Chaque nuit, des personnes traversent les rues de Paris pour venir en aide aux sans domicile fixe. Le jour du réveillon de Noël, ces maraudes ne s'arrêtent pas. Rencontre avec ces braves qui passent leurs fêtes avec les sans-abris.
Il est 14h. À la sortie du métro Place Monge, les passants défilent. Entre les retardataires en quête de cadeaux, les quelques travailleurs déjà épuisés prêts à rentrer, et les touristes venus passer les fêtes à Paris, une tente est dressée, et une poignée de personnes s’est retrouvée là. On enregistre la dernière émission du projet 1001 radios, lancée par l’association Les Enfants du Canal avec l’appui de la Fondation Abbé Pierre. Depuis trois ans, chaque fin d’année, autour du réveillon de Noël, l’association distribue des radios aux sans-abris. Une initiative qui fait aujourd’hui le tour de la France, et se clôture en ce 24 décembre dans le 5ème arrondissement parisien avec l’enregistrement d’une émission de radio.
Avec Noël, les actions de solidarité connaissent un regain de popularité.
Hugo Lebrun, en charge de la communication autour de 1001 radios, démarre l’émission en interviewant Christophe Louis, directeur des Enfants du Canal. À côté, une dame d’un certain âge interroge des membres de l’association. “Il y a toujours un pic de popularité autour des périodes de fêtes et de froid” commente Cédric, responsable des maraudes. “Les médias parlent de nous, c’est normal. Mais peu de personnes peuvent s’engager vraiment dans la durée”. La sympathie ne disparaît heureusement pas à la sortie des fêtes, et Cédric assure recevoir assez de demandes.
« À partir du moment de la rencontre [avec un sans-abri] un lien se tisse. L’accompagnement doit se faire régulièrement » explique Cédric, qui ne prend que très rarement des bénévoles.
L’association, née suite aux mouvements des Enfants de Don Quichotte, coordonne les maraudes dans le Sud de Paris depuis 2012. La mairie s’est accordée avec plusieurs associations pour cette délégation de service public, organisée par secteurs. “C’est important d’avoir cette cohésion d’intervention. Sinon, on peut être plusieurs à passer au même endroit le même jour, et personne un autre” continue Cédric. Cette année, deux bus ont été installés dans la capitale pour distribuer un repas de réveillon, et un véhicule tournera en plus des traditionnelles maraudes.
14h30. Claire, Joao et Nesrine se mettent en route pour distribuer des radios dans le quartier.
Claire, 25 ans est une habituée, une vétéran. Lunettes vissées sur un visage rieur, elle marche d’un pas assuré. Engagée auprès des Enfants du Canal depuis un an, elle a commencé comme volontaire du service civique, et a maraudé régulièrement pendant près de 8 mois. Joao, 23 ans, et Nesrine, 20 ans, tous les deux également arrivés par le service civique, travaillent d’habitude dans un bidonville, un “platz” (terme roumain), avec les enfants rom qui y habitent. Il y a deux jours, ils leur organisaient un Noël. Pour eux, la distribution du jour est une initiation, un baptême du feu que Claire supervise en expliquant les ficelles.
“J’ai fait huit mois dans mon secteur, je le connaissais par coeur. Mais parfois il vaut mieux se perdre un peu, il peut y avoir des sans abris dans des rues auxquelles on ne pense pas” dit-elle, en marchant.
Les maraudeurs s’enfoncent un peu plus loin dans le Quartier Latin, vers le Panthéon. Pour l’instant, personne ne semble avoir besoin d’une intervention. Claire se souvient : “Ma toute première maraude, c’était dans le 8ème arrondissement. On s’était assis avec un groupe de sans-abris, quand une dame est passée et nous a dit : “c’est pas malheureux de voir ça”. Ça m’a choquée. C’est un vrai problème, l’incompréhension des gens.” Les anecdotes s’enchaînent, entre les blagues et les conseils avisés de la mentor : “Il ne faut jamais insister, mais essayer de garder un oeil sur ceux qui te recalent, même au plus loin, au cas où”.
Joao veut “se sentir utile”. Animateur pour enfants, le jeune homme a l’air heureux de participer à cette maraude, et prend des photos. “Ce qu’on voit dans les médias, c’est vraiment différent de ce qu’on vit tous les jours [au contact des populations démunies]”. Joao veut voir, connaître, et aider, surtout aider. L’association effectue des maraudes d’intervention sociale. Pas de distribution de duvets ou de nourriture en temps normal. Pour Noël, il y a ces radios, et le bus qui fournira un repas ce soir quand meme. Mais l’idée est d’accompagner les personnes sans domicile fixe, de faire évoluer leur situation.
En marchant rue Mouffetard, les maraudeurs découvrent un homme qui joue d’un instrument improvisé sur le bord du trottoir.
Il est Roumain, et comprend un peu le français. Assez pour accepter la radio, qui lui fera un cadeau de Noël pour ses enfants. “Tu vois, c’est bête, mais c’est pour le sourire des gens qu’on fait ça aussi” lâche Claire après cette rencontre. Un peu plus bas, le groupe hésite. Une dame chante sur un perron. Est-ce qu’elle n’est pas un peu trop apprêtée pour être à la rue ? Est-ce qu’on peut la couper dans sa chanson ? Et si elle n’est pas du tout à la rue, ce sera la honte non ? Ces décisions se font difficilement, au jugé, selon l’habitude. Et puis, il y a quand même quelques règles de bon sens : “on ne réveille pas les gens qui dorment, on n’interrompt pas les gens qui chantent”.
Claire est secrétaire de métier. “Quand j’ai découvert l’association avec le service civique j’ai eu envie de tenter ma chance et d’aider les gens” raconte-t-elle. À la fin de son service, elle a tenu à se rendre disponible pour l’association. “Je me suis attaché à quelqu’un de mon secteur, et en passant le revoir, j’avais vraiment l’impression de revenir à la maison. On nous dit de pas trop nous attacher, mais tout le monde sait que ce n’est pas tellement possible”. La jeune femme, contactée pour le projet 1001 radios, parle de son expérience de maraudeuse avec fierté. “Ça fait grandir. Psychologiquement c’est énorme, j’ai beaucoup changé depuis. On apprend beaucoup, voir des gens si humbles qui ne se plaignent parfois jamais, c’est des leçons de vie”. Rater les fêtes ne la dérange absolument pas. “Je suis vraiment contente d’être là, je ne pense pas vraiment à moi dans ces cas là”.
Sur quelques rues, près de 5 radios ont été distribuées. Les maraudeurs rentrent tranquillement place Monge.
C’est bientôt l’heure de préparer le réveillon. L’émission se finit. Des chansons grésillent dans les hauts parleurs installés sur la place. Il faut maintenant démonter la tente, et se diriger vers les bus qui distribueront des repas chauds. Une chance, il ne fait pas si froid. Les passants arpentent toujours la place Monge, de plus en plus pressés. L’heure du réveillon approche à grands pas. C’est Noël. Ce soir, tout le monde a besoin de se retrouver.