Avec sa société Mazava Corp., Valérie Atlan est l’une des organisatrices de la tournée l’Age d’Or du Rap Français, qui réunit la majorité des artistes-cultes des années 90. Dans la première partie de notre entretien, nous sommes revenus sur son parcours personnel hors norme. Cette seconde partie est consacrée à la tournée.
PARTIE 2 – L’ÂGE D’OR DU RAP FRANÇAIS
Clique : Tu écoutes quoi aujourd’hui ?
Valérie Atlan : J’écoute tout ce qui sort, je suis obligée de me tenir au courant. J’aime bien tout, du côté français et américain. Je trouve que PNL c’est mortel, même s’il faut reconnaître que tous leurs titres se ressemblent. Ils ont apporté une vraie nouveauté. Moi ça me rappelle Jodeci… Je suis peut-être folle, c’est un groupe de R&B ! J’adore Sofiane du Blanc-Mesnil, j’aime bien son énergie. Dosseh j’adore aussi, son album est qualitatif. Idem pour SCH.
Tu organises « L’Âge d’Or du Rap Français », une tournée qui réunit des artistes majeurs des années 90-2000. Comment est née l’idée ?
C’est une idée que l’on avait avec Michel (NDLR : son collaborateur) depuis longtemps, et qui vient d’un constat : on trouvait que tout ce que l’on écoutait à la radio se ressemblait, surtout avec l’auto-tune. Nos enfants grandissent avec ce qu’il y a à la télé et à la radio, mais finalement ils ne connaissent pas les bases. Ma fille écoute Nekfeu, mais est-ce qu’elle sait vraiment pourquoi il rappe comme ça ? Ce qui l’a influencé, ce qui a fait qu’aujourd’hui il y a un Nekfeu qui peut exister ? Je trouvais important de faire quelque chose qui fasse comprendre à la nouvelle génération pourquoi le rap s’est démocratisé, et qui fasse comprendre aux gens d’où vient le rap français en montrant les vrais groupes légendaires qui ont créé de vraies bases. Les gens qui ont créé de vraies écoles du rap comme Time Bomb ou le Secteur Ä. J’ai toujours voulu transmettre. Donc on a pris de façon chronologique les dix années charnières qui ont fait l’école du rap.
Vous avez fait une première date à Paris. Le public ressemblait à quoi ?
Il y avait de tout. C’est vrai qu’il y avait pas mal de quadragénaires mais c’est jeune, quarante ans ! On va faire une captation qui sera diffusée sur France Ô le 20 décembre. Ce premier concert était une date vitrine, on a perdu de l’argent. Et ça s’est tellement bien passé qu’on a été approchés par des partenaires qui ont souhaité investir dans le projet. On part sur douze Zeniths, un Bercy… C’est énormément d’organisation et très couteux.
Valérie Atlan à 23 ans et Doc Gynéco, 1995
Est-ce que la programmation sera la même que celle de la première date ?
Non, Paris c’était trop : cinq heures de show, 35 artistes, de 19h à 1h30 du matin… Ça a commencé avec Assassin qui est venu faire « La formule secrète », qui était sur la fameuse compilation Rapattitude. Puis de 1990 à 2000, tout le monde a défilé, entrecoupés de courts-métrages explicatifs. On a terminé avec les Neg’Marrons qui ont fait « le Bilan », forcément. Sur la tournée, en termes de logistique, c’est impossible d’emmener 35 rappeurs dans un tour bus pour faire le tour de France. On sera quand même 14 ou 15, c’est déjà énorme. Par contre pour la prochaine date de Paris, il y aura beaucoup plus de monde avec des vrais guests surprise. On a fait se réunir Expression Direkt, ça c’est quand même incroyable : ça va être la grosse news, ils étaient séparés depuis dix ans. Ils se sont retrouvés exprès pour « l’Âge d’Or », je leur ai dit que je les voulais au complet. Ça va être fou. Les mecs qui connaissent bien l’histoire vont être vraiment choqués.
Tu peux déjà nous donner quelques noms ?
Sur la tournée, on a Assassin, Busta Flex, les 2 Bal’ (Ménage à Trois), Ideal J, Expression Direkt, K-Reen (la seule femme de la tournée), la Cliqua, Ministère Ä.M.E.R., Matt Houston, Monsieur R, Neg’Marrons, Nuttea, Passi et Stomy, les Sages Poètes de la Rue, les X-Men. Il y en a d’autres qui sont en train de se concrétiser, comme Alliance Ethnik.
