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Musique

CHRONIQUE : ‘Tha Carter V’, l’album tant attendu de Lil Wayne

Lil’ Wayne est le rappeur qui aura donné naissance à une génération d’auditeurs geeks. Il est l’un des premiers à avoir maintenu ses fans en haleine à coups de mixtapes, les obligeant à guetter frénétiquement les sites spécialisés, à chercher les traductions de ses métaphores et à traquer le moindre de ses featurings.

Chaque couplet de Lil’ Wayne est une pièce de collection.

C’est pourquoi, après des années d’attente et de batailles juridiques, la sortie de Tha Carter V s’apparente à un exercice d’archéologie. On pourra par exemple déterrer un tweet de Travis Scott datant de 2014, nous laissant penser que son apparition sur l’album a en fait été enregistrée il y a quatre ans.

On notera aussi le mythique bruit de briquet qui s’allume au début du morceau “Don’t Cry”, suffisant pour donner des frissons aux amateurs éclairés. Le refrain posthume de XXXtentacion et les paroles quasi-mystiques de Wayne (“Tu regardes les nuages / Est-ce moi qui m’élève ou eux qui descendent / Je vois la mort au tournant / Et le marquage routier dessine un sourire”) complètent l’atmosphère pesante du titre.

Incroyable entrée en matière, en matière noire pour être exact.

Car Tha Carter V est sans doute l’album le plus sombre de Lil’ Wayne à ce jour. Le sublime “Can’t Be Broken” raconte des histoires de rideaux qui tombent et de mères inquiètes. “Dark Side Of The Moon” dépeint une fin du monde cosmique et un amour toxique. “Open Letter” sonne comme le monologue d’un forcené acculé par ses démons. Le tout mis en musique sur des samples sanglotants et des orchestrations cinématographiques. Il fallait bien la richesse de la plume et l’amplitude de l’univers de Weezy pour donner corps à de tels récits.

Dans un film qui lui était consacré en 2009, Lil’ Wayne confiait ne pas vouloir penser à sa propre mort. Sur cet album, le voilà directement passé au stade de la résurrection (“C’est en vie, c’est en vie, je revis”, scande-t-il sur “Let It Fly”).

Complexe, long et torturé, Tha Carter V montre à cœur ouvert le parcours semé d’embûches qui aura enfin mené à sa sortie. Plus qu’une naissance, une renaissance.

Fort heureusement, Wayne avait l’expérience et le carnet d’adresses nécessaires pour naviguer solidement dans cette tempête. Les artistes conviés sur le disque font honneur à leur hôte. Travis Scott déploie une nouvelle fois son style pyrotechnique sur “Let It Fly”. Snoop Dogg retrouve la souplesse de son flow sur “Dope Niggas”, qui utilise le même sample qu’un morceau mythique de Dr. Dre (“Xxplosive”, sur l’album Chronic 2001). Nicki Minaj transcende sa voix sur ”Dark Side Of The Moon”, et construit un dialogue amoureux interstellaire avec celui qui fut son mentor.

Les deux morceaux les plus remarquables du projet sont d’ailleurs des featurings. “Mona Lisa” tout d’abord, associe Weezy et Kendrick Lamar dans une sorte de vaudeville crapuleux, les deux artistes rivalisant d’énergie et d’inventivité. Du rap de très, très haut vol. Dans un registre plus intimiste, “Famous” met en vedette Reginae Carter, la fille de Lil’ Wayne, qui semble adresser un message à son père trop souvent absent. Mis en parallèle avec l’intro de l’album, dans laquelle la mère du rappeur lui dit avec des larmes dans la voix à quel point elle est fière de lui, voilà qui boucle la boucle.

Côté production, l’ambiance est soignée et plus adaptée à un rap “traditionnel”, à contre-courant des dernières tendances de la trap ou de l’emo-rap. Quelques noms prestigieux sont au casting : DJ Mustard, Zaytoven, Mannie Fresh ou encore Metro Boomin. De quoi attirer un auditoire qui avait peut-être délaissé le géant de la Nouvelle-Orléans, rattrapé pendant son absence par une nouvelle génération qui aura su pousser encore plus loin les recettes qui avaient fait son succès. Car aux côtés d’un Gucci Mane, Weezy est bien l’un des pères spirituels de la nouvelle vague du rap mondial.

Si Lil’ Wayne a sans doute laissé des plumes dans la gestation compliquée de ce projet déjà mythique, il n’en aura pas moins réussi à prouver une nouvelle fois son talent. En naviguant à travers quelques morceaux plus anecdotiques, on saura trouver dans Tha Carter V de quoi nous rassasier après cette longue attente.

Michael D’Wayne Carter Junior est un rappeur tellement prodigieux et inventif, que chaque seconde en valait la peine. Après “Kamikaze” d’Eminem, les vétérans du rap U.S. ont décidément de beaux restes.

Image à la une : pochette de Tha Carter V
Texte : Charles Bontout

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