Oops! Aucun résultat
Séries
Par Camélia Kheiredine

« Selfiraniennes » : la web-série documentaire où des iraniennes se racontent sans filtre devant leurs smartphones

Il ya une chose que nous apprécions chez Clique : prendre le temps de se poser, de réfléchir, de se distancer et de déconstruire nos pré-notions. Aujourd’hui, nous vous faisons découvrir une web-série documentaire qui va dans ce sens. Et on a rencontré Segolène Davin, une des deux réalisatrices.

La web-série s’appelle Selfiraniennes et souhaite, à travers six épisodes disponibles sur YouTube, donner la parole à des femmes iraniennes. Le cadre est simple : un miroir, un smartphone et une femme qui se raconte. Personne ne lui coupe la parole, personne ne la juge, personne ne lui souffle ce qu’elle a à dire. Juste elle, son reflet et sa condition de femme dans un pays qui cristallise certains fantasmes dans la sphère médiatique : l’Iran. Cette web-série documentaire et les thématiques qu’elle aborde (beauté, amour, sexualité, avenir, mariage, liberté) fait office de tribune pour ces jeunes femmes qui se ré-approprient leurs images et leurs identités, sans langue de bois.

« Les femmes en Iran sont passionnantes. Mes voyages là-bas m’ont donné envie de faire quelque chose avec elles. Elles ont une parole incroyablement libre. On voulait absolument leur tendre le micro« , nous explique Ségolène Davin, qui a réalisé la web-série avec Charlie Dupiot.

Épisode 5 des Selfiraniennes, notre préféré. 

Dans ces épisodes de cinq minutes environ, plusieurs Iraniennes prennent la parole à tour de rôle pour partager leurs opinions et interroger leur situation. « Les épisodes suivent le questionnaire qu’on avait écrit initialement, et qui permet d’aller de plus en plus dans l’intime », explique Ségolène Davin. Et ce qu’on aime dans le choix des témoignages, c’est qu’ils sont loin d’être homogènes : il y a des désaccords, des convergences, des hésitations, des convictions. Mais à la fin, aucune d’entres elles ne se ressemble vraiment.

« Ici, l’une des solutions très courantes pour donner de la liberté aux femmes, c’est la ségrégation. C’est comme si on te construisait une cage et qu’on te disait : « tu peux être libre, mais que dans cette cage« , raconte une Selfiranienne.

Mais une autre femme ne partage pas cet avis : « la situation s’est vraiment beaucoup améliorée, on est bien plus libres qu’avant. Aujourd’hui, les gens ont changé à Téhéran. »

Devant leur miroir, la spontanéité et l’honnêteté de ces Iraniennes frappent. L’idée de parler « en mode selfie » n’est d’ailleurs pas anodine. Ségolène Davin confie : « Scotcher un téléphone en mode selfie sur ton miroir et être les yeux dans les yeux avec toi-même, c’est un peu une introspection, surtout quand on te pose des questions auxquelles tu dois répondre. Tu ne peux pas te mentir à toi-même quand tu te regardes dans un miroir. Tu es habituée à cette image-là. À ce reflet-là. Tu n’as pas l’impression d’être filmée avec une caméra de documentaire traditionnelle, donc tu l’oublies et tu dialogues juste avec toi-même.« 

Mais ces protagonistes ne sont pas filmées n’importe où. Elles sont chez elles, loin des regards et des pressions sociales. « On a voulu filmer à l’iPhone chez les gens. On s’est dit que si les femmes sont soit-disant libres à l’intérieur, on va les filmer à l’intérieur« , nous explique Ségolène Davin.

 « Et ça va faire de cet espace, un lieu de pouvoir et d’expression. »

@Selfiraniennes

Loin de tenir un discours angélique et/ou biaisé sur la condition des femmes en Iran, la réalisatrice tient à rappeler que ce tournage ne s’est pas fait sans conditions. En effet, même si ces femmes ne sont pas des activistes anti-gouvernement, elles tiennent à préserver leur anonymat. De ce fait, impossible pour l’Iran et les Iranien.ne.s d’avoir accès à cette web-série documentaire. Et pour cause : elle est géo-bloquée sur place.