On adorerait voir MC Solaar…
Tout le monde rêve de l’avoir sur scène, mais c’est très dur. Je le connais très bien, je suis partie chez lui, nos enfants sont les mêmes (ils sont juifs et noirs), donc on a plein de points communs, mais c’est très dur… Il est top et il connaît tout sur moi, mais il n’est pas venu à la date de Paris. Claude est assez énigmatique comme personnage. Il te dit oui, puis tu ne le vois pas. En tout cas c’est un mec super qui est toujours au courant et à la pointe de tout ce qui se passe.
Lauryn Hill et Valérie Atlan, 1996
Comment tu présentes le projet aux artistes ?
Il faut faire très attention : ils ne veulent pas être relégués au rang de has been. Notre démarche, c’est de mettre les classiques à l’honneur, et pour moi c’est l’époque qui a engendré le plus de classiques : « vous revenez sur scène, vous avez apporté énormément, on a envie de montrer ça à une jeune génération qui ne vous connaît pas« . Ils ont tous accepté. On a pris les titres les plus marquants : « Retour aux Pyramides » des X-Men, Busta va faire son « Job à Plein Temps », Ménélik fera « Bye Bye », le Ministère va faire « Cours plus vite que les balles », Tonton David va faire « Peuples du Monde »…
(Elle nous montre le premier court métrage vidéo qui est diffusé sur scène en intro du concert : un jeune garçon écoute Maitre Gims, il est interpellé par une voix mystérieuse et se retrouve devant une boutique parisienne).
« C’est ici, en 1986, que tout a commencé : 2 rue du Château Landon. Dan a ouvert Tikaret, la première boutique Hip-hop de toute l’Europe. Assassin ou NTM venaient s’y ressourcer tout comme Nec + Ultra, Johnny Go & Destroyman, sur les premiers disques de rap pressés en vinyle. Le 27 mai 1990 est sorti Rapattitude, la première compilation de rap français. Sont réunis de jeunes artistes qui n’avaient encore rien sorti. On y découvrait les précurseurs du raggamuffin en France : Daddy Yod, un certain Tonton David, ainsi que le groupe de rap sulfureux Assassin, composé de Solo et Rockin’ Squat avec le titre meurtrier à souhait « la Formule Secrète ». (Le court métrage s’arrête)
Et là, Assassin arrive sur scène… C’est Dan qui a ouvert la toute première boutique en Europe, maintenant le magasin est devenu un taxiphone.
Tikaret à Paris, la première boutique consacrée au Hip-hop en Europe
Ça te fait quoi ?
Qu’est-ce que tu veux ? C’est un taxiphone… Mais les jeunes ne savent pas ce que c’est un vinyle. La transmission était physique. Pour aller au bout de la démarche, on est vraiment retournés sur les lieux : par exemple, on est allés voir le Ministère à Sarcelles, là où ils ont fait la pochette de 95200. On fait aussi un fondu avec la pochette de la bande originale de La Haine : peu de gens savent que le visage dessus, c’est celui de Bouboule, le manager du Ministère Ä.M.E.R. La tournée de l’Âge d’Or c’est vraiment plus qu’un concert : on apprend des choses aux gens.
Pochette de la B.O. du film « La Haine » de Mathieu Kassovitz, 1995
C’était important, la transmission de cette histoire ?
Oui, pour moi c’est important, il faut savoir qui était là avant. Tu ne peux pas avancer bêtement dans la vie sans savoir ce qu’il se passe. Il faut vraiment s’intéresser à sa culture. C’est peut-être parce qu’on a baigné dans ce truc-là qu’on ressent ça, mais aujourd’hui il n’y a plus cette dimension culturelle.
Valérie Atlan et Mary J.Blige, 1995
Rien à voir : il paraît que tu es une grosse fan de la série TV Empire (NDLR : soap opera mettant en scène la vie d’une famille afro-américaine au sommet de l’industrie musicale). Qu’est-ce qui te plaît dans cette série ?
Tout ! Mais je suis plus Entourage qu’Empire. C’est pour ça qu’on m’appelle Valou Gold, comme Ari Gold, attention ! (rires) Pour en revenir à Empire, j’adore la B.O. de Timbaland, et je me reconnais dans le personnage de Cookie. La série parle de tout ce que l’on fait tous les jours : Cookie et Lucious ont un label, ils se tirent dans les pattes, ils essaient de se piquer des trucs… C’est ce qui arrive tout le temps, t’es là à faire de la surenchère pour signer tel artiste… Le fait de le voir à l’écran avec des acteurs cainris, c’est ouf. Je me reconnais un peu en Cookie, mais j’ai pas fait de prison !
