Que faire, face aux soldats de l’autoproclamé « État Islamique » qui, non contents de multiplier les massacres, détruisent aussi le patrimoine historique et culturel de l’humanité ? Le 26 février dernier, des militants du groupe se sont filmés en train de démolir à coup de masse les sculptures du musée de Mossoul, grande ville du Nord de l’Irak que l’É.I. contrôle depuis juin 2014.
Frappée par ces images, l’artiste américano-iranienne Morehshin Allahyari a décidé de riposter au saccage, avec ses propres moyens. Dans ses ateliers de San Francisco, elle utilise la technologie 3D pour reproduire à l’identique certaines de ces trésors anéantis.
AJ+, le nouveau média de la chaîne Al-Jazeera, a filmé le processus :
Les militants de l’organisation État Islamique voient ces vestiges préislamiques comme des idoles à détruire absolument car ils les considèrent – entre autres – comme des symboles de la mécréance. Après la cité antique de Nimroud, détruite à coups de bulldozer en mars dernier, ils s’attaquent désormais à celle de Palmyre, en Syrie. « Je me suis dit que c’était le bon moment pour initier un projet de ce type », dit-elle à AJ+.
Morehshin modélise les vestiges sur son ordinateur (à l’image du projet Mossoul) puis les reproduit en résine transparente. La caméra d’AJ+, qui filme l’intérieur d’une imprimante, montre comment se forment les nouveaux objets. Tous, pour l’instant, sont des reproductions d’artefacts détruites à Hatra, au Nord de l’Irak actuel, et à Ninive, l’ancienne Mossoul. Pour des raisons pratiques, ils sont plus petits que les originaux (vous ne verrez donc pas le lion d’Athéna de Palmyre – environ 3 mètres de haut et 15 tonnes – revenir à la vie).
Uthal, roi d’Hatra (IIe siècle), détruit au musée de Mossoul, recréé en 3D.
Dans chacune des statues ainsi « recréées », Morehshin insère une carte mémoire et une clé USB qui contiennent des cartes, des vidéos et des témoignages. Ces éléments, que l’artiste est allée chercher directement auprès d’archéologues, de conservateurs et d’historiens, reconstituent l’histoire de l’objet pendant ses derniers mois d’existence. Intitulé « Material Speculation », le projet se veut avant tout un travail « d’archive » et « de documentation » pensé pour « conserver le savoir », mais aussi une réflexion (disons-le, plutôt sybilline) sur « l’impression 3D, le Plastique, le Pétrole, le Technocapitalisme et le Jihad ».
Lucide, Morehshin sait bien qu’elle ne vaincra Daesh ni ne sauvera le patrimoine historique et culturel de la région à coups d’impressions 3D (à l’inverse du chanteur Shaggy, persuadé que l’Etat Islamique peut être contré par la fumette et le reggae…). « Je ne pense pas qu’on puisse véritablement remplacer ces artefacts », dit-elle. « Mais ce que j’ai essayé de faire, c’est de trouver au moins un moyen de les recréer de la manière la plus fidèle possible ». Dans la prochaine version de son projet, elle compte ajouter des fichiers open source aux cartes mémoires. Ils permettront à n’importe qui disposant d’une imprimante 3D de fabriquer son propre objet. « Comme des capsules temporelles, chaque objet est scellé et conservé pour des civilisations futures », explique-t-elle à la radio américaine CBC. Mais des instructions seront disponibles pour les ouvrir et en extraire les informations… sans les casser.
> Pour aller plus loin : « Le patrimoine culturel, autre cible de l’État Islamique » (RFI)