Pendant un an, Ladj Ly, collaborateur de Clique, a filmé le quotidien des émeutiers de 2005. Il réagit au verdict du tribunal correctionnel de Rennes qui a relaxé, lundi 18 mai, les deux policiers mis en cause dans la mort de Zyed et Bouna.
À propos de Zyed et Bouna, Pascale Robert-Diard, qui couvre le procès, écrivait il y a peu : « De cette affaire, il ne reste que des ombres. L’ombre d’une affaire trop grande pour un procès trop attendu mais qui arrive trop tard ». Des ombres, et un documentaire. Celui de Ladj Ly, 365 jours à Clichy-Montfermeil.
En 2005, et pendant un an, Ladj filme le quotidien des émeutiers et des habitants de la Cité des Bosquets de Clichy-Montfermeil (Seine-Saint-Denis) qui viennent de perdre deux d’entre eux, Zyed et Bouna, morts pour avoir voulu échapper à un contrôle de police. L’année suivante, le témoignage prend la forme d’un film de 26 minutes. Trop brutal pour les chaînes françaises ? Toujours est-il qu’aucune n’en voudra, du moins tel quel : « France 2, avait dit oui, mais ils voulaient qu’on refasse le sujet, à la Envoyé Spécial », se souvient le réalisateur.
Capture d’écran du film 365 jours à Clichy-Montfermeil.
« J’ai grandi là bas, ça s’est presque passé en bas de chez moi » raconte Ladj. « C’est un film personnel, près des gens. J’étais avec eux quand ça a éclaté, je filmais ». Il suit les familles des victimes, les habitants, les associations… « Tous ceux qui sont impliqués, de près ou de loin ». Sa caméra, il l’a sortie presque par réflexe : membre du collectif Kourtrajmé, il filme déjà les Bosquets bien avant que les émeutes explosent « Les Bosquets, à l’époque, c’était un peu notre studio de tournage ».
Aujourd’hui, il se désole de l’issue du procès, qui relaxe définitivement les deux policiers. « C’est choquant. Ce verdict, on l’attendait depuis 10 ans ». »Il y avait un minimum d’espoir. Et puis finalement… ». « Le procès s’est plutôt bien passé, les avocats ont assuré, ça a duré une semaine » poursuit-il. « À la fin, tout le monde avait de l’espoir ». « Déjà qu’en banlieue, les gens n’ont pas énormément confiance en la justice… C’est simplement la preuve qu’on ne peut pas lui faire confiance, pour de vrai ».
Pour lui, en 10 ans, rien n’a changé, ou si peu : « Les gens se sont longtemps battus » dit-il. « Mais aujourd’hui, ils sont fatigués. Quand tu tapes, tu tapes, tu tapes, sans résultat, tu t’essouffles ».
En 2004, avant les émeutes, Ladj Ly s’était associé à l’artiste JR pour un projet commun, 28 millimètres – Portrait d’une Génération, aux Bosquets. « On a pris des photos des gens, de très près, avec un objectif 28 mm qui déforme un peu le visage. On les a placardés sur Paris », raconte-t-il. « On était un peu vu comme les cauchemars des Parisiens. L’idée, c’était d’aller coller ce cauchemar sur leurs immeubles ».
À l’époque, cet affichage dans Paris fait suite à une exposition aux Bosquets, où les photos grands format ont été collées aux murs des immeubles. Les lieux, aujourd’hui, sont devenus symbolique : « Un an après, les émeutes ont éclaté au même endroit ». Avec la seconde phase du plan de rénovation urbaine sur Clichy-Montfermeil, qui a inauguré en 2011 une période de démolition, « ces mêmes immeubles, où on avait collé les affiches, ont été détruits. On les a filmés ».
C’est là qu’est né un court-métrage, « Les Bosquets », réalisé par JR et présenté au festival du film de Tribeca en avril dernier. Ce dernier film, qui recoupe douze ans d’archives vidéos, de témoignages, et une chorégraphie des danseurs du ballet de New-York, évoque le parcours de Ladj et de sa caméra en 2005 – et fait écho à Portrait d’une Génération. Une décennie plus tard, la boucle est-elle bouclée ? Certainement pas, selon Ladj. Il l’assure : JR et lui poursuivront leur travail sur les Bosquets. Malgré la lassitude, malgré le verdict, « le combat continue ».
Revoir le documentaire « 365 jours à Clichy-Montfermeil » :