« Il y a des choses qu’on a fait pour protéger les Selfiranniennes, notamment avec le géoblocage. La chaîne YouTube et les contenus de la web-série ne sont pas du tout accessibles en Iran », explique Ségolène Davin. « C’est pour limiter l’impact que cela pourrait avoir sur les filles. Ce ne sont pas des activistes. Elles ne sont pas anti-gouvernement. Mais elles craignent des répercussions de leurs entourages et de leurs familles. Et cette fameuse « mauvaise réputation ». » 

Ces Iraniennes ont accepté de jouer le jeu pour servir la recherche, dépeindre un portrait réaliste de la femme iranienne et décoloniser les imaginaires autour de la « femme orientale« . À ce sujet, la réalisatrice nous rappelle que « déconstruire les préjugés, c’est trouver ce qui nous ressemble plutôt que ce qui nous éloigne. Avec le concept des Selfiraniennes, nous voulons montrer que les injonctions liées aux femmes ne sont pas dûes à la religion, à l’origine géographique ou à la condition sociale. C’est simplement une question de genre.« 

Dans « Orientalisme, occidentalisme et contrôle des femmes », Nouvelles Questions Féministes, 2006, (une lecture que Clique vous recommande) Nader Laura expliquait d’ailleurs que :

« Aussi bien en Occident qu’en Orient, on peut mesurer l’évolution et la perpétuation de la subordination des femmes. Aussi bien l’Orient que l’Occident constituent des systèmes de contrôle patriarcaux. Ce sont des sociétés où la domination masculine est publiquement avérée, et ce, plus particulièrement dans les gouvernements. Que ce soit en Orient ou en Occident, les femmes travaillent davantage d’heures que les hommes en tant que classe, et dans les deux cultures, les femmes et les enfants sont la majorité des pauvres – et ils le deviennent toujours plus.

« Bien que dans les deux parties du monde il y ait des idéologies qui glorifient le statut des femmes, dans les deux, le statut bas des femmes est expliqué comme dû à leur infériorité inhérente. En Orient comme en Occident, la subordination des femmes est structurée institutionnellement et elle conduit à des situations de déférence, de dépendance, d’absence de pouvoir et de pauvreté. Pourtant, dans les deux cultures, le type de construction du genre par lequel la culture propre est idéalisée de l’intérieur en comparaison avec la culture étrangère permet aux ressortissants de l’Orient et de l’Occident de se sentir respectivement supérieurs l’un à l’égard de l’autre, tout en ignorant les traits qu’ils ont en commun.« 

L’ambition de Ségolène Davin et Charlie Dupiot à l’avenir ? Étendre leur concept vers d’autres pays. Après les Selfiraniennes, les deux réalisatrices songent à rencontrer et interroger d’autres femmes dans les quatre coins du monde : SelfindiennesSelfitaliennes ou encore Selfivoiriennes. Leur objectif ? Montrer que même s’il y a des différences, ce qui lie et ce qu’il y a de commun entre les femmes à l’échelle internationale est encore plus fort.

Dans un des épisodes, une des Selfiraniennes regrette que « les femmes ne connaissent pas réellement le pouvoir qu’elles ont en elles ». On la rassure : nous non plus.

Pour voir l’intégralité des épisodes de la web-série, cliquez ici.

Image à la Une : Selfiraniennes réalisé par Ségolène Davin et Charlie Dupiot. 

Précédent

L'ALBUM DE LA SEMAINE : Astroworld, le tout dernier terrain de jeu de Travis Scott

COUP DE CŒUR : "L'ÉPOQUE", un documentaire lumineux sur Paris et les jeunes la nuit

Suivant