que tout ce qu’elle m’a enseigné est absolument véridique, je la somme de me montrer qu’elle est à la hauteur de son histoire lumineuse et humaniste. Je veux que la France me prouve qu’elle a donné naissance à Louise Michel, à Clémenceau, à Jaurès, je veux que la France de Victor Hugo me dise que le simple rejet des misérables d’aujourd’hui ne justifie pas le racisme, donc la liberté gagné à la guerre, cette liberté là ce n’est pas que pour les enfants blancs de Marianne, cette liberté là c’est pour tous les enfants de Marianne et tous ceux qui sont morts au front pour la défendre pour la léguer à leurs enfants, je suis une de ces enfants. Donc les sectaires ils ont peur de moi parce que moi je les revendiquerai toujours comme mes frères et mes soeurs.
Pourquoi vous vous présentez pas ?
Je sais pas, peut-être parce qu’il sont plus forts les hommes politiques, moi il y a la poésie, je suis une rêveuse peut-être…
Le mot que j’aime ? Le troisième terme de la devise française qu’on oublie trop souvent : fraternité, pour fraterniser avec quelqu’un il faut le découvrir, si vous découvrez quelqu’un si vous le connaissez mieux il vous fera moins peur donc voilà le dialogue, la rencontre, la fraternité mon frère Mouloud.