Taraji P.Henson dans le rôle de Cookie Lyon dans la série Empire. Voir notre conversation avec elle ici.
Et tu es plus sobre au niveau vestimentaire…
Ça dépend, vous ne m’avez pas vue dans mes tenues de soirée…
Pourquoi Marseille ne fait pas partie des dates de la tournée ?
Lors de la date parisienne il y avait IAM, ils ont mis le feu, ils sont extra. Je les ai sollicités pour la tournée mais ils ont déjà celle de l’École du Micro d’Argent. C’était trop difficile d’être sur les deux. Mais ce n’est pas à cause de ça que je ne vais pas à Marseille. On a essayé mais c’est une ville qui est trop compliquée. Si ce n’est pas Soprano au Dôme, ça ne marche pas.
Ice-T et Valérie Atlan, 1996
Tous ces artistes se connaissent depuis des décennies. Est-ce qu’ils sont contents de se retrouver ?
Quand tu regardes bien l’affiche, il y a des groupes qui sont en clash. Mais ça va aller. En tout cas, à Paris, c’était une ambiance de folie. Pas de problème ni d’embrouille. Kery était émerveillé, il regardait tous les groupes. Pareil pour Assassin. C’était vraiment beau ; ils étaient contents de se voir, tout le monde passait se checker, au-delà de ce qu’on espérait.
C’était marrant, il y avait une salle derrière où on avait installé un retour avec un écran pour que chacun puisse regarder en direct ce qui se passait sur scène. Tous les artistes étaient assis dans cette salle. On pensait qu’ils allaient discuter entre eux, sans forcément faire attention à ce qu’il y a sur l’écran. Mais il n’y avait pas un bruit. Ils étaient tous assis devant l’écran, émerveillés. On ne sentait pas de compétition, tout le monde kiffait la prestation de l’autre. Ca les poussait aussi à se dire « bon, quand ça va être mon tour, va falloir que j’assure ». Oxmo a fait une prestation incroyable. Il a fait « Le Jour où Tu Partiras » avec K-Reen, c’était la toute première fois qu’il le jouait sur scène. Il en est ressorti ému, on avait des frissons.
Est-ce que c’est dur pour les rappeurs de vieillir ?
Non, je ne pense pas. Sur cette tournée, tu as des profils très différents. Il y en a beaucoup qui continuent leur carrière, les Neg’Marrons sont tout le temps bookés par exemple. Il y en a qui ont réussi à se renouveler tout en restant dans la musique : par exemple Jacky des Neg’Marrons travaille chez Trace et OKLM. Passi est boss de label chez Warner. Ménélik a fait des habits de golf, de la prod audiovisuelle et maintenant il a monté une société en rapport avec l’art urbain. Apparemment ça marche très bien.
Stomy est dans le cinéma, Kery se lance dans le théâtre en janvier, Busta Flex a son studio, il produit des artistes. Les 2 Bal’ se lancent dans la création de label. D’autres continuent la musique, d’autres font les deux. Franchement, certains n’ont pas vieilli d’un poil. Je ne les trouve pas aigris. Ils comprennent qu’ils ont apporté quelque chose, c’est un patrimoine. Aujourd’hui en 2016, on peut enfin dire qu’on a notre histoire du rap français.
Mobb Depp et Valérie Atlan, 1997
Est-ce qu’il y a une leçon à retenir de cet Âge d’Or ?
Ce serait que le rap, au départ, partait d’une envie de revendication, de parler de sa condition de vie dans les quartiers quand personne n’en parlait. Le départ, c’est d’être des hauts-parleurs, comme disait NTM. Ce n’était pas de raconter des trucs gratuitement avec des gros mots comme aujourd’hui ça parle de meufs, c’était plus une envie de se valoriser. C’était tout le temps « je suis le meilleur rappeur ».
Pourquoi ?
Parce que les mecs venaient d’un milieu où on ne les valorisait jamais, où ils ne recevaient jamais de compliments et je pense que beaucoup ont pris le micro pour se mettre en avant. Parce que si toute ta vie on te réprimande, ça ne te pousse pas à faire de bonnes choses. Chacun avait son propre style, aujourd’hui tout le monde adopte plus ou moins un style qui « marche ». Et surtout, ils ne le faisaient pas pour l’argent.
Les infos sur l’Age d’Or du Rap Français sont sur sa page Facebook. La bande-annonce de la tournée, qui passera notamment le 27 mars 2017 à l’AccorHotels Arena de Paris Bercy :
Image à la une : les artistes de la tournée l’Age d’Or du Rap Français, photo Mazava Corp
Propos recueillis par Charlotte Vautier et Anthony Cheylan.